Depuis l’annonce du retrait des pays de l’AES de la CEDEAO, c’est le silence complet du côté du Niger. Aucune communication ou réaménagement officiel y relatif, alors que de l’autre côté du Mali et du Burkina Faso, cosignataires avec le Niger de l’acte de sortie de la CEDEAO, l’on se précipite à prendre des mesures de garantie. C’est ainsi que dès le 31 janvier dernier, le ministre malien des affaires étrangères, Abdoulaye Diop, s’est empressé à déclarer que le Mali reste un pays membre de l’Union économique et monétaire ouest africaine (UEMOA). Le Mali sera suivie quelques jours après par le Burkina Faso, à travers son ministère de l’économie et des finances, Dr Aboubakar Nacanabo qui annonçait que son pays « reste aussi membre de l’UEMOA ». Des annonces maliennes et Burkinabè qui ne sont pas sans intriguer l’opinion mais qui ont tout leur sens en ces temps de la haute diplomatie pour ces trois pays membres de l’AES.
Après le temps des communiqués fracassants annonçant ledit retrait de la CEDEAO, place à présent à la diplomatie efficace pour évaluer les intérêts à sauvegarder à travers de nouvelles discussions ou des arrangements afin d’atténuer ou contourner les effets induits de la sortie CEDEAO. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre l’empressement du Mali et du Burkina Faso à réaffirmer leur appartenance à l’ensemble de l’UEMOA. Quid alors du Niger ?
Le Dindon de la farce ?
On attend encore de voir les annonces qui seront faites pour que le Niger ne soit pas le dindon de la farce dans cette importante affaire du retrait de la CEDEAO. Dans ce bras de fer, il faut dire que c’est le Niger qui joue gros. L’essentiel des échanges commerciaux du Niger se fait avec le grand voisin du sud, c’est à dire le Nigeria. Sur les 8 régions du Niger, 5 partagent leurs frontières avec le Nigeria. Il n’y a pas une région du Niger dont le marché des produits de consommation n’est pas alimenté par les importations en provenance du Nigeria. La sortie de la CEDEAO, ce sont des impacts qui vont porter sur plusieurs conventions en cours, notamment le tarif extérieur commun TEC, la convention fiscale, les transferts intercommunautaires, les projets communautaires ou encore la libre circulation des personnes et de biens. Et le Niger sera le seul pays où ces impacts vont s’abattre directement et sans aucune atténuation sur les populations. Il sera le seul à faire face.
Quant aux autres pays, le Mali et le Burkina Faso, ils ont un parapluie, c’est l’UEMOA. Le premier partenaire économique du Mali et du Burkina n’est pas le Nigeria, plutôt la Côte d’Ivoire et le Sénégal, et ces deux pays sont tous membres de l’UEMOA. C’est ce qui explique l’empressement du Mali et ensuite du Burkina Faso à réaffirmer leur appartenance à l’UEMOA, parce que les mêmes échanges avec les mêmes facilités et les mêmes avantages sont offerts par l’UEMOA. En se mettant dans l’UEMOA, le Mali et le Burkina ne seront pas beaucoup impactés par leur sortie de la CEDEAO.
Ce qui ne sera pas le cas du Niger qui est en train de perdre son partenaire commercial essentiel qu’est le Nigeria, un pays non membre de l’UEMOA. Mieux, le Niger ne perd pas que le Nigeria, il perd aussi le Ghana. Outre le Nigeria où le Niger compte une forte diaspora, le Ghana abrite aussi une très forte communauté nigérienne établie depuis de longues années, entre 1940 et 1950. Perdre le Ghana sera aussi une grosse perte pour le Niger, dont les ressortissants vont devoir perde également le droit d’établissement, la libre circulation des personnes et leurs biens. Si le Mali et le Burkina ont annoncé leur maintien au sein de l’UEMOA, c’est pour valider les avantages et facilités qu’ils tirent des relations qu’ils continuent à entretenir avec leurs partenaires privilégiés que sont la Côte d’Ivoire et le Sénégal.
