« Mon projet immédiat c’est aussi de remettre en pied le festival Liptugu, qui est un festival des musiques traditionnelles du Niger »
MUTATIONS : Ca fait longtemps qu’on n’entend plus parler de vous sur la scène antistatique nigérienne…
Diassibo Tiombiano : C’est vrai, ça fait quelques six-sept ans que je ne suis plus au Niger. En fait je suis aussi un « Family Man », c’est-à-dire que je suis avec ma famille partout où elle se trouve, en Guinée, au Mali… Mon épouse est française, aussi, je suis obligé pour des raisons familiales de la suivre un peu partout. Après le Niger, nous étions au Mali, en Guinée, puis en France.
Peut-on savoir ce que vous avez fait entre temps, en tant qu’artiste ?
Il faut dire que pendant ma « fuite » des crises politiques Afrique, au Niger avec la tentative de Tazarcé, au Mali avec le coup d’état du capitaine Amadou Haya Sanogo, en Guinée, avec l’épisode de Moussa Dadis Camara…j’ai eu de faire une exposition de peinture à Paris à Saint Germain des Près, où le président de la République Issoufou Mahamadou m’a fait l’honneur d’être présent au vernissage. Il était venu en compagnie de l’Ambassadeur de France au Niger et de l’ancien Ambassadeur de France au Niger Denis veine. Je profite de votre micro pour les remercier pour cette marte marque de respect et de considération. J’ai également sorti deux albums de musique, en France, un en World Music qui s’appelle « Diassibo Tchiombiano» et un autre en musique Reggae qui se nomme « Dias ». Pour moi, c’est le parachèvement de tout ce que je cherchais depuis des années, avec un Label dénommé « Lélia Records », avec la grande contribution de « Mandjoul », avec notamment Jules Solutchi, avec qui je travaille depuis plusieurs années. En même temps, j’ai créé un concept musical en France qui s’appelle « Musique à emporter », comme il y a des plats à emporter. Le concept est simple, vous appelez à partir de chez vous, et nous on vient jouer la musique chez vous, devant vos amis, dans votre appartement. Le premier à épouser l’idée s’appelle Emmanuel Guagnerro qui m’a rencontré dans un café. On a fait le tour de Paris comme ça. C’est comme ça qu’on a sorti l’album « Dias », en le vernissant chez « Agnès B », couplé à une exposition de peinture, rue Dieu, un endroit mythique de la musque à Paris. Ca a beaucoup cartonné en France, grâce à deux français amis du Niger, qui ont vécu au Niger et qui s’appellent Arthur Travers et Benjamin Guanio. C’est dire que durant mon absence, j’ai rencontré des grandes personnalités, des grands noms de la musique, qui m’ont aidé à aller de l’avant. J’ai également eu la chance de participer à un festival qui s’appelle « What Sam », organisé par un nigérien du nom de Lawan qui habite à Toulouse et où j’ai joué en compagnie d’autres artistes nigériens comme Phéno, Safiath et Castro du groupe Kai Dan Gaskia sur la même scène. C’était un moment d’intense émotion pour moi, parce que c’est comme si le Niger qui venait me retrouver en France. Donc, je suis revenu au Niger aujourd’hui pour me ressourcer.
Alors, vous êtes au Niger depuis bientôt un mois. Quels sont vos projets à cours et moyen termes déjà en matière de musique, de peinture… ?
Il faut dire que je découvre déjà mon Niamey, qui a beaucoup changé .Du coup, je suis un peu perdu. Et donc, je me place sur la branche d’un arbre « Gao », pour tout observer et chercher à comprendre. Pour l’instant mon tout premier projet, c’est de me faire re-adopter par le Niger, comprendre ce qui se passe. Mon projet immédiat c’est aussi de remettre en pied le festival Liptugu, qui est un festival des musiques traditionnelles du Niger. Comme vous le savez, au Niger, lorsque qu’on crée quelque chose, même un parti politique, le fondateur n’est plus, les enfants, c’est-à-dire les militants, partent en rands dispersés. J’ai créé le Liptugu, mais derrière le festival, il y avait toute une association. Mais après mon départ, les gens sont partis en rangs dispersés. C’est comme avec la galerie Taweido d’ailleurs que j’ai initiée. Je pensais trouver des gens qui viendraient m’approcher pour prendre la relève. Hélas, il n’en a pas été ainsi. Je suis de retour et je vais aussi réhabiliter la galerie Taweido. J’ai eu, c’est vrai, un coup de cœur de l’artiste Cheikh Kontondi qui est très content de mon retour et qui s’est dit disposé à m’accompagner pour tout remettre sur les rails. Ce qui me va droit au cœur. A l’occasion de la réhabilitation du festival Liptugu, on va relancer aussi le film sur le festival, un filmréalisé par Souleymane Mahamane et qui est resté depuis dans les tiroirs. A la même occasion je vais organiser une exposition photos avec le célèbre photographe nigérien Tagaza Djibo. L’occasion aussi pour faire venir un grand joueur de Molo, un malien du nom Assaba Dramé. Assaba Dramé est un grand artiste, qui a joué des grands noms de la musique africaine et mondiale. Je vais le faire venir pour concert pour faire profiter aussi bien les artistes que les mélomanes nigériens. Il s’agit en même temps de faire un pont artistique entre le Mali et le Niger.
