L’étoile montante du 7ème art nigérien, Aicha Macky poursuit son petit bonhomme de chemin. Conviée à tous les grands rendez-vous du cinéma à travers le monde, la jeune réalisatrice nigérienne Aicha Macky s’affirme sur la scène cinématographique, grâce à la qualité et l’originalité de ses œuvres. Parlant de son film Zinder, elle a confié à Niger Inter en février 2020 : « partir de la ville où je suis née et où j’ai grandi, le film explorera les origines de la radicalisation qui se propage dans la région du Sahel et les perspectives pour en sortir ». Après avoir visionné ce film, nous pouvons témoigner que la camera de la ‘’briseuse de tabous’’ a su faire voir le vécu de la jeunesse et interpeler tout le monde pour un changement de paradigme.
Niger Inter Hebdo : vous venez de réaliser votre film documentaire sur Zinder. Pourquoi Zinder et que voulez-vous faire découvrir de Zinder ?
Aicha Macky : En 2004, j’ai quitté Zinder ma ville natale pour poursuivre mes études universitaires à Niamey, où je vis actuellement. Mes rapports sont restés distants et mes séjours assez courts pour rendre visite à ma famille.
Zinder me paraissait lointaine mais des échos hideux, voire déshonorants, me parvenaient : viols groupés, bagarres rangées, vols à main armée, des crimes et trafics en tous genres… Des journaux nationaux et internationaux en font leurs choux gras.
C’était des informations dignes d’un film d’horreur pour moi qui ai grandi dans cet espace si paisible au carrefour du Sahel et de la route des caravaniers.
C’était des tableaux sombres, complètement obscurs avec aucune lueur d’espoir. J’aime commencé à m’intéresser au phénomène du ‘’palais’’ en 2013 quand J’ai lu un journal qui caricaturait le marché « DOLÉ » de marché où on vend des armes, un tableau noir qui présente Zinder comme une ville où le crime a atteint son paroxysme.
Ma conscience s’est éveillée en janvier 2015. Je lisais donc sur un bout de journal le Ministre de l’intérieur faisant cas d’un étendard de Boko Haram aperçu lors des émeutes qui ont éclaté à Zinder. Une riposte de la jeunesse zindéroise, ulcérée par les caricatures du Prophète, contre la participation du Président de la République SEM Issoufou Mahamadou à la marche contre le terrorisme à Paris suite à l’attaque de Charlie Hebdo. Et puis les images des émeutes, comme une trainée de poudre sur les réseaux sociaux. Zinder devint alors tristement célèbre.
Les évènements liés aux attentats de Charlie Hebdo ont donné à voir au monde entier cette violence latente. Moi, je me suis intéressée à comprendre qu’est-ce qui pousse des jeunes à être aussi radicaux ?
A travers le film Zinder, je rends compte des maux qui minent la jeunesse, je rends compte du phénomène puisqu’il existe mais tout en ouvrant des perspectives.
Les personnages qui me font pénétrer dans l’univers des gangs et de ces quartiers ostracisés ne se satisfont pas de l’avenir qu’on veut leur destiner. Avec eux nous saisissons de manière sensible l’engrenage dans lequel cette jeunesse semble piégée. Sur plusieurs années, j’ai capté au quotidien leur logique de survie et leurs tentatives pour sortir de l’illégalité et trouver leur place au sein de la société, entre malice, détermination, découragement et inventivité.
Niger Inter Hebdo: Le film a déjà fait le tour le monde. On a l’impression que votre film est déjà plus connu à l’extérieur qu’au Niger. Comment expliquez-vous cette situation ?
Aicha Macky : Quand un film sort, on lui choisit « son destin » en réfléchissant à où il devrait faire son avant-première mondiale. Quand on a la chance de faire une sortie à un festival de type A, ça le fait connaître partout dans le monde grâce aux relais des médias locaux et internationaux sur place. Ça permet de faire connaître l’auteur dans le cercle des partenaires pour un prochain projet.
C’est pour cela qu’on a choisi de le sortir au festival Visions du réel en Suisse, après à Cphdox au Danemark, à Munich dokfest en Allemagne avant de faire l’avant-première nationale à Niamey un mois après.
Il continue sa tournée en Afrique du Sud dans 2 festivals où il a d’ailleurs remporté un prix pour aider au lancement prochain film qui va nous amener inch’allah sur un sujet de femmes : la fistule obstétricale.
Il sera présenté en Juillet à Zinder et plus tard une caravane sillonnera l’ensemble du territoire national pour l’amener dans tous les chefs-lieux de régions
Niger Inter Hebdo : Comment votre film est accueilli et peut-on savoir s’il est déjà inscrit dans l’agenda des grands rendez-vous sur le cinéma à travers le monde ?
Aicha Macky : Je dirais OUI !!! À l’international, il n’y a aucun doute que c’est une œuvre qui fait déjà écho. À un seul festival en Suisse, c’est une trentaine d’articles qui ont été écrits sur le film. En témoigne aussi l’engouement des festivals. Sur le plan national, c’était plus de 2000 personnes qui ont répondu présentes à l’avant-première au Centre Mahatma Gandhi de Niamey. Si on pouvait avoir le Mahatma 10 fois, je suis certaines qu’on pouvait faire guichet fermé 10 fois !
La preuve beaucoup sont retournés sans avoir vu le film puisqu’il n’y avait pas de places. C’était une preuve que la bande annonce a parlé aux gens qui ont eu envie de le voir. Il faut aussi noter que pour d’autres le film ne devait pas avoir comme nom Zinder puisqu’il montre kara-kara.
Sauf qu’évidemment je l’ai appelé ainsi puisque pour moi, de la même façon qu’on pouvait faire un film et montrer nos fiers guerriers, nos belle bâtisses et l’appeler Zinder, de cette même façon on pouvait murer la face cachée de Zinder et l’appeler Zinder.
Oui, Zinder puisque kara-kara c’est aussi Zinder. C’est aussi une façon pour moi de rompre cette frontière artificielle entre « eux » et « nous’’, entre le « fier Zinder’’ et le « Zinder à cacher »
Pour répondre précisément à votre question, je dirais oui le film Zinder est inscrit dans l’agenda des grands Rendez-vous.
Nous avons une dizaine de sélections à l’international que nous vous ferons savoir les jours à venir quand ça sera annoncé officiellement par les festivals. Nous avons aussi des demandes d’autres festivals en cours.
Propos recueillis par Elh. M. Souleymane