L’intégralité du discours du président de la république du Niger S E M Issoufou Mahamadou à la Conférence sur le Développement de l’Afrique a l’Université de Harvard le 03 avril 2015.
Mesdames et Messieurs,
C’est la deuxième fois que je viens à Cambridge. La première fois, c’était en 1981, il y a de cela trente-quatre ans. J’y étais venu visiter MIT, dans le cadre d’un voyage d’étude de 40 jours, aux Etats-Unis, sur le cycle du combustible nucléaire, de la mine à la gestion des déchets, en passant par l’usine de traitement, l’usine de conversion, les centres d’enrichissement et les centrales nucléaires. J’étais Directeur des mines du Niger. J’étais aussi déjà membre d’un groupe politique clandestin, créé en Août 1980, le « G80 », dont l’objectif était d’apporter le changement au Niger et au-delà en Afrique. Je n’imaginais pas, à cette époque, que je reviendrai, dans cette ville, en qualité de Président de la République du Niger.
Permettez-moi de remercier les autorités de votre prestigieuse université, qui ont bien voulu m’inviter, au forum John F. Kennedy en vue de participer à une discussion sur l’avenir de l’Afrique à travers la vision que j’ai pour le Niger et son rôle dans la région.
Permettez-moi aussi de dire combien je suis heureux de m’adresser à cette assemblée d’étudiants de l’Institut Harvard et de l’Ecole Kennedy de Harvard ainsi que des membres de la communauté locale.
La vision que j’ai de l’avenir du Niger et celle que j’ai de l’avenir de l’Afrique se confondent, car le Niger n’a pas d’avenir en dehors d’une Afrique unie et solidaire. N’krumah, le premier Président du Ghana, l’a bien dit, et je suis d’accord avec lui, l’Afrique doit s’unir. L’Afrique doit s’unir ou périr. La division a, de tout temps, été le talon d’Achille du continent. La balkanisation de l’Afrique, suite à la Conférence de Berlin, tenue en 1885 par les puissances coloniales, a entraîné des conséquences désastreuses pour le continent, conséquences qui sont venues s’agréger à celles déjà plus anciennes, provoquées par plusieurs siècles d’esclavage qui ont saigné l’Afrique de ses bras valides. La traite Atlantique, dans le cadre du commerce triangulaire, et la traite orientale ont concerné plusieurs dizaines de millions d’Africains. A ce pillage de ressources humaines est venu s’ajouter celui des ressources naturelles du continent, pillage qui se poursuit, sous d’autres formes, encore aujourd’hui. L’Afrique a été dépossédée de ses ressources humaines et naturelles le plus souvent en contrepartie de miroirs, d’épingles et autres pacotilles. Les périodes de l’esclavage et de la colonisation ont été une immense malédiction pour l’Afrique. D’ailleurs le pire, dans cette affaire, n’est ni le pillage de nos ressources naturelles, ni celui des ressources humaines, le pire c’est l’aliénation, l’asservissement de l’esprit, la perte de confiance en soi dans lesquels la traite des esclaves et le traumatisme colonial ont installé les peuples Africains. L’Afrique a été violée, défigurée, opprimée, abaissée, humiliée, méprisée. Aujourd’hui encore elle est victime de tous les clichés et de tous les stéréotypes. N’oublions pas Frantz Fanon et ses damnés de la terre. N’oublions pas Aimé Césaire et « ces millions d’hommes à qui on a inculqué savamment la peur, le complexe d’infériorité, le tremblement, l’agenouillement, le désespoir, le larbinisme ».
Il faut donc que l’Afrique se redresse, renaisse et retrouve sa personnalité, sa fierté, son identité. C’est pourquoi, depuis quatre ans que j’ai l’honneur de diriger le Niger, je m’efforce de redonner confiance aux Nigériens.
