Les questions migratoires et la « droitisation » des élites françaises

Dr Souley HASSANE, Philosophe et historien, il est chercheur associé au laboratoire MIGRINTER de l’Université de Poitiers. Ses centres d’intérêts sont aujourd’hui les médias des minorités, les migrations internationales, les diasporas africaines, la géopolitique de l’Afrique, les pratiques contemporaines de l’islam en Afrique. Il participe au projet européen de recherches Minoritymedia à l’Université de Poitiers de 2006 à 2010. Il développe une réflexion critique sur les mobilités contemporaines et les circulations identitaires dans nos sociétés globalisées. Contributeur dans les premiers journaux de l’ère démocratique au Niger, notamment Tribune du peuple et Alternative, il collaborera avec France Culture, Radio France Internationale (RFI), Radio Suisse Romande, France 24 et la BBC. Trois choses lui tiennent à cœur: la liberté d’expression, le respect des droits humains et des relations justes entre le Nord et le Sud de la planète. » Dans ce texte, il met en évidence la complicité des intellectuels français sur la question identitaire et notamment le refus de l’altérité. Au-delà de la France, cette analyse nous renseigne sur l’ampleur du phénomène au plan mondial.

Les élites françaises désignent dans ce texte tous les acteurs qui font l’opinion dans les médias, la politique, la recherche ou toute autre production intellectuelle. Ces hommes et femmes structurent l’opinion française sur les migrations ; ils structurent aussi le comportement des hommes ordinaires qui restituent leur pensée, dans le cercle familial, amical et les sphères de pouvoir.

Ces intellectuels médiatiques, politiques, anciens et nouveaux réactionnaires, de la droite néoconservatrice et de l’extrême-droite fasciste, de la gauche caviar à la gauche halal, tous sont inscrits dans un processus identique de redéfinition de l’autre, l’immigré, celui-là même qui n’est pas français de souche. Celui-là même qui est défini par son étrangeté, une étrangeté transmissible à ses fils et petits-fils.
En dissertant depuis dix ans sur notre étrangeté, ces intellectuels accompagnent le passage de nation française à l’ethnie française. Une espèce monolithique, monoculturelle et monocolore.

En effet, le marqueur emblématique de la droitisation des élites françaises est la transformation du corps social en un « corps ethnique ». En une décennie (septembre 2001-septembre 2011), « l’ethnie française » est en lutte contre des ethnies barbares, noires et arabes notamment.

En cette veille d’élection présidentielle, ce texte pourrait vous accompagner dans l’isoloir. Il est volontairement didactique et récapitule à travers la saga de Sarko et Cie, l’état pitoyable des élites et décrit le processus de leur extrême-droitisation, ses ancrages, ses difficultés et ses désastres sur les personnes « issues » de l’immigration.

Par conséquent, l’objet de cette contribution porte donc, sur les rapports des élites françaises aux populations dites immigrées devenues « Black de France », « Noirs de France », « afroeuropéens », Nord-africains, « Beurs », Maghrébins, ou plus essentialisant, « immigrés » ou Français « issues » de l’immigration. J’interroge de manière critique le regard des élites politiques et médiatiques sur des Français d’autres origines, cultures et croyances.

Je poursuis, également, mon interprétation phénoménologique de la discrimination et tente de comprendre les ressorts et les implications idéologiques et économiques de la résurgence de la xénophobie. L’Europe et la France sont confrontées à une crise identitaire, éthique et morale conjuguée d’une crise économique.

Et l’étranger (même de nationalité française) devient le réceptacle d’une haine distillée dans des discours qui ne scandalisent plus personne. Ces discours se diffusent dans la société française, l’ethnicisent, la tribalisent et finalement la replient sur elle-même. Néanmoins, la France tribalisée et binaire crie mordicus son métissage, son vivre ensemble, ses valeurs « universelles » dont les modalités de l’évocation sonnent comme un aveu d’impuissance d’accepter l’autre, l’immigré, le Noir et l’Arabe et le Musulman.

La diversité faite de Noirs et d’Arabes pose problème à la France et le nouveau visage du racisme se lit aujourd’hui dans la presse, les discours politiques et les gloses intellectuelles. Comme, il y a plus de 50 ans avec les juifs, la stigmatisation redevient une ressource politique manipulée principalement à des fins de politique locale, de conquête et de conservation du pouvoir.

Les événements du 11 septembre 2001 ont libéré une énergie islamophobe et xénophobe planétaire avec des déclinaisons locales, nationales et régionales. Les élites françaises sont ainsi confrontées à un double dilemme, celui de la diversité d’une France mélangée, mixte, entremêlée, métisse et celui de la démolition des fondements humanistes d’une société des droits de l’homme et du respect de la dignité humaine. Dès lors, la quête de la « pureté ethnique » actuelle des élites conduit la France à l’impasse, et de ce fait, justifie en partie ses angoisses, ses peurs voire même sa surconsommation d’antidépresseurs.

