Confédération des pays de l’AES : S’unir pour prospérer

C’est un pas décisif qui vient d’être franchi dans le processus d’intégration des pays de l’AES, à savoir le Burkina Faso, le Mali et le Niger. La signature, en effet, à Niamey, le samedi 6 juillet 2023, actant l’adoption du traité instituant une Confédération entre les trois pays symbolise la volonté de leurs dirigeants de tourner de manière « définitive » le dos à la CEDEAO, une organisation qu’ils jugent, par ailleurs, « loin des véritables préoccupations » du Peuple.

Si cette étape semble importante dans l’histoire de ces pays, voire décisive pour leur avenir, cependant, du chemin reste encore à parcourir pour que les ambitions affichées lors du premier Sommet de Niamey se traduisent en actes concrets en raison, entres autres, de nombreux obstacles et défis qui caractérisent les pays membres de l’AES.

De manière conjoncturelle, ces derniers devraient continuer à composer ensemble surtout avec la détérioration de la situation sécuritaire et un dérapage budgétaire, ainsi que des risques externes liés aux chocs climatiques, à la chute des prix des matières premières exportées (or et coton), aux conditions de la sortie de la CEDEAO et la crise énergétique qui se pose avec beaucoup d’acuité au Mali, notamment.

De manière structurelle, les trois pays connaissent des déficits considérables en matière d’infrastructures, limitant au passage l’accès de leurs populations aux services sociaux de base et exacerbant la pauvreté et l’insécurité alimentaire.

Des perspectives favorables

En dépit des risques persistants précédemment évoqués, les trois pays présenteraient des perspectives favorables, selon la Banque Africaine de développement (BAD). Pour le Mali, « la reprise de l’activité économique devrait se poursuivre, avec une croissance de 4,7% en 2024 et de 5,3% en 2025. Cette croissance sera tirée par les activités extractives, avec le démarrage de la production de lithium en 2024, la relance du secteur textile et le développement du potentiel de production et de transformation du blé. Grâce au maintien d’une politique monétaire restrictive, l’inflation devrait continuer à baisser pour atteindre 2% en 2024 et 1,8% en 2025 ».

Au Niger, « la croissance devrait être principalement soutenue par les hydrocarbures – avec une production de pétrole brut qui devrait quintupler, passant de 20 000 à environ 100 000 barils par jour – et par la résilience du secteur agricole. L’activité économique devrait également bénéficier de la levée des sanctions économiques et financières de la CEDEAO et de la reprise des financements extérieurs par les principaux partenaires techniques et financiers. La croissance économique devrait atteindre 10,4% en 2024, puis ralentir à 7,4% en 2025. L’inflation devrait rester contenue en 2024 et 2025 grâce aux performances du secteur agricole ».

Concernant le Burkina Faso, « les perspectives économiques sont encourageantes, avec une croissance projetée à 4,1% en 2024 et 4,3% en 2025, soutenue par l’augmentation de la production extractive et agricole ».

Œuvrer pour la transformation structurelle

Le faible niveau de développement caractérisant les trois pays témoigne de la quasi-absence de transformation structurelle dont ils font l’objet. Au Mali, selon la Banque africaine de développement, « la transformation structurelle a progressé lentement, avec une diminution de la part de l’agriculture dans l’emploi, passant de 69,3 % en 1991 à 67,7 % en 2021, tandis que la part de l’industrie n’a augmenté que légèrement, passant de 8 % en 1991 à 10 % en 2021 ». Au Niger, « la structure de l’économie a peu évolué au cours des deux dernières décennies. De 1991–2000 à 2011–2020, la part de l’agriculture dans le PIB est passée de 33% à 34,9%, celle de l’industrie de 21,3% à 22,4% et celle des services de 36,9% à 38,7%. Les principaux obstacles à la transformation structurelle du Niger sont liés à la faible productivité des facteurs qui entravent la diversification de l’économie ».

Au Burkina Faso, « la transformation structurelle a été lente, l’agriculture restant le principal secteur de l’économie. Entre 2000 et 2022, la part de l’industrie manufacturière dans le PIB est passée de 16,2% à 9,9%, celle de l’agriculture de 26,4% à 21,7% et celle des services de 48,8% à 50,5%.

La part des industries extractives est passée de 1,9 % à 14,5 %. Au cours de la même période, la part de l’industrie dans l’emploi est passée de 4,2% à 7,0%, celle des services de 10,4% à 18,8%, tandis que celle de l’agriculture a chuté de 85,4% à 74,2% ».

Difficile dans ces conditions de prétendre à un développement économique et social harmonieux. Atteindre ce dernier dans la Confédération nécessite dès lors de mettre davantage l’accent sur l’accélération de la transformation structurelle, ce, à travers des mesures urgentes pour atténuer le déficit en électricité, renforcer les infrastructures de transport afin de stimuler le commerce intérieur et extérieur au niveau régional, renforcer le programme de pôles de croissance agricole, améliorer le climat des affaires et accélérer le développement du capital humain. La création de la Banque d’investissement dans les mois à venir devrait être un puissant levier pour y parvenir.

La Suisse comme source d’inspiration

L’arrivée au pouvoir des militaires dans les pays de l’AES révèle à quel point leur modèle économique et de gouvernance a montré ses limites. Garantir la stabilité politique, voire institutionnelle suppose de bâtir un modèle solide et « agile » pour mieux tenir compte des éventuelles évolutions que peuvent connaître la Confédération et assurer sa pérennité. Pour cela, pourquoi ne pas s’inspirer des modèles de Confédération au niveau mondial ayant fait leur preuve ? Un de ces modèles en particulier qui me fascine en raison de sa capacité à garantir la prospérité, tout en veillant à mieux résister aux différents chocs de quelle que nature soient-ils et être à l’écoute en permanence des préoccupations de la population. Ce modèle, n’est autre que le modèle Suisse.

La Confédération suisse est une république fédérale composée de vingt-six cantons, chacun avec une certaine autonomie. Le système politique suisse est unique en ce qu’il intègre fortement des éléments de démocratie directe. Les citoyen·ne·s ont le pouvoir de proposer des référendums et des initiatives populaires, ce qui leur permet de jouer un rôle direct dans la législation.

Ce mode de gouvernance a permis, entre autres, à la Suisse d’être l’une des économies les plus prospères et compétitives au monde. Régulièrement en tête des classements internationaux sur l’innovation, la Confédération suisse compense sa petite taille et ses coûts élevés par un système éducatif performant, des investissements importants dans la R&D et un écosystème favorable à l’éclosion des entreprises.

S’assurer la confiance de la population.

Le soutien de l’opinion publique est essentiel à la réussite de la Confédération. Pour cela, il est indispensable de communiquer clairement sur l’importance des mesures d’ajustement, sur les avantages qu’elles peuvent apporter, sur les risques encourus si rien n’est fait à temps, même si certaines catégories de la population peuvent subir certains coûts à court terme. D’autres stratégies peuvent aider à influencer l’opinion publique, comme proposer de mesures de soutien ciblées qui aident les personnes négativement affectées, planifier minutieusement le calendrier des réformes et démontrer la détermination des autorités à conduire les changements promis de manière exemplaire, responsable et transparente.

Adamou Louché Ibrahim

Economiste

@ibrahimlouche