En effet, la cause profonde de notre situation réside en nous-mêmes : l’histoire de l’Afrique illustre bien la pertinence de l’aphorisme de Sun Tsu, selon lequel, dans un combat, on est toujours vaincu par sa propre faute et vainqueur par la faute de l’adversaire. En effet, Il y a eu, certes, une résistance à l’esclavage mais des Africains ont été acteurs de la traite. Il y a eu, certes, une résistance à la colonisation comme le prouvent, pour citer quelques exemples, les combats menés, contre la pénétration coloniale, par Samory Touré et la reine Saraouniya Mangou en Afrique Occidentale, plus précisément au Niger s’agissant de cette dernière, ainsi que par les Zoulous dirigés par Chaka en Afrique du Sud, mais c’est avec des soldats dits indigènes commandés par une poignée d’aventuriers européens que l’Afrique a été conquise.
Chers participants,
Mon objectif est de faire renaître le Niger et, au-delà, de contribuer à la renaissance du continent. Pour ce faire, il est important de méditer notre histoire afin d’en tirer les leçons qui nous permettront de mieux construire notre avenir. Pour renaître, nous devons cesser de douter de nous-mêmes, nous devons retrouver cette confiance en soi indispensable aux grandes actions, nous devons avoir une vision, nous devons nous prendre en charge et affirmer un leadership, nous devons promouvoir des valeurs, nous devons, pour paraphraser le Président Kennedy, nous demander ce que nous devons faire pour nos pays et non ce que nos pays doivent faire pour nous.
C’est dans cette perspective que nous mettons en œuvre le programme de Renaissance du Niger depuis maintenant quatre ans.
Le premier défi que nous affrontons est celui de la construction d’un Etat démocratique fort et stable, un Etat capable de garantir aux citoyens la liberté et le progrès économique et social.
Face à ce défi il m’arrive de penser à Hegel qui a postulé que c’est l’existence de l’Etat qui fait entrer les peuples dans l’histoire et qui a prétendu que l’Afrique, à laquelle manquerait cette condition, ne serait pas entrée dans l’histoire. Or au moment où Hegel écrivait l’Afrique connaissait des Etats depuis des siècles, voire des millénaires : il a oublié d’abord que l’Egypte, qui était dirigée pendant longtemps par des pharaons noirs, est en Afrique ; il ne connaissait peut-être pas l’existence de l’empire du Ghana ou de Ouagadou ( qui a existé du 3ème siècle Avant Jésus Christ au 11ème siècle après J.C.), de l’empire du Mali ( qui a existé entre le 13ème et le 16ème siècle) , de l’empire Songhai (15ème-16ème siècle), des Etats Haoussas (12ème – 15ème siècle), de l’empire du Kanem Bornou (8ème -19ème siècle), de celui de Nupé, d’Ifé, du Congo et plus proche de nous de celui de Sokoto qui était à cheval entre l’actuel Niger, l’actuel Nigéria, l’actuel Tchad et l’actuel Cameroun. Ces Etats n’avaient rien à envier aux Etats qui existaient, à la même époque, en Occident. Malheureusement, la colonisation a interrompu le processus endogène de leur évolution et leur a substitué l’Etat répressif colonial sous lequel les Africains étaient non pas des citoyens mais des sujets.
Le leviathan de Hobbes peut prendre des visages différends selon les lieux et le temps. En Afrique, au lendemain des indépendances, il a pris le visage des régimes dictatoriaux, soit militaires soit de partis uniques. Depuis vingt cinq ans l’Afrique vit une transition vers la démocratie avec des fortunes diverses selon les pays. Comment sortir des dictatures mises en place au lendemain des indépendances et construire la démocratie sans affaiblir les Etats, tels sont les termes du défi ? Dans certains pays l’histoire démocratique est celle des conflits post-électoraux liés à des élections truquées tandis que dans d’autres l’Etat s’est effondré ou des coups d’Etat ont provoqué un reflux du processus démocratique. On évoque aussi la corruption des dirigeants Africains, l’impunité, les conflits ethniques et régionalistes, les guerres civiles, les conflits frontaliers, les régimes dynastiques pour conclure que l’Afrique n’est pas mûre pour la démocratie. On va jusqu’ à évoquer le climat qui ne serait pas favorable à ce type de régime mais plutôt aux zones tempérées.
