Pour commémorer la journée de la Concorde, la distinction a été facile à faire entre ceux qui ont organisé des conférences, des retrouvailles ou des activités sportives et ceux qui ont choisi d’aller battre le pavé. Arrachés in extrémis de l’insuccès par l’interdiction de la marche, ces derniers tentent se sont rabattus sur un éventuel retour de la légendaire ville morte. Or, même dans les imaginations les plus folles, plus personne ne veut désormais accepter de faire un lit douillet à l’anarchie. Cette méthode qui, toutes proportions gardées, ressemble à un cautère sur une jambe de bois, n’est plus un modèle de combat.
Il est aisé de se cacher derrière une forêt de micros et ordonner un jour aux nigériens de sortir pour marcher , un autre jour, de ne pas sortir de chez eux et respecter ainsi le mot d’ordre de ceux qui n’ont aucune emprise sur le vécu de la population. Ils savent pourtant que la seule ville morte qui ait réussi dans ce pays, celle de 2005, n’a pas été conçue et organisée pour le plaisir de quelques camarades. A l’analyse des faits, la marche prévue dans un pays qui a déjà restauré sa démocratie en 2010 n’était donc qu’une plaisanterie de plus. Nous devons donc comprendre qu’ils voulaient simplement restaurer un désordre préparé depuis fort longtemps mais déjoué, pour ne pas nommer cette rocambolesque violation de la Constitution dont mêmes les auteurs ne veulent plus entendre parler aujourd’hui. Ils sont aussi conscients du fait que notre démocratie n’a pas pris une seule ride depuis sa restauration en 2010. On peut leur concéder ce symbole fort de faire des apparitions épisodiques mais il est encore mieux de ne pas montrer inopportunément sa figure et répandre comme centre de crispation, cette rengaine lessivée presque sortie des contes des mille et une nuits et consistant à dire que tout va mal. Tout ce à quoi ils n’ont pas participé ou auxquels ils n’ont pas aidé à comploter, est mauvais et antidémocratique.
Ils ont librement amorcé leur descente aux enfers en même temps que la dégringolade de leurs parrains, ces derniers qui n’ont aucune considération pour eux, pour avoir confondu ingratitude et irresponsabilité : c’est mortel, toxique et suicidaire pour des associations dont les animateurs se font passer pour des leaders de la société civile. Ne plus passer tout leur temps à se relever des brutales chutes, en parfaite harmonie avec les échecs retentissants et successifs de leurs parrains, ils ne peuvent plus rester fermement debout, avec cette belle prestance qui colle à la peau des acteurs sincères d’une société civile. Ceux qui se sont embarqués avec eux au début ont dû se raviser et prendre leur distance et pour son malheur, elle ne peut compter que sur la mobilisation des militants de certains partis politiques qui ont quant à eux compris qu’il existe d’autres chats à fouetter.
Au moment où des citoyens plantaient, étudiaient, se démenaient dans les bureaux et construisaient sur de multiples chantiers, ces acteurs pensaient à une marche et aux plus ignobles des injures. Ils se trituraient les méninges à la recherche des invectives les plus acerbes à proférer dans un meeting, peaufinaient les stratégies pouvant les rendre plus royalistes que leur reine opposition. Ils ne lâcheront que lorsque l’extrémisme innommable qui les anime jusque là se serait estompé à cause des désertions en leur sein et des échecs qu’ils accumulent. On est en droit de s demander de quelle idéologie ils tirent cette ferme détermination à aller d’échec en échec sans en tirer les conséquences.
Ils déclinent toute occasion qui leur est offerte pour nous faire découvrir leur talent de persuasion, préférant se cloîtrer dans leurs lieux de prédilection que sont certaines tribunes de médias et un public à qui ils font avaler des racontars. Il faut avoir des nerfs d’acier pour éviter une crise cardiaque. Un autre élément qui est facteur de la déchéance est le populisme dont certains sont passés maîtres, exhibant un excès de nationalisme enrobé de militantisme renforcé, lors des assemblées citoyennes. En fait, ils ont besoin d’une agitation permanente et d’une opinion publique constamment maintenue sous la pression. Cette opinion qui veut les admirer dans des actions positives, des activités de conscientisation, allant de quartiers en quartiers pour allumer la flamme du patriotisme et réveiller ou faire vibrer la fibre civique qui n’a pas encore complètement pris corps dans certains esprits.
