Transition politique: Le grand malentendu Lumana

Il ne tient plus en place, l’autorité Morale de Lumana, Hama Amadou, ne sait plus où donner de la tête. À cheval entre Niamey et les capitales des pays voisins, l’ancien Premier ministre peine à trouver un bon ancrage politique dans le cadre de la transition militaire en cours au Niger. Faut-il attaquer tout de suite le dispositif de la transition du CNSP ou faut-il plutôt opter pour l’attentisme ? Toute l’angoisse et le stress de Hama Amadou et de l’ensemble de son parti, le Moden Fa Lumana est aujourd’hui articulé autour de cette rivalité ou disons, de cette lutte âpre contre le PNDS Tarayya, plus précisément contre l’ancien président Issoufou Mahamadou. À telle enseigne qu’aujourd’hui, pour Lumana et son patron, le programme de la transition ne doit se réduire qu’à une seule chose: Issoufou Mahamadou.

Pour ce parti, il n’y a rien dans cette transition que la Coldeff, le programme de résilience du CNSP, la lutte contre l’insécurité, les urgences humanitaires, la mobilisation nationale en faveur des victimes des inondations et la mobilisation du fonds de solidarité. Il estime que tout cela n’a aucun contenu et aucune pertinence.

Pour lui, le soutien spontané de ses militants aux auteurs du coup d’État du 26 juillet 2023 s’inscrit dans une sorte de deal ou accord non écrit: l’arrestation d’Issoufou Mahamadou. En termes clairs, cela veut dire que tout ce que l’establishment Lumana attend du CNSP, ce n’est ni la relance du pays, la victoire nette sur le terrorisme, la reconstruction du pays ou la redéfinition d’une refondation nationale. Non, ce que l’establishment Lumana attend avec angoisse et empressement, que le CNSP leur offre la tête d’Issoufou Mahamadou. Et pour l’aider dans ce sens, des équipes Lumana fonctionnent à plein régime pour produire des justifications en montant de toutes pièces, des supposées affaires de malversations ou ce qu’ils appellent pompeusement des « Gates ».

 De la zizanie à l’aveuglement

Dans toute la communication Lumana, dans tous les discours des acteurs de la société civile proches de Lumana, le maître mot, c’est toujours l’allusion à Issoufou Mahamadou, l’ancien président de la République. Sur les débats télévisés, sur les réseaux sociaux ou dans leurs causeries de fada, le PNDS Tarayya et Issoufou Mahamadou sont au cœur de toutes les préoccupations. Un acharnement à la hauteur du débordement intellectuel surtout lorsqu’un acteur de la société civile, proche de Hama Amadou, est allé jusqu’à proclamer que le régime de la Renaissance d’Issoufou Mahamadou a fait pire que le nazisme hitlérien.

À ce niveau, c’est la critique de la raison pure qui a quitté Bounty Diallo, auteur de cette déclaration au cours d’un débat télévisé. Une zizanie ou un acharnement qui a altéré la raison chez un grand nombre de lumanistes, agissant à travers les médias et réseaux sociaux, mais qui a aussi occasionné une confusion dans les repères historiques. Dans leurs interventions ou leurs communications, les lumanistes ont tendance à confondre le régime Issoufou Mahamadou à celui de Bazoum Mohamed ou à penser tout simplement que c’est le régime d’Issoufou Mahamadou que le général Tiani Abdourahamane a renversé. Et donc qu’est-ce que les militaires attendent pour procéder à l’arrestation d’Issoufou Mahamadou ?

C’est très cocasse leur façon de voir les choses. Dans une altération de la raison, ils oublient que le putsch du 26 juillet 2023 a mis un terme au régime de Bazoum Mohamed mais non à celui d’Issoufou Mahamadou. À titre d’exemple, cette intervention d’un activiste qui dit péremptoirement à propos du putsch du CNSP: « la manière dont vous avez fait le coup d’État sur Issoufou Mahamadou, chaque fois certaines personnes disent il n’y a pas de preuves contre lui. Mais s’il n’y a pas de preuves contre lui, un chef c’est un chef. Comment se fait-il avec ces différents détournements vous taisez Issoufou Mahamadou (…) ». Ce propos traduit tout l’état d’esprit des lumananistes et même de leur autorité Morale: faire un bashing intense contre l’ancien président Issoufou Mahamadou, enjamber allègrement le régime Bazoum, gommer cette étape, et aller sur l’adversaire naturel, le PNDS et Issoufou Mahamadou.