On oublie que les démocraties avancées qui existent aujourd’hui ont été construites de longue haleine : pour prendre un exemple, entre la révolution française (1789) et l’instauration du suffrage universelle en France (vote des femmes acquis seulement en 1946), il s’est passé plus de 150 ans. Entre ces deux dates il y a eu le premier empire, la restauration, la monarchie de Juillet, la 2ème République, le second empire, la Commune, la 3ème République. Je ne pense pas que la démocratie prendra autant de temps pour s’enraciner en Afrique car déjà la tendance y est globalement à la démocratie dans tous les pays du continent. L’organisation, le 28 Mars 2015, au Nigéria, première puissance économique du continent, d’élections libres, transparentes et honnêtes, avec réalisation de l’alternance, me conforte dans cette conviction.
Au Niger le processus de mise en œuvre d’institutions démocratiques fortes a connu des périodes de flux et de reflux. Depuis quatre ans, nous sommes dans une phase de flux avec une amélioration de la gouvernance politique et économique du pays à travers l’élargissement des libertés notamment celles de la presse, l’instauration de l’égalité des droits et devoirs des citoyens, le renforcement de l’Etat de droit, la lutte contre la corruption, le renforcement des capacités de l’administration, la restauration du monopole fiscal de l’Etat et de l’efficacité de la dépense publique. Tous les indicateurs internationaux, qui permettent de mesurer le niveau de bonne gouvernance le prouvent notamment l’indicateur de Reporter sans frontière sur la liberté de la presse qui fait du Niger le 5ème pays le plus libre d’Afrique en 2013. L’indice de perception de la corruption de Transparency Internationale montre que le Niger a gagné une trentaine de rangs en quatre ans (2011-2015). Je suis d’accord avec le Président Obama, quand il dit que l’Afrique a besoin d’institutions démocratiques fortes et non pas d’hommes forts. L’avenir de l’Afrique et du Niger est dans la démocratie, car, en dépit de certains effets pervers, la rivalité des partis qu’elle autorise et l’équilibre des pouvoirs qu’elle implique permettent au pouvoir d’arrêter le pouvoir comme disait Montesquieu.
Le deuxième défi que nous nous sommes fixé est de garantir aux citoyens le droit à la paix et à la sécurité. Nous y sommes jusqu’ici parvenus en dépit d’un environnement régional défavorable. Le Niger, situé en Afrique de l’Ouest, appartient à la zone Sahélo-Saharienne, une zone qui s’étend de la Mauritanie au Soudan.
Il en occupe le centre et appartient donc à la fois aux deux parties occidentale et orientale de cette zone qui fait face depuis un certain temps aux menaces terroristes, celles des organisations criminelles de trafic de drogue, des armes, des êtres humains etc…Cette zone est aussi le théâtre de rébellions armées comme l’atteste la situation au Mali, au Soudan et à une certaine époque au Niger et au Tchad. Toutes ces menaces ont été amplifiées par la crise libyenne, déclenchée à partir de 2011. Cette crise a créé un chaos indescriptible dans le pays avec la dissolution de l’Etat central, le pillage des dépôts d’armes, la confiscation du pays par des milices armées rivales, l’existence de deux Gouvernements, l’un à Tobrouk et l’autre à Tripoli, la transformation de certaines parties du territoire en sanctuaires pour les terroristes notamment pour l’Etat dit Islamique. La situation dans laquelle se trouve la Libye prouve, s’il en est besoin, que l’anarchie est le pire des régimes politiques. Si on nous avait écoutés, une telle situation ne serait pas arrivée. En effet je me rappelle avoir dit à l’occasion du Sommet du G8, tenu en 2011, à Deauville, en France, qu’il faut éviter que le changement qui est recherché en Libye soit pire que le maintien du statu quo. J’avais insisté sur les risques de «somalisation » ainsi que sur celui de voir le pouvoir tomber entre les mains des terroristes. Après la chute de Kadhafi, j’avais vainement insisté sur la nécessité d’un « service après vente ». Par ailleurs, les évènements de Libye illustrent bien le déficit démocratique au niveau de la gouvernance mondiale. Pour sortir du chaos, il faut écouter les Africains. Pour sortir du chaos, le Niger préconise une réconciliation des libyens modérés, la restauration de l’Etat qui sera soutenu ensuite par une force internationale capable de neutraliser les terroristes
De manière générale, la situation dans la bande Sahélo-Saharienne révèle cruellement la faiblesse des Etats qui ont des difficultés à assurer la sécurité de leurs frontières et celle de leurs citoyens, plus de cinquante (50) ans après leur indépendance. Elle montre les conflits qui peuvent exister entre sécurité et liberté, entre sécurité et souveraineté nationale. Elle montre aussi, qu’avec l’avènement du terrorisme, disparaît la frontière entre défense et sécurité, entre sécurité extérieure et sécurité intérieure. Le terrorisme n’a pas de frontière. Ainsi les actions des terroristes d’Al Qaïda pour le Maghreb Islamique (AQMI) ainsi que celles des terroristes qui agissent depuis la Libye affectent plus ou moins tous les pays de la région.
