Au Burkina Faso, la campagne électorale, qui s’est achevée le vendredi 20 novembre, a révélé deux camps politiques, bien distincts : d’un côté, le bloc compact de l’Alliance des partis de la majorité présidentielle, et, de l’autre, une opposition politique, non seulement, divisée, mais encore, plombée par ses propres faiblesses internes. La multiplication des candidatures des opposants, dispersant les énergies, les moyens et les voix, a creusé aussi la tombe politique des adversaires du président Roch Marc Christian Kabore. Dès lors, il n’était point besoin d’être un devin ni un grand marabout, pour prédire l’issue du scrutin législatif et présidentiel du 22 novembre.
Le Mouvement du peuple pour le progrès (MPP), au pouvoir depuis 2016, a su rester uni, malgré la difficulté à être un parti de gouvernement. Certes, lors des nominations de Premiers ministres et à la formation de chaque équipe gouvernementale, des frustrations ont été exprimées, en interne comme via les medias, mais le MPP et ses alliés n’ont guère enregistré de démission de dirigeants charismatiques, encore moins de départs de masse vers des partis d’opposition. Ils ont su faire bloc derrière le président du Faso.
Cette unité a semblé rassuré l’opinion sur leur leadership. Le bilan du MPP est, à la fois, son atout et son handicap. Au titre du premier : que de services rendus aux uns et aux autres, comme sait, si bien, le faire le président Kaboré, quelques promesses phares tenues, notamment en matière d’infrastructures, ouverture vis-à-vis de l’opposition concernant la gestion de certains dossiers délicats, comme les aspects sécuritaires des élections, etc.
Le handicap embrasse les volets de la gouvernance et l’insécurité. Le parti majoritaire aurait pu mieux faire, en matière de lutte contre la corruption, par exemple, afin de ne pas décourager la jeunesse surtout, très sensible aux injustices, et moteur de l’Insurrection ayant chassé Blaise Compaoré du pouvoir en fin octobre 2014. Quant à l’insécurité, il est difficile de l’imputer à la seule majorité présidentielle, tant son analyse est complexe, dépassant le cadre partisan. Les Forces de défense et de sécurité ont fait de leur mieux, dans la défense du territoire, des personnes et des biens.
Et elles ont payé un lourd tribu à ce devoir sacré, soit 436 morts entre 2016 et la date du 20 novembre 2020. Jamais, le Burkina Faso, depuis l’indépendance en 1960, n’avait perdu autant de soldats. Leur sacrifice mérite respect et reconnaissance de la nation. La population en souffre dans sa chair et dans son âme : 1 229 civils tués, dans le même intervalle. Les 1 049 767 personnes déplacées internes (PDI) représentent l’autre face du drame sécuritaire burkinabè. Le MPP promet de faire de son mieux, et a, apparemment, été convaincant, vu les chiffres en sa faveur qui s’égrènent, au début du dépouillement du scrutin du 22 novembre. Il n’est pas exclu que le coup KO de décembre 2015 se réalise encore.
Face au MPP et alliés, les deux principaux partis de l’opposition, sur la base des dernières élections, l’Union pour le progrès et le changement (UPC) et le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), ont abordé le scrutin de novembre, avec de lourds handicaps internes : guerres fratricides et divisions suicidaires.
UPC : Guerres fratricides
Pour l’UPC, les choses semblent avoir commencé « à se gâter » au lendemain des élections. La défaite de son président, M. Zéphyrin Diabré, aux présidentielles avait été, relativement, amortie par les 33 députés engrangés par ce parti. Que fallait-il faire, face à un MPP, victorieux aux présidentielles, de façon nette, mais vainqueur modeste aux législatives, avec 55 députés sur 127 que compte l’Assemblée nationale du Burkina Faso, donc en deçà de la majorité relative de 64 ? Au moins, deux options possibles :
– négocier avec le MPP, en vue de la formation d’une coalition politique ;
– s’installer, le temps de la législature, dans l’opposition parlementaire.
La première option partait de la solidarité, cultivée entre MPP et UPC, pendant la lutte ayant conduit à l’Insurrection victorieuse d’octobre 2014. Avantages immédiats pour les cadres : conquérir des postes ministériels et des positions de direction leur permettant d’avoir, pour certains, une première expérience de gestion du pouvoir à l’échelle centrale, et se requinquer financièrement, après une campagne qui avait coûté cher à certains candidats, en particulier ceux battus.