1. Le contexte post-11 septembre : de l’islamophobie planétaire à la xénophobie nationale

Ces évènements dramatiques ont libéré trois formes d’énergies négatives. La première fait de la violence, la seule « règle de droit » des puissants face aux pays faibles. Désormais, chaque puissance occidentale donne libre cours à ses visées sur des pays protégés par la loi internationale.
La deuxième énergie négative se déchaîne contre toutes les forces de progrès qui tentent de s’opposer au nouvel ordre mondial, à une société civile mondiale qui s’appuie sur le droit international et l’éthique humaniste pour s’opposer à la « guerre des civilisations » d’Huntington, à la théorie de l’« axe du bien et du mal » et à la « croisade » de Georges Bush et de ses amis néoconservateurs.

La troisième est une énergie de l’indifférence face à des événements jadis scandaleux et la naissance d’une compassion à géométrie variable sous la menace de guerre, d’embargo, d’invasion et de spoliations. L’Irak est aujourd’hui un pays détruit, humilié et dont les richesses sont spoliées. Au fond, c’était cela l’objectif de la guerre : ses mensonges et ses millions de vies non occidentales tuées. Cette énergie négative fait encore des ravages et l’avènement de Barack Obama n’a pas engendré de miracles. Il n’a pas non plus soldé les contentieux des States avec le monde, l’Islam et les Musulmans. Au demeurant, jamais le monde n’a connu une décennie aussi chaotique que celle qui s’achève. Cette décennie a consacré une vision binaire du monde : les bons et les méchants, le mal et le bien, les civilisés et les barbares, les envahis et les envahisseurs, les maudits et les saints etc.

D’un point de vue philosophique et éthique, c’est le règne de la doxa, de la subjectivité, la médiocrité, des préjugés, des mensonges et de l’ignorance comme les outils d’un populisme du désastre. Les relations internationales entament des cycles de régressions successives.

La France aussi a eu son « Irak » : la Libye. Mercenaires, barbouzes et rebelles libyens soutenus par la France et l’OTAN ont re-tribalisé la société. Le désastre est hors de France. Donc il n’existe pas. Les vies autres ne comptent pas, sauf lorsqu’elles sont évoquées par la télé, les journaux dominants et les intellectuels du sérail. La réalité nouvelle est celle voulue et délimitée par les dominants et leurs machines à écraser les aspirations des autres peuples, à les assujettir au nom de la démocratie et de la protection de civils innocents. Et ça marche.

Les « nouveaux réactionnaires » et autres « islamophobes » sont arrivés comme un mauvais cépage, mais aussi comme les artisans de la restriction des libertés individuelles et collectives. Depuis une décennie, la France est travaillée au corps par les idées racistes de très grande intensité et xénophobes d’anciennes et de nouvelles générations.

Quand je suis arrivé en France en 2000, on ne parlait que du Front National et ses virées meurtrières, ses propos antisémites sur les Juifs et les Arabes. Beaucoup plus sur les Juifs d’ailleurs, du meurtre de Ibrahim Ali le Comorien de Marseille, par les colleurs d’affiche du FN. En dix ans, le discours anti-juif a été mis en veille forcée à cause de l’activisme de la minorité nationale juive et d’Israël. L’énergie des antisémites s’est redéployée contre d’autres minorités dont les pays d’origines sont faibles.

Cela coïncidait aussi avec le basculement à droite de la communauté juive américaine, celle-là même qui a longtemps servi de levier, par ses activistes et ses intellectuels, à tirer sur les prédateurs des droits humains. Ce basculement a privé les autres minorités notamment noires d’un soutien théorique et de relais politiques construits par une histoire comparable des souffrances, des pogroms et des apartheids de la société occidentale. Les conflits israélo-palestiniens et le 11 septembre ont détruit ces acquis et plongé des minorités solidaires dans une sorte de concurrence victimaire.

Je me souviens encore des larmes d’Olivier Besancenot chez Ardisson, en 2003, lorsque Roger Cukierman président du CRIF a traité l’extrême gauche d’antisémite. Besancenot n’est pas un antisémite et, l’antisionisme n’est pas l’antisémitisme. Ses larmes traduisent cependant l’offensive d’intellectuels conservateurs contre la frange rebelle et anti-système de la classe politique, pour freiner ses ardeurs pro-palestiniennes et son internationalisme. Les guerres de Bush ( père et fils), les violations des droits élémentaires dans le conflits israélo-palestinien et l’émergence d’Al-qaida ont sapé les relations « évidentes » entre les opprimés Juifs, Noirs et Arabes ouvrant ainsi une saison de divorces, de relations factices et de revirements.