BokoHaram, organisation terroriste née au Nigéria, au début des années 2000, s’attaque non seulement à ce pays, mais aussi au Cameroun, au Niger et au Tchad. Ces quatre pays, plus le Bénin la combattent dans le cadre d’une Force Mixte Multinationale (FMM). Les succès enregistrés par ces pays, en particulier par les troupes Tchadiennes et Nigériennes qui ont, récemment, libéré plusieurs villes du Nigéria, s’expliquent non seulement par la mutualisation de leurs moyens de renseignement et de leurs capacités opérationnelles mais aussi et surtout par une adhésion des populations derrière les Gouvernements et les forces de défense et de sécurité. La trinité de Clauswitz, peuple-Gouvernement-armée, qui a toujours été recherchée par le passé, dans les guerres dites industrielles, fonctionne à merveille dans les guerres asymétriques menées au sein des populations par les terroristes. Ceux-ci prétendent mener le Djihad, au nom d’Allah, au nom de l’Islam. Or l’Islam est une religion de paix, de tolérance, de juste milieu. L’Islam prescrit aux musulmans de rechercher le savoir, d’aller chercher, comme disait le prophète, la connaissance jusqu’en Chine, d’apprendre du berceau au tombeau. Les terroristes de Boko Haram, comme tous les autres terroristes, ne sont pas des musulmans : au contraire, ils sont les pires ennemis de l’Islam. Proclamer que fréquenter l’école est un pêcher, enlever et violer des femmes comme le prouve le cas des jeunes filles enlevées l’année dernière à Chibok, au Nigéria, commettre le parricide, égorger des personnes innocentes, boire du sang humain au nom de l’Islam, n’est-ce pas la façon la plus efficace de combattre l’Islam ? L’Islam, comme on le sait, prescrit la chasteté, le respect dû aux parents. L’Islam proclame que tuer une seule personne c’est tuer toute l’humanité. Les populations de nos pays connaissent cela : c’est pour cette raison qu’elles soutiennent la Force Mixte Multinationale dans la lutte contre BokoHaram. Du reste, pour citer un exemple, Le 17 Février dernier, le peuple Nigérien était sorti massivement pour dire non au terrorisme d’une seule voix et pour soutenir les forces de défense et de sécurité en lutte contre BokoHaram. BokoHaram n’a pas d’avenir. BokoHaram sera vaincue. La Force Mixte Multinationale (La FMM), qui enregistre de plus en plus de succès dans la lutte contre cette organisation criminelle, montre que c’est bien par plus de coopération au niveau international qu’on viendra à bout du terrorisme. Elle pourrait être le modèle qui permettrait aux pays Africains de faire face, par eux-mêmes, aux menaces auxquelles est exposé le continent.
L’Union Africaine (UA) peut s’en inspirer pour la mise en œuvre de la force africaine en attente ou celle de la Capacité Africaine de Réponse Immédiate aux Crises (CARIC). Mais la réponse au terrorisme ne doit pas être que sécuritaire. Pour l’éradiquer à long terme il faut faire disparaître le terreau qui favorise son développement : la pauvreté. Au Niger, nous sommes conscients de la liaison étroite qui existe entre sécurité et développement.