La seconde partition politique procurait la première place au sein de l’opposition, avec le titre de Chef de file (CFOP). Officiellement, c’est la voie dans laquelle ce parti s’engageait, avec tous les risques que cela suppose : frustrations de cadres, insuffisance de moyens de motivation, dangers de débauchages individuels, provoqués ou autosuggérés, incompréhensions diverses … La suite allait le démontrer. Cette option a été le point de départ de nombreux départs (sans jeu de mots senghorien) du parti avec un lion sur l’étiquette. Les premiers à partir sont de grosses pointures ou des membres influents du parti : connus du public, une certaine assise électorale et du prestige. La saignée va atteindre son paroxysme avec la scission ou démission déguisée opérée par 13 députés. 13 députés sur 33, cela fait beaucoup ! Parmi les 13, de nombreux « notables », bien implantés dans leurs fiefs. Les « primaires », organisées dans le but de dresser les listes des législatives, allaient déchirer davantage l’UPC, les députés, en fin de mandat, en ayant été écartés. Une nouvelle vague de démissions s’en est suivie, jusque dans les rangs de la direction de la campagne du candidat. Conséquences prévisibles : lors du scrutin du 22 novembre, ceux qui sont partis, et qui se retrouvent aux côtés du MPP et alliés, se sont appliqués à réduire le poids politique de l’UPC, pour :
– d’une part, faire sentir leur importance à leurs anciens camarades ;
– d’autre part, montrer au MPP qu’ils lui apportent un nombre important d’électrices et d’électeurs.
À l’heure qu’il est, les gains électoraux de l’UPC menacent d’être modestes, en deçà de ses résultats de 2015.
CDP : Combien de divisions ?
Quant au CDP, seuls ses dirigeants pourraient expliquer aux Burkinabè leur descente aux enfers actuelle. Depuis l’Insurrection, l’ancien parti au pouvoir ne cesse d’étonner, agréablement, ses adversaires. Chaque étape de sa vie commence et se termine par une nouvelle crise : sa reconstruction, l’élection de son président, le processus de désignation de son candidat aux futures élections… Des démissions, de vives discussions sur les liens à garder avec son président d’honneur Blaise Compaoré, des procès, des invectives entre personnalités, des chocs d’égos désobligeants et des querelles en légitimité concernant le nouveau président du parti rythment la vie du CDP. Bien malin qui pourrait dire la part des militants et sympathisants de ce parti qui :
– restent en son sein et soutiennent, effectivement, le candidat officiel du parti, M. Vend-Venem Eddie Constance Hyacinthe KOMBOIGO.
– sont partis grossir les rangs du nouveau parti, AJIR Ensemble, qui porte la candidature de l’ancien Premier ministre et ancien président de la Commission de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest ‘CEDEAO), M. Kadré D. Ouédraogo ;
– se rangent derrière M. Mohamed Lamine Kouanda, un dissident, qui a fini par créer son parti, début octobre 2020, et qui a appelé à voter le candidat Roch Marc Christian Kaboré ;
– ont rejoint M. Ablassé Ouédraogo, ancien ministre des Affaires étrangères, au parti Le Faso Autrement, qui se targue d’avoir reçu les « encouragements » de Blaise Compaoré ;
– lassés de toutes ces querelles, vont choisir de rallier le MPP, où ils vont retrouver d’anciens camarades du bon vieux temps ;
– rejoindront d’autres camps politiques ;
– dégoutés, vont renoncer à toute action politique.
Le candidat officiel du CDP est, pour l’instant, celui qui s’en tire le mieux dans les urnes, mais loin derrière le président Roch Marc Christian Kaboré.
Les « autres » candidats, au nombre de neuf, semblent faire de la figuration. Parmi eux, l’ancien premier président de la Transition (pendant trois semaines), ancien Premier ministre de la même Transition et général, Yacouba Isaac Zida, retient l’attention : exilé au Canada, il a battu campagne de façon virtuelle. Craignant, à juste raison, d’être arrêté, dès l’aéroport, s’il venait à rentrer au pays, le candidat du Mouvement patriotique du salut (MPS) a préféré cette façon inédite de faire campagne à la prison.
Les résultats pourraient prendre la séquence qui suit : réélection, au premier tour, du président Roch Marc Christian Kaboré, suivi, de loin, par le candidat du CDP, puis par celui de l’UPC. Le CDP, à défaut de revenir au pouvoir, après l’avoir perdu, lors de l’Insurrection d’octobre 2014, raflerait la place de Chef de file de l’opposition, un lot de consolation. Et le MPP aura réussi son pari de second coup KO !
André Marie POUYA