Le divorce idéologique des intellectuels juifs progressistes avec la gauche et les minorités noires et arabes a brisé les barrières de protection des autres minorités. Les voix sentinelles juives qui alertent l’Occident sur ses dérives sont remplacées par les alarmes de détresse et les crimes de guerres des humanitaires à Bagdad, à Gaza et au Darfour. Désormais, le Noir, l’Arabe, le syndicaliste, l’ouvrier, le défenseur des droits de l’homme devenaient, comme aux temps des totalitarismes, des ennemis du nouvel ordre idéologique, religieux et politique.

Cela a réveillé avec force les fondamentalismes religieux, l’intolérance, l’esprit de croisade contre les Musulmans, la haine des Arabes et la xénophobie. Quant à l’antisémitisme, il est mis en veilleuse. Cependant, le potentiel antisémite de la société occidentale reste intact et peut toujours ressurgir contre la communauté juive. Le débat sur le Casher et le Halal est un exemple emblématique. Globalement, aujourd’hui, il est plus facile d’être ouvertement islamophobe qu’antisémite même si la « bête » antisémite somnole toujours dans la société occidentale.

C’est peut-être une autre leçon de la décennie qui s’achève. Et le 11 septembre a donné une sorte « permis de faire » des déclarations publiques d’islamophobie, de xénophobie sous la perception essentialisante des « Musulmans » comme responsables de cette tragédie.

Les discours sur la délinquance, la régulation de l’immigration, les banlieues, la sécurité, l’identité nationale ne sont que les sous-produits idéologiques du 11 septembre qui amplifieront la stigmatisation sociétale des Noirs, des Arabes et des Musulmans. Comme dans le cas des juifs à la veille de la seconde guerre mondiale le racisme et la xénophobie se serviront de la culture des pays d’origine, de la couleur de la peau, de la barbe, des yeux, du voile, du visage, du sexe, de la famille, des rites religieux, des lieux de cultes pour construire de nouvelles modalités d’exclusion et de stigmatisation. Et l’immigré (Arabe, Noir, Musulman etc.) devient l’ « ennemi intérieur » comme les juifs à la veille de la déportation.

De cette ambiance malsaine et maladive, la société dominante n’en a cure : elle n’est pas touchée directement par la xénophobie. Et toute la stratégie des élites de France consiste à ne pas toucher à la France « tribale » blanche. De fait, elle est hors des effets négatifs de cette stigmatisation et traiterait, par moment, Arabes et Noirs de paranoïaques face aux discriminations. Il faudra un jour mesurer l’impact psychologique de cette situation sur les enfants, les adolescents, les hommes et les femmes immigrées et descendants d’immigrés.

Le directeur du journal Le Point, Claude Imbert tenait des propos racistes d’anthologie, le vendredi 24 octobre 2003, sur la chaîne de télévision LCI: « Il faut être honnête. Moi, je suis un peu islamophobe. Cela ne me gêne pas de le dire. (…) J’ai le droit, je ne suis pas le seul dans ce pays à penser que l’islam – je dis bien l’islam, je ne parle même pas des islamistes – en tant que religion apporte une débilité d’archaïsmes divers, apporte une manière de considérer la femme, de déclasser régulièrement la femme » et « en plus un souci de supplanter la loi des Etats par la loi du Coran, qui en effet me rend islamophobe».

L’idée qui fait de l’islamophobie un « droit » et de l’islam une religion « débile et archaïque » est désormais établie dans la société française. En dix ans, de gauche à droite, j’ai entendu politiques, philosophes et journalistes, prononcer ces mots de diverses manières. L’Imbert pense aux anticléricaux d’une part et aux anti-arabes. Et quelque part, on finit par avouer qu’Imbert à simplement verbaliser la pensée de milliers de personnes « innocentes ». Cette revendication d’islamophobie assumée comprend tous les termes de la guerre de civilisations d’Huntington et la théorie de l’axe du mal. Les cultures débiles contre les cultures normales, et les modernes contre les archaïques. Cette thèse ouvre le champ d’une régression théorique, idéologique et philosophique en France, mais surtout déclenche un racisme sociétal, une stigmatisation récurrente de l’Islam et des Musulmans. Et chacun se met à traquer ici et là la bête islamiste (ou islamique) et ce jusqu’au ridicule. Et des débats insipides aux problématiques racistes sur l’identité nationale sont organisés.

La décennie a montré jusqu’où des élites peuvent tomber bas. Mais elle aura aussi été celle du malaise des hommes et des femmes progressistes qui continuent de croire qu’un autre monde est possible. La campagne électorale actuelle a atteint le summum de ses usages racistes et xénophobes. Des journalistes et intellectuels en on même fait un produit marchand, un style de vie et une « valeur médiatique » sûre garantie par l’impunité totale.