En effet le programme, que je mets en œuvre depuis quatre ans, considère qu’il y a un lien indissoluble entre démocratie-sécurité et développement. Une alliance doit exister entre la sécurité, la démocratie et le pain. C’est le triptyque sur la base duquel je travaille. Sans démocratie, pas de bonne gouvernance et sans bonne gouvernance, pas de développement. Il est vrai que sur la base des succès économiques de certains pays de l’Asie du Sud-Est, notamment la belle réussite de Singapour sous la direction de Lee KuanYew (décédé récemment et dont je salue la mémoire) et ses successeurs, certains ont pensé que la démocratie est incompatible avec le développement et que c’est plutôt l’autoritarisme qui serait compatible avec la croissance économique. Je ne suis pas de cet avis. Les réussites économiques des régimes autoritaires sont une exception. Les réussites économiques sous des régimes démocratiques forts sont la règle. Il est, bien sûr, évident, que des Etats faibles, même démocratiques, ne peuvent rien apporter de bon à leurs sociétés.
Au Niger, le programme de développement durable que nous mettons en œuvre est bâti sur l’hypothèse d’un taux moyen annuel de croissance de 7%. Le taux annuel moyen de croissance depuis quatre ans, de 2011 à 2014, est d’environ 6%. Nous nous sommes efforcés à faire en sorte que cette croissance soit inclusive, c’est-à-dire qu’elle profite à l’ensemble du peuple, en particulier aux couches les plus défavorisées. C’est pour cette raison que le Gouvernement met l’accent sur la lutte contre les inégalités à travers notamment la promotion d’une classe moyenne. Comme on le sait la classe moyenne a non seulement un intérêt économique, en ce que son existence soutient la croissance économique, mais aussi un intérêt politique car, dans tous les pays, elle constitue un facteur de stabilité et de cohésion sociale. L’histoire économique des « trente glorieuses », celle du fordisme, est, du reste, là pour le prouver.
En Afrique, d’après une étude de la Banque Africaine de Développement (BAD), appartiennent à la classe moyenne tous ceux qui ont un revenu journalier situé entre deux (2) et vingt (20) dollars des Etats-Unis d’Amérique ($US). Environ 30% d’Africains sont dans cette tranche de revenus. Des études effectuées au Niger retiennent des critères différents pour définir la classe moyenne mais si nous retenons ceux de la BAD, on peut considérer que 25% des Nigériens appartiennent à cette classe. (alors que 48% d’entre eux sont en dessous du seuil de pauvreté. Le taux de pauvres était de % en 2011. Notre ambition était de faire basculer la moitié d’entre eux dans la classe moyenne avant 2016. Nous n’y arriverons, malheureusement, pas à cette échéance, mais nous avons décidé d’accélérer le pas. )
En particulier, nous travaillons à la création des conditions de la transition démographique à travers la réduction de la mortalité infantile qui entraînera, comme ailleurs, celle de la natalité. Cela nous permettra, sans doute, de bénéficier du dividende démographique. Actuellement, nous sommes le pays qui a le taux de fécondité le plus élevé du monde avec plus de sept (7) enfants par femme. Le taux annuel moyen de croissance de la population est, quant à lui, de 3.9%. Avec un tel taux, la population du Niger doublera tous les 18 ans. Le défi auquel nous sommes confrontés est donc énorme, mais nous sommes déterminés à le surmonter.
D’ailleurs, convaincus que le meilleur préservatif est le développement économique et social, nous mettons en œuvre le programme de Renaissance avec un accent particulier sur le développement des infrastructures, de l’agriculture avec l’initiative 3N, les « Nigériens Nourrissent les Nigériens », la promotion de l’éducation universelle obligatoire et gratuite jusqu’à l’âge de 16 ans avec un accent particulier mis sur la scolarisation de la jeune fille et la formation professionnelle et technique. Le programme de Renaissance met aussi l’accent sur l’accès aux soins de santé, à l’eau potable, à l’assainissement, aux logements sociaux et aux emplois notamment pour les jeunes. Il est évident que le développement de tous ces secteurs aura des effets positifs sur la démographie et inversement. La mise en œuvre du programme est un franc succès. Ainsi, des routes ont été construites permettant le désenclavement intérieur et extérieur du pays.