La diplomatie nigérienne doit alors se mettre en valeur dans les tous prochains jours afin de trouver des mécanismes d’atténuation à la situation du Niger. Et pour cela, il faut impérativement aller avec une vraie diplomatie, une diplomatie intelligente et froide qui ne table que sur les intérêts de l’État, mais pas des états d’humeur.
Colmater les brèches
Il n’y aura pas que les nouvelles discussions en vue de renouer avec les partenaires stratégiques du Niger qui attendent. La diplomatie nigérienne doit se mettre en branle pour expliquer et sensibiliser sur les choix et les nouvelles orientations opérés par la transition en cours. Le retrait du Niger de la CEDEAO doit être expliqué aux citoyens nigériens dans leur ensemble, pas seulement à quelques groupes de pression qui ne sont actifs qu’à Niamey. Dans les jours qui ont suivi la prise du pouvoir par le CNSP, le Président de la transition, le général Abdourahmane Tiani rassurait pourtant l’opinion nationale et internationale du respect des conventions et traités internationaux ratifiés par le Niger. Au nombre de ces grandes conventions internationales figure le traité relatif à la création de la CEDEAO. Ce traité est désormais tombé, et cela malgré les assurances du patron de la transition.
Une autre question qu’il va falloir prendre en charge, c’est aussi cette souveraineté des décisions. Il y a peut-être une urgence dans cette sortie de la CEDEAO, et dans ce cas, le gouvernement doit être proactif pour informer la population surtout que l’engagement a été pris par le CNSP que le peuple sera consulté pour touts les grandes décisions qu’il aura à prendre. Un forum consultatif national a d’ailleurs été annoncé aux nigériens. Ce forum qui n’est pas encore convoqué est loin d’être opérationnel pour prendre des décisions comme celles portant sur la sortie du Niger de la CEDEAO.
Une CEDEAO qui a fait l’objet d’une large campagne qui a consisté à mettre à nu son incapacité à aider les pays membres, notamment le Niger, dans les difficultés auxquelles ils font face, principalement dans la lutte contre le terrorisme. L’argument selon lequel la CEDEAO n’a point aidé notre pays à faire face au terrorisme ne sera pas beaucoup suffisant pour expliquer le retrait du Niger. En effet, lors d’une réunion des Etats membres qui s’est tenue le 19 juillet 2019 à Ouagadougou, un fonds d’appui a été discuté et mis en place pour venir en appui aux pays en lutte contre le terrorisme. Le principe d’un envoi des troupes CEDEAO sur les théâtres des opérations a aussi été envisagé mais a été abandonné sur avis de la hiérarchie militaire, apprend-on. D’ailleurs, une enveloppe de 100 millions de dollars US devait été mobilisée. Dans la foulée, 50 millions de dollars US ont déjà été versés, soit environ 30 milliards de FCFA au profit des trois pays concernés, à savoir le Niger, le Mali et le Burkina. Le Niger a bénéficié de 10 milliards de FCFA qui avaient été injectés dans l’équipement militaire. Il s’agit là d’un engagement financier qui devait s’étaler sur une période de 5 ans avec des versements de 100 millions de dollars US chaque année. Mais le Covid-19 qui a fait son apparition, plus la série des coups d’Etat dans la sous région aurait perturbé ce programme. Le retrait de la CEDEAO pourrait donc être en conflit avec toutes ces situations.
Mais globalement, il faut dire que c’est le régime des sanctions très lourdes que la CEDEAO a infligé au Niger qui fait débat. Des sanctions certes insupportables qui éprouvent profondément une population qui a beaucoup espéré dans l’annonce du début des négociations, la levée de ces sanctions ou tout au moins leur allégement. Et là, la grande question qui se pose, c’est en quoi la sortie de la CEDEAO peut-elle être une réponse à la souffrance de la population éprouvée par les sanctions de cette même organisation?
Il faut surtout expliquer à la population si à partir du retrait du Niger de la CEDEAO, toutes les sanctions que cette organisation a imposées à notre pays vont perdre d’effet et que le Niger va retrouver une vie normale.
Autant de préoccupations auxquelles la diplomatie nationale et la communication gouvernementale doivent se pencher. L’opinion a besoin d’être rassurée que le Niger ne sera pas le seul dindon de la farce dans cette affaire de la CEDEAO.
Ibrahim Elhadji dit Hima