2. La xénophobie et l’impunité comme ressources politique des élites

La situation de la France paraît un peu étrange. On connaît les thèses du parti raciste et antisémite de Jean-Marie Lepen. Sa haine des Arabes, des musulmans, des immigrés et des juifs est notoire. C’est la matrice de son idéologie politique et de sa longévité dans l’arène politique française. Il était quasiment le seul sur le créneau de la xénophobie et du racisme. Mais, en 2002, il crée la surprise en arrivant au second tour de l’élection présidentielle, imposant à tous de voter pour Jacques Chirac, l’homme de droite. C’est à ce moment que prend forme idéologiquement le projet politique sarkozyste : reprendre « intelligemment » les idées de Lepen pour conquérir le pouvoir.

Sarkozy s’inspire des méthodes des néoconservateurs américains auxquels il emprunte les réformes sécuritaires et la vision belliciste. Sa mécanique politique, économique et idéologique combine des idées de l’extrême-droite française et celles des néoconservateurs américains. Un mélange « intelligent » des idées de Lepen et des conservateurs néo-pentecôtistes américains. La diabolisation de l’islam, partie centrale de cette idéologie néoconservatrice, a eu un effet désastreux dans la conscience des masses occidentales. Pour ces derniers, c’est le signal explicite de la nouvelle croisade qui commence sur le chemin de Bagdad, passe par Kandahar, s’arrête en Libye et bientôt en Syrie . Avec toujours les mêmes arguments : sauver les peuples arabes et musulmans « sauvages » « archaïques » et surement « débiles » (Imbert) avec main basse sur leurs ressources.

Dans cette « croisade », les élites du sérail donnèrent, depuis dix ans, le pire exemple.
L’opinion française finit par s’approprier d’un racisme public devenu, finalement, un racisme d’Etat dans un pays qui prétend être la patrie des droits de l’homme et des libertés. Parce que pays de la Révolution française de 1789, de mai 1968 et de la solidarité avec le Tiers-monde. Ce pays qui a accueilli les républicains espagnols, des communistes, les islamistes iraniens, les opposants irakiens, des dissidents chinois et soviétiques. Ce pays accueillit Kateb Yacine l’écrivain, Cesare Battisti et l’Ayatollah Khomeiny.

Le pays accueillit Polonais, Hongrois, Argentins, Chiliens, Arabes et Africains fuyant les persécutions. Le France qui donna régulièrement, des décennies durant, des leçons de droits de l’homme à l’Europe et au monde. La France tourne, peu à peu, le dos à cette culture fondée sur l’humanisme universel. La décennie qui s’achève est celle de l’inversion politique et sociale des idéaux fondateurs de la France. Les mouvements progressistes d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine sont stupéfaits face à cette régression des valeurs d’une France qui se droitise sous nos yeux.

Le procès des libertés, du tiers-mondisme et des droits de l’homme est un pas en arrière symbolique de cette période de régression et de dépression des élites. Le procès de la solidarité, de la fraternité et de l’humanisme implique un procès des pauvres et des classes populaires dominées, devient ensuite celui des services sociaux, de l’assistance sociale et même de l’aide humanitaire.

La France entame, ainsi, son projet de société néoconservateur. Ce projet politique, intellectuel, médiatique et économique marque est le marqueur d’une régression identitaire. Une régression qui se formule dans des mots et des politiques contre quelques minorités bien choisies.

En 2005, le thème de la délinquance et de l’insécurité refait surface come si la France n’en jamais connue. La banlieue menacerait la France de sa délinquance et son banditisme. « Les voyous vont disparaître, je mettrai les effectifs qu’il faut, mais on nettoiera la Cité des 4000 ». « Le terme « nettoyer au Kärcher » est le terme qui s’impose, parce qu’il faut nettoyer cela ». En octobre de la même année, à Argenteuil, il re-attaque les jeunes des banlieues en les traitant de racailles : « Vous en avez assez de cette bande de racailles ? Eh bien on va vous en débarrasser ».

L’opinion publique « applaudit» un ministre qui protégerait la France de ses banlieues. Il inaugure une ère de surveillance sécuritaire malgré des lois qui protègent les libertés individuelles et collectives. En avril 2006, il reprend les mots de Jean-Marie Lepen pour stigmatiser les Français « issues » de l’immigration : « S’il y en a que cela gêne d’être en France, qu’il ne se gêne pas pour quitter un pays qu’ils n’aiment pas ». Plus on évolue, plus la convocation de ce registre immonde prend forme, se stylise et se virilise pour ainsi dire. Le candidat produit même un « charme scénique » tant sa théâtralisation du discours séduit les médias et une partie du peuple. Cette situation diffusera un consensus « mou » dans la société sur ces propos xénophobes à venir. La société devient alors « confusément » sarkozyste.

