On développe des discours très critiques sur la construction démocratique au Niger compte tenu des errements qui ont parfois conduit à des coups d’État, notamment dans les années 1996, 1999 et 2010, négligeant ainsi les avancées pourtant nombreuses qu’elle a enregistrées.
Si cette construction reste extrêmement laborieuse, nul ne peut nier qu’elle s’affirme, car aujourd’hui les régimes en place, quels qu’ils soient, ont en face d’eux de réelles oppositions, qu’ils prennent – heureusement ! – au sérieux.
Une plongée dans l’histoire aide à mesurer le chemin parcouru dans la quête d’un régime démocratique. Au moment du référendum gaulliste de septembre 1958, Djibo Bakary, leader du parti Sawaba, préside le gouvernement « autonome ». Comme le Guinéen Sékou Touré, il appelle à voter « non » [au maintien dans le giron colonial]. Mais il n’a pas la mainmise sur l’Administration et, échaudées par la situation algérienne, les autorités coloniales font triompher le « oui », le Niger devenant le seul pays où le parti au pouvoir perd le référendum. Le gouvernement de Djibo Bakary en tire les conséquences et démissionne.
Le Rassemblement démocratique africain (RDA) de Hamani Diori arrive au pouvoir mais doit faire face jusqu’en 1974 à l’opposition, pourtant désormais interdite, du Sawaba, dont les militants sont soit en prison au Niger, soit en exil. Ce qui traduit un certain dynamisme du champ politique dès la Ire République. Même sous le régime militaire de Seyni Kountché, réputé autoritaire et répressif, opposé autant à la liberté de la presse qu’à la liberté d’opinion, la quête de liberté n’est jamais assoupie, comme le montre l’activisme de l’Union des scolaires nigériens. Et plusieurs partis aujourd’hui présents sur la scène politique sont nés dans la clandestinité au cours de cette même période.
Paradoxalement, ces putschs ont toujours débouché sur des régimes de transition, qui n’avaient pas vocation à s’installer mais à favoriser le retour de la démocratie par des élections libres
C’est grâce à la Conférence nationale que le processus de démocratisation gagne en puissance. Mais il reste marqué par une -instabilité constitutionnelle, comme en témoigne la multiplication des coups d’État. Paradoxalement, ces putschs ont toujours débouché sur des régimes de transition, qui n’avaient pas vocation à s’installer mais à favoriser le retour de la démocratie par des élections libres. On le voit bien, ils ont eu pour vertu de remettre les pendules à l’heure.
Ainsi, l’idée démocratique au Niger n’a jamais cessé de prendre de l’ampleur. Ce qui s’est révélé compliqué, en revanche, c’est la mise en place d’institutions démocratiques fiables et durables. Les coups d’État ont à chaque fois débouché sur une nouvelle Constitution (le Niger en a expérimenté cinq depuis 1993). Malgré tout, on relève un fort attachement à la liberté d’expression, à la quête d’une justice sociale et d’une justice indépendante, et, de manière générale, aux libertés fondamentales.
Évidemment, dans nos pays, la mise en place de la démocratie génère des espaces de négociation, de marchandage et parfois de clientélisme. Depuis que le processus démocratique s’est enclenché au Niger, aucun parti ne peut se vanter d’avoir obtenu seul une majorité au Parlement, provoquant ainsi des alliances de gouvernement.
Le Niger bénéficie ainsi d’une vie politique dynamique, où le militantisme est au cœur de l’ascension politique
C’est assez édifiant : des franges importantes de l’opinion se retrouvent au pouvoir, ce qui donne naissance à un camp adverse tout aussi important, qui milite, lui, pour l’alternance au pouvoir dans un Niger où les oppositions ne sont jamais des oppositions de façade. Celles-ci réunissent des personnalités fortes, aguerries, qui aspirent légitimement à l’exercice du pouvoir.
Le Niger bénéficie ainsi d’une vie politique dynamique, où le militantisme est au cœur de l’ascension politique. Une culture politique démocratique s’installe incontestablement. Elle tient à la fois au nombre d’élections compétitives organisées, au statut de l’opposition, à sa société civile active et à des organismes comme la Commission électorale nationale indépendante et le Conseil national de dialogue politique (CNDP), qui réunissent tous les partis, y compris ceux qui n’ont pas de siège au Parlement.
Il y a donc bien une démarche inclusive dans la construction démocratique, qui devrait être soutenue. Le Niger est un cas singulier de démocratie, comme en témoignent par exemple la virulence des débats politiques, la liberté d’expression, le recours régulier à la justice pour régler les litiges au sein des partis.
Professeur agrégé de sciences politiques et doyen de la faculté des sciences économiques et juridiques de l’université Abdou-Moumouni de Niamey (Niger), Mahaman Tidjani Alou est aussi enseignant-chercheur au Laboratoire d’études et de recherches sur les dynamiques sociales et le développement local (Lasdel) de Niamey.
Jeune Afrique