Le dernier otage français dans le monde d’un groupe non étatique vient de recouvrer la liberté au terme de 711 jours de captivité dans la région de Gao au nord du Mali. Le journaliste français Olivier Dubois (48 ans) et l’humanitaire américain Jeffrey Woodke (62 ans) sont arrivés sur le tarmac de l’aéroport de Niamey ce lundi 20 mars vers 15 heures. Le Niger et sa chaine de négociateurs se sont distingués en jouant un rôle majeur dans leur libération.
Même si rien n’a filtré sur les circonstances et les modalités de cette libération « surprise », les choses se sont accélérées ces dernières semaines. Les signaux étaient de faible intensité la première année pour Olivier Dubois arrêté à Gao en allant interviewer Abdallah ag Albakaye, un cadre du Groupe de soutien à l’Islam et aux Musulmans – JNIM – (affilié à Al Qaida) jusqu’à la vidéo de preuve de vie en mars 2022. Il en est autrement pour l’humanitaire de l’association Youth with a mission Jeffrey Woodke installé depuis 1992 à Abalak et pris en otage, le 16 octobre 2016 par des membres présumés du MUJAO.
Les groupes terroristes AQMI, MUJAO principalement avaient dès 2009 mis en place un mécanisme de prise d’otages pour assurer leur survie, renouveler leur armement dont la plupart provenait des pillages des arsenaux libyens après la chute de Kadhafi en 2011. Les premiers rapts étaient indifféremment opérés allant de l’ingénieur humanitaire Michel Germaneau de l’association Enminal (entraide en tamajaq) le 20 avril 2010 aux 7 employés d’Areva à Arlit en 2010 par AQMI en passant par le touriste anglais Edwin Dyer en mai 2009 par le redoutable Abû Zeid.
La question des rançons, même si elle n’est en pareille circonstance jamais éclaircie tant les Etats ou les sociétés employant les otages ne daignent avancer des chiffres, reste un secret de polichinelle savamment gardé par les acteurs de négociations. Même les groupes terroristes à travers leurs canaux de communication Aamaq (Etat Islamique) ou az-Zallaqa (Al Qaida) ne sont guère diserts sur la « moisson » de leur rançon. Ces contreparties sont naturellement indexées sur la « bancabilité » de l’otage en fonction qu’il ait un Etat, une société ou un groupe d’intérêts en soutènement : les raptés sont comme « marchandisés » sous forme de cotations, les prix étant fixés selon les profils. Les Etats ne reconnaissent en revanche jamais payer de rançons (Etats-Unis), entretiennent le flou pour certains (libérer sans renforcer le terrorisme) ou n’éludent pas avoir une fois payé (Italie). Cette situation intenable à long terme a finalement incité le G8 réuni en conclave en Ecosse en juin 2013 de statuer sur le non-paiement pour assécher les sources de financement du terrorisme.
La libération du journaliste Olivier Dubois et par ricochet de Jeffrey Woodke intervient après les échanges que d’aucuns ont jugé malvenus avec un journaliste de la chaine française France 24 qui a envoyé par ses propres canaux 17 questions à Abû Obeida Youssef al Aarabî, un des fondateurs d’AQMI. L’Emir terroriste qui a succédé au chef historique Abdelmalek Droukdel en 2020 confirme l’enlèvement presque fortuit du journaliste d’origine martiniquaise et a fait savoir aux « services français » que la porte des négociations était ouverte. L’espoir peut être permis quand on sait que certains otages comme Germaneau ou Dyer ont fini par être exécutés par le groupe terroriste. Des pistes de négociations étaient ouvertes dès le départ avec l’implication du Haut Conseil Islamique malien de Chérif Ousmane Madani Haïdara dans un vaste programme de négociations avec les groupes terroristes. Mais c’est la stratégie nigérienne qui a finalement pris le pas sur les débuts des tractations maliennes.
Les canaux de négociations nigériens sont utilisés à dessein en raison de la qualité de leurs entregents, des relations filiales et tribales avec le Nord Mali utiles pour accélérer les tractations : les acteurs locaux connaissent le terrain, la psychologie, l’ordre social de l’Adrar des Ifoghas pour servir de passerelles, de relais fiables afin de mener des négociations avec un adversaire souvent déroutant et versatile. Le Niger a toujours joué ce rôle éprouvé à titre humanitaire pour ces employés ou journalistes privés de liberté.
Ces libérations sont à mettre à l’actif du Président Mohamed Bazoum qui a déployé et renforcé le canal de négociations avec pour ambition de préserver la liberté, celle de l’information et de la presse. Il s’agit avant tout de sauvegarder à titre humanitaire un professionnel désarmé qui avait à cœur de faire son métier.
Notre pays s’honore à plus d’un titre de ces bons dénouements qui participent à sa grandeur, la tête de pont de la démocratie dans un Sahel compliqué. Les messages de satisfactions reçus, l’efficacité des services nigériens et les dithyrambes adressés il y a quelques jours par le Secrétaire d’Etat américain Antony Blinken placent le Niger dans une position de leadership où il doit prendre toute sa part dans sa stabilisation du Sahel.
Aboubakar LALO
Analyste des questions de défense et sécurité