En juin 2006, il traite de la mémoire coloniale en ces termes : « Ceux qui au lieu de se donner du mal pour gagner leur vie préfèrent chercher dans les replis de l’histoire une dette imaginaire que la France aurait contractée à leur égard et qu’à leurs yeux elle n’aurait pas réglée, ceux qui préfèrent attiser la surenchère des mémoires pour exiger une compensation que personne ne leur doit plutôt que de chercher à s’intégrer par l’effort et par le travail, ceux qui n’aiment pas la France, ceux qui exigent tout d’elle sans rien vouloir lui donner je leur dis qu’ils ne sont pas obligés de rester sur le territoire national. ». Il n’épuisera pas les thèmes binaires du « respect de la France » et de la « loyauté » des Français d’origine étrangère et de redéfinir ce que « être français », lui « issu » de l’immigration hongroise. Le candidat Sarkozy aux sommets des sondages ressort déjà un nouveau thème : la polygamie et l’excision.

En février 2007, il martèle : « Et quand on aime la France, on la respecte. On respecte ses règles, c’est-à-dire qu’on n’est pas polygame, on ne pratique pas l’excision sur ses filles, on n’égorge pas le mouton dans son appartement et respecte les règles républicaines ». Ces thèmes émergents visent spécifiquement les Français d’origine africaine. Sarkozy exhume et assume, une fois encore, les thèses racistes locales de la « France pure ». L’étranger défiguré devient ainsi l’ennemi de la France pure et blanche.

En annonçant, en 2007, la création du « Ministère de l’immigration et de l’identité nationale », il comble les électeurs FN. L’appropriation et l’instrumentalisation de cette thématique ségrégationniste, contribuera à faire couler le parti de Lepen, qui demandait à maintes reprises de choisir « l’original » (lui) et de rejeter la « copie » (Sarkozy). L’afflux des anciens membres de l’extrême-droite vers l’UMP contraint le Front National à la faillite, à vendre son siège emblématique pour rembourser les dettes de campagne électorale. Preuve que le discours xénophobe à une fonction électorale qui marche. Et Sarkozy l’utilise mieux que les autres. La xénophobie dans ses discours se structurera autour des Africains et des Arabes et elle s’affinera, s’enrichira et parfois se complexifiera par un usage croisé de stéréotypes et de variables de la stigmatisation.

Le débat sur la Burqa, les minarets suisses et sur l’identité nationale a été lancé par lui entraînant certains socialistes. Ainsi, l’ancien socialiste et ancien ministre de l’intérieur Eric Besson écrivait : « La famille musulmane est polygame et endogame; elle repose sur la loi du clan, et donne ses femmes aux cousins; elle suppose l’enfermement des filles et le choix contraint » .

Nicolas Sarkozy dans Le Monde du 08/12/2009 le surclasse en écrivant que : « Les peuples d’Europe sont accueillants, sont tolérants, c’est dans leur nature et dans leur culture. Mais ils ne veulent pas que leur cadre de vie, leur mode de pensée et de relations sociales soient dénaturés ». « Dans notre pays, où la civilisation chrétienne a laissé une trace aussi profonde (…) tout ce qui pourrait apparaître comme un défi lancé à cet héritage et à ces valeurs condamnerait à l’échec l’instauration si nécessaire d’un islam de France. »

Néanmoins, le « président des riches » , sait tenir sa langue face aux riches arabes et musulmans : c’est peut-être de la realpolik. Sont respectés, princes arabes et musulmans, violant gravement les droits humains élémentaires. J’ai retenu deux citations devant le prince Alwalid Bin Talal Ben Abdulaziz Al Saoud de la république très démocratique d’Arabie Saoudite, neveu du roi Abdallah posant la première pierre de la salle des arts de l’islam du Louvre. Sarkozy était inspiré sans doute par la générosité du prince qui a offert 20 millions d’euros au Louvre ( qu’il aurait dû mettre dans l’amélioration des conditions de vie de son peuple): « La France est l’amie des pays arabes» (…)

«L’islam a porté l’une des plus anciennes et plus prestigieuses civilisations dans le monde» et cette exposition est «l’occasion pour les Français et tous les visiteurs du Louvre de voir que l’islam, c’est le progrès, la science, la finesse, la modernité. (…) Le fanatisme au nom de l’islam est un dévoiement de l’islam», a-t-il dit. «Tuer au nom de l’islam, c’est bafouer l’islam» et «ne pas respecter les droits de la femme au nom de l’islam, c’est bafouer l’islam». Pour l’argent saoudien, la tonalité des propos est à la fois prédicative et publicitaire, en tous les cas, élogieuse et conciliante. Ces élites du sérail manquent de courage devant les riches et l’argent des riches prédateurs du tiers-monde.