Une voie de chemin de fer est en cours de réalisation permettant au pays d’être relié aux principaux ports de la sous-région dans le cadre de la grande boucle ferroviaire Lomé-Cotonou- Niamey- Ouagadougou-Abidjan. Un barrage hydro-électrique est en cours réalisation sur le fleuve Niger et une centrale thermique de grande puissance permettra au pays de mettre en valeur ses ressources en charbon. Des réseaux de fibre optique sont déjà installé ou en cours, ce qui permettra de réduire la fracture numérique dans le pays.
Les sécheresses récurrentes que connaît le pays ne se transforment plus en famine grâce à la mise en œuvre de l’initiative « 3N », véritable révolution verte, qui nous a permis de réduire la pauvreté en milieu rural, particulièrement chez les femmes. Cela est d’autant plus important qu’au Niger, la pauvreté est rurale (3 pauvres sur 4 vivent en milieu rural) et féminine (3 pauvres sur 5 sont des femmes). Grâce à l’initiative 3N nous avons atteint l’OMD1, relatif à la réduction de moitié des personnes souffrant de sous alimentation. Selon l’UNICEF, l’atteinte de l’OMD 4 relatif a la réduction de la mortalité infantile due en partie à la malnutrition est également à notre portée. Avec l’initiative 3N, la classe moyenne va de plus en plus s’accroître en milieu rural. La mise en œuvre du programme de Renaissance nous a permis d’améliorer le niveau d’éducation (13303 classes en matériaux définitifs sont réalisées ou en cours en quatre ans comparé à 3000 classes construites sur dix ans entre 2000 et 2010, 42331 enseignants fonctionnaires et contractuels recrutés pour l’enseignement de base et le secondaire), d’accès aux soins de santé (infrastructures sanitaires, recrutements d’agents de santé notamment des médecins dont le nombre est passé de 355 en 2011 à un millier en 2015, approvisionnement en médicament, gratuité des soins pour les couches les plus vulnérables etc…), accès à l’eau et à l’assainissement et de créer des dizaines de milliers d’emplois, notamment pour les jeunes.
Mesdames et Messieurs
Bien qu’handicapé par le climat, le Niger dispose de nombreux atouts pour son développement : institutions démocratiques et état de droit, donnant un cadre juridique protecteur aux investissements directs étrangers, paix et sécurité en dépit des difficultés sécuritaires dans les pays voisins, une population jeune, qui bien formée, est capable d’innovation et de créativité, un sous-sol qui regorge de nombreuses ressources : uranium, charbon, pétrole, gaz, or, fer, étain, phosphates, matériaux de construction. L’exploitation de ces ressources ne doit pas être pour nous une malédiction. Elle doit, au contraire, servir à financer notre développement, notamment le développement agricole. Pour ce faire, nous mettons tout en œuvre pour la mise en place de partenariats équilibrés avec les investisseurs étrangers et pour une gestion transparente dans le cadre de l’Initiative de Transparence des Industries Extractives (ITIE). Par ailleurs, nous mettons tout en œuvre pour mobiliser les ressources internes et améliorer l’efficacité de la dépense publique. Mais, tous nos efforts resteront vains si nous continuons à agir de manière isolée par rapport au reste du continent. Nous ne devons pas oublier les leçons de l’histoire : une de nos faiblesses, c’est notre division. N’oublions pas Darwin : les plus faibles sont toujours la proie des plus forts. Notre survie dépend donc de notre capacité à nous unir.