 Les raison du brouillage

Dans cette affaire, il y a un méli-mélo qu’il faut démêler pour voir clair. Le CNSP est dans la logique d’un putsch contre Bazoum Mohamed et les acteurs Lumana eux, sont dans une logique du coup d’État contre Issoufou Mahamadou. Donc, toute la problématique de la situation est née de cet imbroglio. Et les activistes, militants et tout l’establishment Lumana veulent à tout prix imposer aux autorités militaires du CNSP une vision, celle d’un coup d’État contre Issoufou Mahamadou. Et cela pour plusieurs considérations.

D’abord dans sa forme, le coup d’État du 26 juillet n’est pas seulement un coup d’État contre Bazoum, c’est aussi un coup d’État contre Lumana qui était en deal avec Bazoum et dont des activistes notoires sous-traitaient un important volume d’affaires. Pour Hama Amadou, Bazoum n’est pas un adversaire mais un allié. Les seuls adversaires politiques de taille de Hama se résument à Issoufou Mahamadou et avant Issoufou Mahamadou, c’était Tandja Mamadou. Pour lui, Bazoum est juste un petit chef mais pas assez charismatique pour être son adversaire. En somme, aujourd’hui, Issoufou Mahamadou paie sa dette et aussi celle de Tandja contre Hama Amadou. En effet, la première défaite ou la première humiliation contre Hama Amadou est venue de Tandja Mamadou, à travers la motion de censure qui l’a éjecté du gouvernement, le 31 mai 2007. Si elle a été déposée par le PNDS, à l’époque le principal parti de l’opposition, son succès a été rendu possible grâce à Tandja Mamadou qui a lâché Hama en donnant instructions à des députés MNSD de voter en faveur de la motion.

À l’époque, les proches de Hama Amadou en voulaient tant à Tandja Mamadou qu’ils accusaient d’avoir chassé Hama de la tête du gouvernement et qui lui a arraché le parti MNSD. Si Hama s’est mis à reprocher à Issoufou Mahamadou sa stratégie de morcellement des partis politiques, il faut dire que pour le MNSD, c’est Tandja qui a retiré sa confiance à Hama Amadou qui a fini par perdre le contrôle du MNSD Nassara.

Mais aujourd’hui, c’est Issoufou qui doit assumer cet héritage. L’autre raison de l’acharnement, c’est le statut du prisonnier pour vol et détournement qui accable Hama Amadou. Cette deuxième humiliation est venue de Tandja qui a jeté Hama Amadou en prison sans état d’âme. L’image de Hama est aujourd’hui entachée de cette détestable condamnation. Dans un face à face sur une confrontation politique, il y a d’un côté un président normal, Issoufou Mahamadou qui a fait deux mandats corrects, qui a conduit les affaires du pays avec succès. Et de l’autre, un ancien Premier ministre qui a connu la déchéance du gouvernement et l’opprobre d’une condamnation judiciaire qui l’a conduit en prison pour malversations financières comme un vulgaire voleur.

Cette tache sombre dans son parcours politique, Hama Amadou ne veut pas être le seul à la supporter. Voilà toute la raison de l’acharnement. Il y a chez Hama Amadou cette volonté du nivellement par le bas, comme on le dit. Ne pouvant pas égaler les autres acteurs politiques par la vision ou par la vertu politique, il veut les entraîner dans la frange salissante d’une condamnation judiciaire. Et dans son viseur, sa première cible c’est bien Issoufou Mahamadou. Mais bien sûr qu’il n’y aura pas que Issoufou Mahamadou. il y aura également les Albade Abouba, Mahamane Ousmane, Kassoum Moctar ou encore Cheffou Amadou. Pour Hama, le drame c’est d’être le seul responsable de toute la classe politique à avoir fait la prison non pas pour une lutte glorieuse pour une cause politique noble, mais pour avoir été condamné pour malversations financières et dilapidation des deniers publics. Va-t-il rester seul à porter cette croix ou va-t-il la partager avec un autre responsable politique ? La question reste posée. Pour l’instant, tout son régiment est en train de l’aider contre son plus grand cauchemar, Issoufou Mahamadou.

 Ibrahim Elhadji dit Hima