Le président français a eu le même comportement devant l’Emir du Qatar, en Arabie Saoudite et devant le président libyen Mouammar Kadhafi. Il a finit par lui faire la guerre et Kadhafi en est mort. Ben Ali et Moubarak étaient traités avec plus d’égard que leurs victimes. Les ryads de Marrakech et les vacances payés par nos dictateurs valaient, souvent, plus que la vie du peuple gémissant de misère et emmuré dans ses sanglots. Ceux-là, ont de moins en moins d’alliés en France et dans le monde. Le peuple n’a eu d’autre choix que de s’immoler en Tunisie pour être entendu. Aux musulmans de France, il sort poing et aux princes arabes et musulmans, il tend la main et glorifie l’islam et la culture arabe. Il aurait fallu que le respect dû aux princes arabes soit le même pour les Musulmans et Arabes de France.

Les peuples africains en savent quelques choses sans autres formes de dessins. Entre les mallettes et les « jembés » remplis d’euros importés d’Afrique à destination des politiques français, il n’y a pas l’once d’une xénophobie. Les élites françaises adorent nos dictateurs parce qu’on peut les « dépouiller » en les prenant pour des débiles. En leur proférant, des « cher papa » comme le faisait le vieux Robert Bourgi, un autre immigré plein d’initiatives. Lorsque le journaliste Pascal Sevran écrit dans son livre Privilèges des jonquilles que « la bite des Noirs est responsable de la misère en Afrique », on s’attendait que les élites de France s’en mêlent. Rien. Lorsque Sarkozy démontre, à Dakar que « l’homme africain n’est pas suffisamment entré dans l’histoire » , l’Afrique crie sa rage et son incompréhension mais élites du sérail ne bougent pas.

Dans une interview au journal Haaretz, Alain Finkielkraut a affirmé que cette équipe est « black-black-black ». En un mot : l’équipe de France est trop noire. Le feu président du Conseil régional du Languedoc-Roussillon, Georges Frêches a dit propos des Noirs de l’équipe de France dans le journal Midi Libre du 16 novembre 2006 : «Dans cette équipe, il y a neuf Blacks sur onze. La normalité serait qu’il y en ait trois ou quatre. Ce serait le reflet de la société. Mais là, s’il y en a autant, c’est parce que les Blancs sont nuls. J’ai honte pour ce pays. Bientôt, il y aura onze Blacks (…) C’est comme dans d’autres secteurs : ça me peine que, pour bâtir, on soit obligé de faire venir des Estoniens, des Lituaniens, des Polonais, des Marocains, des Algériens, des Tunisiens etc. Il y a un certain nombre de gens qui ne participent pas à l’effort national (… ). J’ai honte pour les Français de souche blanche. Avoir une équipe de neuf Noirs sur onze, ça veut dire qu’une grande majorité de Français ne pratiquent plus le football à ce niveau […]».

Chacun va de sa petite formule xénophobe et je ne compte plus les attaques négrophobes ou xénophobes d’hommes intelligents. Il ne faut surtout pas penser les rééduquer. Ce n’est pas un problème pédagogique. La ministre de la Santé et des Sports a traité les membres de l’équipe de France de « caïds » durant la dernière coupe du monde en Afrique du Sud. La banlieue comme référent structurante et essentialisant devient un lieu commun chez les politiques, leurs amis journalistes et leurs intellectuels. Selon « Ivan Rioufol, journaliste sur RTL, dans l’émission « On refait le monde » du 15/07/2009 « La crise des banlieues est une crise ethnique, religieuse, culturelle… » On a déjà entendu ces thèses lors des émeutes des banlieues de 2005. Le philosophe français d’origine polonaise, Alain Finkielkraut disait exactement la même chose en 2005.

L’académicienne française d’origine russe, Hélène Carrère d’Encausse y a même vu l’effet de la « polygamie ». Et ce sont toujours des « fils et filles d’immigrés » qui portent l’attaque en premier. On peut parler d’une véritable fixation sur le Noir comme la nouvelle figure du délinquant errant et menaçant. L’attaque des populations antillaises s’inscrit dans la même logique. Elle est complémentaire à l’attaque des Noirs dans leur ensemble. Une fois encore, il y a un déni d’histoire et de mémoire dans la mécanique de ces discours xénophobes, tolérés, épars, indépendants et dont on voudrait nous imposer qu’ils n’ont aucun liens entre eux. Christophe Barbier, directeur de la rédaction de L’Express écrivait le 18/02/2009 : « Aux Français des tropiques qui veulent travailler à l’antillaise et consommer à la métropolitaine, rappelons qu’il faut labourer la terre arable pour qu’elle lève d’autres moissons que celles du songe et que, hors de la France, les Antilles seraient au mieux une usine à touristes américains, au pire un paradis fiscal rongé par la mafia, ou un Haïti bis ravagé par des « tontons macoutes »(…) » .

