Société civile : Les oppositions de style

Empêtrée entre l’affairisme marchand et le clientélisme politique, la société civile au Niger peine à donner toutes les garanties d’une participation efficace aux prochaines assises nationales. On pourrait presque penser que les querelles de clochers et les manigances en sous main observées par les autorités de la transition constituent encore aux yeux du CNSP, des situations qui n’insistent point à déclencher ces consultations, pourtant très attendues.  C’est au cours de ces consultations que les nigériens de différents horizons allaient exprimer les choix décisifs pour la relance du pays, ce que d’aucun appellent la refondation de la République.

 Opposition de style entre la vieille garde et la génération montante

La réforme des institutions qui profile à l’horizon pourrait s’accompagner sans qu’on s’y attende d’une réforme de la classe de la société civile nigérienne. Une bonne annonce et un bon espoir pour la pérennité et la solidité des débats futurs sur le projet de la République. Ce qui est sûr, ce que les petits signes qui s’annoncent sont porteurs d’un changement en gestation. Les propos tenus récemment par l’acteur de la société, Anawar Abdoulaye, marquent très probablement ce tournant ou cette ligne de fracture entre la veille garde et la génération montante. Des propos d’un rare courage qui ont pris le contre-pied de ses aînés.

Du haut d’une intervention musclée, il a lancé un vibrant appel au changement. « Si Issoufou voyage, c’est un débat national, si Issoufou ne voyage pas, c’est un débat national. Tout ramène à Issoufou. Quelqu’un a bien respiré, ça va. Quelqu’un a mal respiré, c’est lui. Et vous ne savez pas que c’est la chose la plus facile que vous faites à un homme politique. Tous ceux qui parlent depuis l’après 26 juillet, où est-ce qu’ils étaient pendant les 12 ans du règne du PNDS ? »

Dans ces propos, l’acteur de la société civile renvoie dans le box des partis politiques, les acteurs de la société civile qui martèlent à longueur des discours, des préoccupations sur le PNDS ou sur Issoufou Mahamadou. Toute une vaste coalition des fronts de la société civile qui se replie sur un seul discours, une seule préoccupation. C’est cette sécheresse intellectuelle ou cette arriération de la réflexion que l’activiste de la société civile a dénoncé chez ses aînés.  C’est avec une certaine ironie qu’il les interpelle à sortir du jeu partisan pour commencer à poser les vrais débats du développement.

Et plus loin dans ses propos, il n’a pas hésité à les interpeler dans leur responsabilité lorsqu’il dit : où est-ce qu’ils étaient pendant les 12 années du régime PNDS Tarayya. Oui, où est-ce qu’ils étaient ? Beaucoup étaient dans la collaboration comme cette affaire de deal entre certains activistes de Lumana et le gouvernement renversé de Bazoum. Une collaboration très profonde et très lucrative qui a permis à certains acteurs d’engranger d’importants business. L’activiste appelle au retour au fondamentaux de la société civile. Sortir du champ politique et mener un regard braqué sur les enjeux de la construction du projet national.

L’opposition de style entre la veille garde et la nouvelle génération ne se limitera pas qu’au discours. Si la veille garde est restée plus tournée autour du lobbying et plaidoyer politique ou carrément au chantage dans certaines situations pour se donner des ressources de sa survie, la jeune génération privilégie un autre profil, celui des acteurs exerçant une activité, des acteurs avec un métier. Ce qui, à coup sûr, les rendra moins vulnérables à la manipulation des partis politiques.

Vieillissante et ravagée par les affaires, la société civile ancienne pourrait être poussée à la sortie par la nouvelle garde. C’est peut-être cette mutation qui est entrain de voir le jour dans ces oppositions entre le groupe Bana Ibrahim et l’aile Anawar Abdoulaye. La veille école use de tous les artifices, de toutes les combines pour étouffer dans l’œuf cette révolution en cours. Il n’y a pas longtemps, Bana Ibrahim, un membre influent du Front patriotique pour la souveraineté (FPS) a monté un plan de calomnie et de complot pour détruire l’image du leader Anawar Abdoulaye. Quand le complot a été mis à nu, le responsable du Front patriotique a été obligé de s’excuser et demander patron à Anawar.

Du combat pour le parti au combat pour le pays

Pour rassurer et rétablir la confiance, la société civile doit répondre aux interrogations qui se posent au sein de l’opinion. De façon anecdotique, le nigérien ordinaire pourrait judicieusement s’interroger sur quelle est la différence entre le FPS et le parti politique Moden Lumana ? Le Front pour la sauvegarde de la patrie qui s’est spontanément formé au lendemain du coup d’État du 26 juillet 2023 n’a pas tardé à se révéler comme une succursale ou un bras armé du parti politique Moden Lumana. Tout y est qui rappelle étrangement l’entourage Lumana de Hama Amadou. Les déclarations pour saccager et interdire le parti PNDS Tarayya de Bazoum Mohamed et Issoufou Mahamadou, le discours récurrents des éléments pour dénoncer toute nomination à un emploi administratif d’un cadre nigérien s’il s’avère qu’il est militant PNDS, etc.

C’est toute cette contradiction qui est aujourd’hui dans un tournant décisif. Et plus qu’on s’approche de la tenue des assises nationales, plus les débats vont se faire sur des projets de construction, plus que sur des questions de personnes. C’est cela aussi un signe de la maturité de la jeunesse qui n’hésitera pas à pousser vers la sortie, les acteurs affairistes.

 Ibrahim Elhadji dit Hima