Ils ne peuvent pas s’adapter au changement de mentalité qui transformera positivement le nigérien, tandis qu’ils auront raté le train, ne comprenant rien de ce qu’il leur arrive et observant les autres avancer gaillardement vers le développement. Il faut néanmoins saluer ceux qui ont beaucoup fait et qui ont refusé d’utiliser les activités de la société civile comme d’une profession raffinée, le gagne-pain le plus facile à gérer et qui triment chaque jour, agents salariés ou consultants dans des domaines où ils sont effectivement experts.
La société civile opposante doit changer, elle doit s’envelopper d’un pedigree un peu plus attrayant, s’approprier de la théorie de la baïonnette intelligente au lieu de faire à la demande et sans crier gare, le plongeon dans la gadoue : qui la sauvera de cet atterrissage forcé ? Nous ne nous acharnons pas sur des individus mais sur des éléments factuels, en vue de ramener dans le sérail, ceux qui se sont mis en retrait de la famille société civile originelle, et rappeler à l’ordre ceux qui en font un peu trop.
Dans leur posture actuelle, ayant perdu de son éclat et ne sachant plus où donner de la tête, ils ne deviendront jamais un « Balai citoyen » ou un « Y en a marre ». Ceux-ci ont appris qu’il y a un temps pour la lutte, un temps pour l’édification de la Nation et ils l’appliquent à la perfection. Un mouvement social qui s’en prend sans discontinuer à une stabilité, devient une affaire hautement politique et il faut le traiter comme tel.
Nous savons que nous ferons des mécontents parmi les acteurs qui « exercent » dans la société civile depuis sa création, et qui n’ont pas encore ou ne veulent pas écraser les murs de la paresse. Ce ne sera pas un choc pour les plus réalistes parmi ceux qui, déçus par les contre-performances enregistrées, voudraient reprendre du service par la plus démocratique des manières : une démission des dinosaures. Faute de quoi, ce sera comme le couteau dans du beurre, que de déclencher une révolution de palais s’ils ne se décident pas à passer la main, s’ils ne se décident pas à passer le relai à ceux qui ont la tête sur les épaules, le charisme et la verve adéquats pour imposer une limitation des mandats dans leurs textes.
Assurément, si la marche avait été autorisée, elle aurait été enregistrée comme un nouveau et retentissant fiasco qui viendrait s’ajouter à la liste déjà longue, fiasco dont ils ne se relèveront pas de si tôt. Mais ils sont obnubilés par la concrétisation de leurs rêves. Rien d’étonnant qu’ils refusent de croire que l’aura d’il y a une dizaine d’années leur a définitivement échappé parce qu’ils pataugeant dans un océan d’illusions qui les écartent des réalités.
Il est vital pour leurs organisations de prospecter la possibilité du faire-ensemble, pour créer un creuset qui ouvrira la porte à une atmosphère nettement plus détendue. Ceci ne fera pas que des heureux au sein de leur ligne dure mais nous aurions contribué un tant soit peu à les mettre sur la voie d’une possible résurrection. Les meilleurs lubrifiants des échecs à un certain niveau de responsabilité sont la routine et le lessivage ; ils ne doivent pas rester totalement insensibles au boom culturel enclenché et auquel ils seront d’un apport considérable s’ils désirent y contribuer honnêtement. Ce sont là quelques paramètres à prendre en compte pour une sublimation de ce pan de la société civile si tant est qu’elle voudrait continuer à résister et survivre à une inévitable descente vers les abîmes. Nous ne devons pas croire que sa déconfiture actuelle est définitivement sans espoir. Elle peut encore se racheter.
Innocent Raphael (Le Républicain no 2074)