L’insupportable devint peu à peu la norme des élites décomplexées face au racisme. Le parfumeur Jean-Paul Guerlain a déclaré sur la télévision publique France 2, le vendredi 15 octobre 2010 : « Pour une fois, je me suis mis à travailler comme un nègre. Je ne sais pas si les nègres ont toujours tellement travaillé, mais enfin…. ». Deux ans après ces propos, il n’a écopé que de 6000 euros d’amende, en mars 2012.

L’alliance militante avec la société dominante se fait attendre. Elle est morte en vérité. Les « communautés noires » de France attendaient, que les élites politiques, intellectuelles et médiatiques réagissent avec une indignation spontanée, rapide et automatique que lorsque des actes antisémites sont posés. Car les racistes haïssent Juifs, Noirs et Arabes. Cette saison d’indifférence illustre une normalisation progressive du racisme anti-noir, anti-arabe et antimusulman en France. Ce consensus et ce silence face au racisme et à la xénophobie concerne bien des hommes et femmes de gauche, de droite, de centre, des humanistes et même des défenseurs des droits de l’homme. Pour le coup, Nicolas Sarkozy et sa droite ne sont pas seuls et ne peuvent être tenus responsables de l’inaction de l’opposition politique, de la presse et des intellectuels. Bref, cette « solidarité impossible » me semble plus inquiétante que le silence calculé de politiciens indignés sélectivement et électoralement.

En 2011, le printemps arabe nous surprend et n’enchante guère les élites françaises. On ne l’a pas attendu et son esthétique gène tout le monde. Les élites du sérail français n’avaient jamais prévu qu’une révolution serait faite par des filles voilées et des hommes barbus, des islamistes et des laïcs tous ensemble pour renverser la dictature. Le printemps arabe gêne les élites françaises parce qu’il est « arabe » c’est-à-dire provenant de quelque chose rendu exécrable en France. Sans oublier l’amitié de certaines personnalités et intellectuels avec des dictateurs comme Ben Ali et Hosni Moubarak. Les Arabes ont mené pourtant leur Révolution sans la tutelle paternaliste des élites françaises de tout bord prêtes à donner des leçons. Sans leurs logos abondant sur les mouvements sociaux. Sans leurs prévisions médiocres sur des sujets appréhendés à partir des préjugés sur les arabes de France. Qu’à cela ne tienne, il y eu plein d’expositions sur le printemps arabe. Ça elles savent le faire. Le climat xénophobe entretenu depuis une décennie expliquait en partie le manque d’emballement des élites. Le « dégage » Moubarak concerne en vérité toutes les élites oppressives.

En mars 2012, la France est encore en campagne : les immigrés redeviennent à nouveau un thème central des élections. Claude Guéant parle de « supériorité des civilisations » et François Fillon d’archaïsme du Casher et du Halal. Mais très vite, ils fendent en excuses pour les Juifs et seulement collatéralement pour les Musulmans. C’est un moment édifiant de l’hypocrisie politique et du double langage raciste et xénophobe. Mais, en vérité, cela montrait que l’antisémitisme est latent dans la société et celui-ci peut ressurgir à tout moment.
On comprend alors que la droitisation de la société française tient de plusieurs cocktails d’idées dont l’antisémitisme, l’anti-arabisme, l’anticléricalisme épidermique, la xénophobie, le racisme, la négrophobie etc. C’est en fait une contre-révolution française qui détruit tous les acquis des idées humanistes et donne une dimension messianique à des entreprises liberticides et réactionnaires. La France et ses élites sont bloquées là. La France est tombée très bas. Il faut l’aider.

Conclusion
La France traverse une crise des élites qui se « droitisent » en développant un racisme et une xénophobie anti-immigrés faciles et impunis. Les populations visées n’ont pas de moyens de défense contre les porteurs des idéologies racistes. La solidarité avec eux devient de plus en plus périlleuse. Mais celle-ci reste nécessaire. Cette situation couvre de honte plus d’un français. La France que j’ai découverte en 2000 était plus combative et encore plus généreuse.

J’ai plusieurs fois participé à des marches de protestation où les Arabes et les Noirs sont minoritaires et d’autres où ils sont majoritaires. Avec eux, quelques irréductibles anticapitalistes, les indécrottables anarchistes et quelques allumés qui en veulent à la France et au monde. Le sentiment de solidarité et de camaraderie était très fort. Nous finissons souvent devant un plat de couscous plein de légumes où les couleurs des mains et des doigts est celle que j’aurai voulu voir sur le drapeau français. Quelques fois, dans un resto miteux où nous refaisons le monde sans se poser la question mortelle réservée aux immigrés : « t’es d’où ? ». J’ai ressenti alors, comme Claude Mckay dans le Marseille des années 30, que la vie est là où est encore la chaleur humaine à l’image de ses doigt bariolés qui plongent et replongent dans une gamelle de couscous.