En effet nous sommes engagés dans une sévère compétition au plan international. Après la première mondialisation dominée par les échanges des biens et des services et la deuxième mondialisation dominée par le capital industriel, nous sommes actuellement à l’heure de la troisième mondialisation caractérisée par la domination du capital financier. Il y a eu, tout au long de ces différentes configurations de la mondialisation, des transferts de richesses du Sud vers le Nord à travers l’échange inégal, le capital industriel avec un transfert massif des dividendes et le capital financier avec un endettement massif des pays engendré par la spéculation financière. Le Sud, à quelques rares exceptions, s’appauvrit, pendant que le Nord s’enrichit. Mais la pauvreté du Sud réduit la consommation mondiale et a des conséquences négatives sur la croissance au Nord. Déjà en 1949, le Président Harry Truman a attiré l’attention sur ce phénomène, je cite : «…il nous faut lancer un nouveau programme qui soit audacieux et qui mette les avantages de notre avance technologique et de notre progrès industriel au service de l’amélioration et de la croissance des régions sous-développées. (..) Leur pauvreté constitue un handicap, tant pour eux que pour les régions les plus prospères. (…)Les Etats-Unis occupent parmi les nations une place prééminente quant au développement des techniques industrielles et scientifiques. (…)
L’expérience montre que notre commerce avec les autres pays s’accroît au fur et à mesure de leurs progrès industriels et économiques. Une production plus grande est la clef de la prospérité et de la paix. ». La vision du Président Truman est d’autant plus pertinente que le monde était déjà dans une crise d’encombrement, c’est à dire dans un moment où il n’y avait déjà plus de nouvelles terres à conquérir, un moment où la résilience des économies développées ne dépend plus de la conquête de nouveaux marchés mais du développement des marchés existants. Il est dommage qu’une aussi excellente vision n’ait jamais été mise en œuvre, la volonté de domination l’ayant emporté sur les impératifs de la solidarité, car l’équilibre dans les relations entre pays garantit mieux la paix que la domination. Malheureusement, chacun s’est organisé pour défendre ses intérêts sans concession. Face aux Etats-Unis avec leur avance technologique et industrielle et une population de 312 millions d’habitants, à l’Union Européenne avec ses 28 pays et ses 500 millions d’habitants, à la Chine et ses 1,357 milliard d’habitants, à l’Inde et ses 1,252 milliard d’habitants etc…., face à ces mastodontes que peut peser le Niger, seul, avec ses 18,5 millions d’habitants ? Dans ce cas, le combat ne sera que celui du pot de terre contre le pot de fer. Par contre, si le Niger s’unit aux autres pays Africains, la donne peut changer. La donne peut changer même si le PIB de l’ensemble des pays Africains ne représente que 75% de celui d’une puissance moyenne comme la France. La donne peut changer même si certains facteurs géographiques handicapent l’Afrique : cinq fois plus vaste que l’Europe dont le climat tempéré par le Gulf Stream a favorisé le développement , elle a des zones côtières nettement moins étendues avec peu de ports naturels, de vastes déserts, de vastes et impénétrables forêts engendrées par des fortes précipitations et des températures élevées, des fleuves (le Nil mis à part) non navigables à cause des chutes et des rapides. La donne peut changer car l’Afrique unie pourra mieux tirer bénéfice de l’exploitation de ses immenses richesses minières, pétrolières, Hydro-électriques dont à peine 5% du potentiel sont exploités, agricoles (selon une étude de la FAO l’Afrique dispose de 60% des terres arables inexploitées) et forestières. La donne peut changer car l’Afrique augmentera ses chances d’industrialisation et donc de sortir du « pacte colonial » qui en a fait un simple réservoir de matières premières. La donne peut changer car le commerce intra-africain pourra mieux se développer.
La donne peut changer parce que le continent pèse en 2014 environ 1 milliard 136 millions d’habitants et pèsera deux milliards d’habitants en 2050. La donne peut changer à condition que la démocratie progresse et que se mettent en place, dans les pays Africains, des institutions démocratiques fortes capables de garantir aux citoyens les mêmes droits et d’exiger d’eux les mêmes devoirs. La donne peut changer si nous mettons fin aux divisions, aux conflits et aux guerres et si nous promouvons la bonne gouvernance. La donne peut changer si nous sortons des frontières héritées de la colonisation, non pas en créant de nouvelles frontières, mais par le haut à travers l’intégration.