Comme dirait l’autre,, vous avez vraiment un faible pour les joueurs de Molo. Car il se raconte que vous avez aussi un projet avec Hama Dabgué, un artiste chanteur traditionnel, un très grand joueur de Molo…
Hama Dabgué, c’est quelqu’un qui a bercé mon enfance, ma jeunesse, ma solitude. Je me retrouve beaucoup en lui. En même temps qu’il incarne une sagesse inouïe, en même temps c’est un voyou urbain comme moi. Donc lui et moi, on se retrouve très bien ensemble dans ce côté voyou, côté rebelle, côté on s’en fout, côté on vit sans se poser des questions…A côté de tout ça, Hama Dabgué a une précision musicale étonnante, il est humble aussi. Mon souhait, c’est donc de faire un album avec lui. Je ne l’ai pas encore vu depuis mon retour au Niger, mais c’est sûr, je vais le chercher. La première que je l’ai côtoyé, c’était lors d’une soirée, il était autour de 2 heures-3 heures du matin, ce qui n’est pas très fréquent avec les nigériens. Je l’ai vu chanter avec un orchestre. Il ne lit pas la musique mais il est très précis sur n’importe quelle musique que vous jouez. En même temps, c’est une confidence, Hama Dabgué a influé une de mes chansons, Tampolbiagou, qui est beaucoup connu des mélomanes. Hama Dabgué m’a influencé sans que je ne sache comment, jusque dans mes chansons Reggae. C’est lui qui m’a donné la clé de ma musique. Le morceau a beaucoup cartonné, je l’ai joué avec Abdou Madé, l’auteur de la célèbre chanson Zamani Wandieye, un excellent joueur de Kountigui également, avec Maitre Batt comme arrangeur, et un preneur de son japonais du nom de Iroshi. C’est comme ça que Tampolbiagou a eu un succès dans les quatre coins du Niger. Les gens pensaient que j’ai enregistré l’album à Paris, mais non je l’ai enregistré au Centre de formation et de promotion musicale (CFPM-El Hadj Tayya).
Parlons de peinture à présent. On a comme l’impression que ce terrain est vierge au Niger. Les expositions sont rares, les artistes peintres peu nombreux. Comment expliquez-vous cela ?
Il faut dire que personnellement je trouve normal la situation des peintres nigériens. Moi-même c’est Tankari Namaiwa qui m’a appris la technique du portrait et je peux dire que si vous êtes du portrait vous allez vivre de la peinture au Niger. Ce qui n’est pas le cas si vous faites de l’abstrait. Malgré tout, il y a quelques artistes peintres qui vont du bon travail et qui exposent un peu partout au Niger et ailleurs. Je veux parler des peintres comme Alhousseini Yayé Touré, Ali Garba, Boubacar Boureima, Alichina Allakaye et autres. Il faut dire qu’une des raisons, c’est qu’il n’y a jamais eu une école d’arts plastiques au Niger. Comme il n’ ya pas d’école en tant que telle qui magnifie cette catégorie d’art plastique, ça fait que la peinture reste un art martyrisé. D’un autre côté, nous sommes situés à la porte de l’Arabie vers l’Afrique noire. Quand vous regardez la situation géographique du Niger, vous partez de l’Europe et vous redescendez ; vous allez voir qu’il un dégradé : d’abord le blanc, ensuite l’arabe, puis kabyle, après, le touareg et enfin vous redescendez vers l’Afrique noire. Ca veut dire que la religion musulmane domine complètement notre espace culturel, ce qui fait que l’image, la gravure n’a pas sa place hormis les peintures rupestres que l’on retrouve dans les fouilles. En même temps, il faut dire que la peinture c’est la peinture c’est comme le tennis dans un ^pays comme le Niger. On va dire, mais pourquoi il n’ ya pas de tennisman Niger, eh bien pour moi la peinture c’est comme le tennis, c’est-à-dire que c’est pour les riches. On préfère avoir sa photo ou son portrait dans son salon plutôt qu’une toile. C’est moins cher et c’est plus facile à faire. Je pense qu’il y a d’autres priorités pour les nigériens. Mais je pense aussi que c’est une question de temps. C’est comme dans la couture avec les chemises en pagne. Avant lorsque vous vous habillez en chemise et pantalon pagne, on pense tout de suite que vous êtes d’origine côtière. Il a fallu que des dirigeants africains comme Thoms Sankara, Nelson Mandela, Alpha Oumar Konaré, pour qu’on se remette aux chemises pagne. Et aujourd’hui une grande firme hollandaise, Vlisco, qui fabrique des pagnes est plus connu en Afrique qu’en Europe. Donc encore une fois c’est une question de temps.
Un mot à l’endroit de la jeunesse ?
Ah oui, je dis qu’il faut se méfier du mimétisme. J’ai remarqué que nos langues nationales se meurent au profit d’autres langues ; la jeunesse ne lit plus, ne discute plus de littérature, de philosophie, d’histoire, de géographie. La jeunesse ne sait plus écrire, parce qu’elle préfère les SMS et aujourd’hui, si vous organisez un concours de dictée à l’Université, vous allez tomber des nues à cause des fautes d’orthographes et de grammaire. Et tout cela, c’est en partie à cause des NTIC. Il faut savoir être soi-même, être authentique.
Interview réalisée par Gorel Harouna, MUTATIONS