Il y a eu des jours plus heureux comme ces marches contre la guerre de Bush en 2001 à Marseille: on voyait du tout dans la rue. Des vieux, des jeunes, des Noirs, des Blancs, et de tout. On chantait l’internationale, lisait des formules anarchistes, des versets de Coran, des psaumes communistes ou d’autres formules galvanisantes. Certains marcheurs étaient ingénieux. J’avais suivi caméra au poing un enseignant à vélo, en perruque, en sandales, en chemise, en culotte, avec un gros panneau sur lequel est écrit : « Stop Bush » « Non à la Guerre ».

C’était un personnage qui vous donne la pêche dans ce combat contre le nouvel ordre mondial. Il y avait des voiles, des perruques, des filles en jean, des garçons en basket et des bébés dans leurs poussettes. Sur ces poussettes sont accrochées des messages d’espérance et de lutte. C’était comme cela que je voyais la France. Il y avait beaucoup d’enseignants comme d’habitude et je me disais : on est tous pareil.

Le plus intéressant dans ces moments c’est que les gens parlent avec leur cœur et chacun avait une joie de militer, de lutter et une raison de combattre l’injustice. J’avais l’impression de n’avoir jamais été autre part que dans l’énergie de ces cortèges. J’ai souvent des larmes et de la chair de poule quand j’évoque ces instants de communion, lorsque la marée humaine multicolore inonde les artères de la ville pendant des heures. Je me sens apaisé. J’ai vu de jeunes de toutes les couleurs en transe militante au vu de cette foule de détermination sur la Cannebière. On pensait qu’on pouvait changer le monde entier avec ça. Et à chaque fois, que j’y pense je suis rempli d’une joie immense.

Après, ont succédés des jours tristes comme cette marche devant le siège de l’Union européenne à Bruxelles sur la situation au Togo où nous étions 5 : le désert. Avec nous un drapeau et notre foi. Un vide désespérant. On a finit devant un plat de riz à maudire l’Afrique et ses dictateurs, l’Europe et ses dirigeants hypocrites. Et partout, le désert gagne la militance. La vie devient dure. Et depuis lors, je ne revois, dans mes marches, meetings et événements récréatifs que les mêmes visages brulés par l’asphalte.

Les mêmes irréductibles impuissants mais généreux éternels et à l’infini. J’avais la conviction qu’ils me défendraient avec la même énergie que je le ferai pour eux. Les mêmes irréductibles que je retrouve parfois dans des coins intimistes avec la même dégaine, la même chemise de combat portant une effigie dégarnie du « che » et un chech troué et décoloré : prêts à marcher et à se battre pour la veuve et l’orphelin. Parmi eux, certains n’ont plus de vie de famille pour cause de « militance durable ». Ces gens-là font honneur à la France et m’ont donné envie de chanter la Marseillaise !

En une décennie, j’assistais en fait à l’amenuisement de l’espace de la générosité, de la lutte, du combat et de la tolérance. L’espace de la marche fait peur aujourd’hui : ses caméras et ses immeubles restaurés, ses commerces de consommation sans raison. Des lieux où on entend des bruits de cadis, des chuchotements et des « remerciements » des caissières exténuées et payées au SMIG. La rue est devenue un espace de l’indifférence, du silence et quelques fois de la violence gratuite.

Nous souffrons tous d’une dépression militante causée par cette décennie de revirements et de contradictions. Cette décennie est celle de la déception et de l’égoïsme : la protection du confort personnel et familial et tant pis pour les migrants, les ouvriers et les gueux. Une décennie de déception et d’impuissance où le migrant est devenu synonyme d’Arabes, de Noirs, de Musulmans, de Sans-papiers, de femmes voilées, de mangeurs de halal, des intégristes, des islamistes, des Burqa, des étrangers, des voyous, des délinquants, des débiles et des archaïques.

C’est la décennie des amalgames qui rendent débiles et inintelligents nos amis les plus avertis. Une décennie qui porte l’empreinte d’un désastre et dont les élites droitisées portent une grande responsabilité. Je reste optimiste que c’est de ces errances et de nos souffrances que l’humanisme sera réinventé. Le désir de sa réinvention doit être plus fort que nos égoïsmes et notre confort personnel. Il faudra alors accepter de se battre contre la droite dans les idées, dans la vie et dans les urnes.

Dr Souley HASSANE