Mesdames et Messieurs,
L’élaboration de l’agenda 2063 de l’Union Africaine va dans ce sens. La maîtrise de son destin par l’Afrique, la renaissance culturelle, le panafricanisme, la gouvernance démocratique, la paix et la sécurité, le développement économique et social dans le cadre de l’intégration régionale, l’affirmation de la place de l’Afrique dans le monde en sont les axes majeurs. Le panafricanisme et la renaissance culturelle nous permettront de détribaliser les Africains et de vaincre les forces centrifuges. La promotion des valeurs démocratiques de liberté, d’égalité, de justice et de solidarité cimentera notre unité dans la paix et la sécurité. Sur ces bases, l’Afrique prendra son destin en main et n’attendra plus les solutions à ses problèmes de l’extérieur. Elle se développera par le travail de ses habitants, par le commerce équitable et une moindre dépendance par rapport à l’aide publique au développement. Sur ces bases les pays Africains peuvent asseoir, de manière cohérente, des politiques communes en matière d’infrastructures, d’industries, de commerce, de politique monétaire, budgétaire, fiscale, dans le domaine bancaire et de l’épargne. C’est ce que nous faisons actuellement au niveau de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Sur ces bases, l’Afrique mettra mieux en œuvre le Nouveau Partenariat pour le Développement de l’Afrique (NEPAD). Sur ces bases sera faite la promotion du commerce intra-africain.
Sur ces bases l’Afrique pèsera plus dans les négociations internationales, notamment sur les conditions de son insertion dans la globalisation (elle ne représente aujourd’hui que 2% dans le commerce mondial), sur la gouvernance politique et économique mondiale, sur les règles du commerce, sur le rôle des Etats dans la régulation de tous les marchés, du marché des biens et des services à celui du travail en passant par celui des capitaux ainsi que sur le changement climatique. L’intérêt de l’Afrique et du monde est de revoir le consensus de Washington. La mise en œuvre de ce dernier dans le cadre des programmes d’ajustement structurel à partir des années 1980, a eu des effets désastreux en Afrique notamment au Niger. L’austérité, les libéralisations rapides et sans règles, les privatisations, ont entraîné des coupes drastiques sur les budgets des Etats, notamment ceux affectés aux secteurs sociaux de base, affaibli les administrations, supprimé les subventions à l’agriculture, réduit les salaires des fonctionnaires, provoquant des émeutes de la faim et des grèves, ouvert des secteurs fragiles de l’économie nationale à la concurrence extérieure, liquidé les industries existantes, affaibli les secteurs de la défense et de la sécurité (ce qui explique, en partie l’incapacité de certains Etats Africains à faire face aux menaces terroristes actuelles), créé le chômage, l’exclusion et creusé les inégalités. Celles-ci se sont tellement développé que près de la moitié des richesses mondiales est aujourd’hui détenue par 1% les plus riches, les 99% se partageant la moitié restante. La dictature du marché, la « main invisible », synonyme de déréglementation et donc d’absence de contre-pouvoir, ça ne marche pas : nous en avons eu la preuve au Niger. « La main invisible », conduit aux crises, notamment financières comme celles de 2008. Cette crise a révélé en particulier la déconnexion qui existe entre l’économie réelle et la sphère financière. Des ressources financières d’un montant qui donne le vertige sont orientées vers la spéculation au lieu de servir à financer l’économie réelle notamment dans les pays en développement. Des systèmes bancaires échappant à tout contrôle sont institués. C’est, par exemple, le cas des shadowbanking, système bancaire de l’ « ombre » ou parallèles et les produits dérivés complexes qu’ils fabriquent.
Le monde a besoin d’un autre paradigme, non seulement pour les raisons que je viens d’évoquer mais aussi parce qu’il est exposé à une autre menace, celle liée aux changements climatiques.
L’intérêt de l’Afrique et du monde c’est de revenir à un paradigme de développement proche du consensus de Breton Woods avec un minimum de régulation. Ce paradigme nécessite une nouvelle gouvernance mondiale, une gouvernance démocratique, plus inclusive et équitable. Cela suppose une réforme en profondeur des institutions Internationales, des Nations-Unies au Fonds Monétaire Internationale, en passant par la Banque Mondiale et l’Organisation Mondiale du Commerce. L’Afrique unie doit activement contribuer à cette réforme qui doit permettre de créer un monde plus juste et plus humain.
JE VOUS REMERCIE.