Mahamane Mourtala RABE est ingénieur d’Etat en Recherche Opérationnelle et spécialiste d’aide à la décision sur les questions de politiques économiques. Il a 11 ans d’expérience professionnelle dans la stratégie et analyse du marché télécom, analyse des politiques économiques. Dans cette contribution, il tente de montrer comment la téléphonie pourrait constituer un levier efficace pour la réduction de la pauvreté au Niger.
L’industrie de la téléphonie mobile a connu un essor fulgurant ces dernières décennies et particulièrement en Afrique Subsaharienne (ASS). Aujourd’hui, le mobile de par son omniprésence dans tous les secteurs et sa polyvalence est une technologie innovante dont les retombées sont multisectorielles. La téléphonie mobile contribue à la croissance économique, à l’emploi et à l’inclusion économique et financière notamment en ASS. En effet, des études ont montré que le mobile, en contribuant à la réduction de défaillances de marché, en améliorant les performances éducatives par le processus de supervision et de pédagogie, en facilitant l’inclusion financière et la diffusion de l’information sanitaire, permet d’améliorer le bien-être de la population et donc contribue à l’atténuation de la pauvreté.
Mais le Niger accuse un retard important dans l’adoption du mobile.
En effet, malgré le fort taux de couverture de la population (92% en 2017), la pénétration mobile s’établit à 40,6% en 2017 contre 74,4% pour la moyenne de l’Afrique. Plusieurs raisons expliquent ce retard dans l’adoption du mobile au Niger. La persistance de la pauvreté multidimensionnelle caractérisée par des faibles infrastructures de base dans le domaine de la santé, de l’éducation, de transports et de l’énergie compromet le processus du développement économique et social et à l’adoption du mobile en particulier. A cela, s’ajoute les obstacles liés à l’isolement géographique qui renchérit les coûts de déploiement réseaux, aux faibles qualités et couverture réseau, aux faibles capillarités des points de vente du mobile money notamment, aux contraintes réglementaires et fiscales entravant la diffusion du mobile et amplifiant la fracture numérique.
Pour remédier à toutes ces contraintes qui freinent l’adoption du mobile et permettre à la population de profiter pleinement des avantages du mobile et donc de réduire la pauvreté, il est important de lever ses différents obstacles à tous les niveaux. Afin de proposer des orientations utiles et de permettre à la téléphonie mobile de jouer pleinement son rôle de véritable catalyseur de politiques de réduction de la pauvreté, le gouvernement devrait harmoniser le cadre réglementaire et fiscal du secteur des télécommunications en assurant une meilleure régulation et la bonne gouvernance qui favorise des baisses tarifaires au profit des consommateurs, le partage d’infrastructures et l’interopérabilité des réseaux en vue de minimiser les coûts de déploiement et stimuler les investissements. Le gouvernement doit également promouvoir le partenariat avec certaines institutions (Bailleurs, agences de développement, Banques, institutions de microfinance) et encourager les opérateurs mobiles à proposer des produits et services mobiles innovants (mobile santé, micro-assurance, micro-prêt, mobile épargne) adaptés au profil des populations majoritairement analphabètes, étendre les infrastructures réseaux et développer les réseaux de distribution Mobile Money. Enfin, le gouvernement devrait favoriser une meilleure appropriation des services mobiles en encourageant les transferts sociaux depuis les donateurs via le mobile, l’intégration des modules de formation via le mobile, le paiement de salaires, pensions et scolarités afin d’exploiter pleinement le potentiel de la téléphonie mobile et aboutir à une véritable réduction de la fracture numérique
La téléphonie mobile a connu une expansion rapide dans le monde ces dernières décennies particulièrement en Afrique Sub-Saharienne (ASS). En fin 2018, la GSMA estimait le nombre d’abonnés mobile à plus de cinq milliards dans le monde dont quatre cent cinquante et six millions en ASS. Aujourd’hui, beaucoup s’accorde à dire que la téléphonie mobile a intégré différents secteurs d’activités et son adoption est réelle même chez les ménages pauvres. C’est d’ailleurs ce qui a amené la Banque Mondiale (banque mondiale, 2016) à dire que son omniprésence constitue un outil incontournable du développement de l’économie en Afrique
En effet, plusieurs études ont montré une contribution significative de la téléphonie mobile à la croissance économique, à l’emploi et à l’inclusion économique et financière en ASS. (Banque Mondiale, dividende numérique 2016; Aker, J. C., & Mbiti, I. M. 2010; Hjort, J., & Poulsen, J. 2019). Le Niger n’est pas resté en marge de cette progression de la téléphonie mobile. En effet, avec quatre (04) opérateurs présents dans le secteur, la téléphonie mobile a progressé d’un nombre d’abonnés de plus d’un millions sept cent mille (1 700 000) en 2008 à plus de huit millions sept cent milles (8 700 000) abonnés en 2017. La contribution de ce secteur est d’environ 5% du PIB en 2015. En 2017, près de 92% de la population nigérienne est couverte par le réseau de téléphonie mobile soit environ 17 208 890 habitants (UIT, 2018). Le taux de pénétration mobile au Niger a évolué de 12,4% en 2008 à 40,6% en 2017 soit une progression de 28,2 points sur la période. Ce qui démontre une croissance continue de l’adoption de la téléphonie mobile au Niger même si cette dernière est en encore faible comparée à la moyenne de l’Afrique qui s’établit à 74,4% (UIT, 2018).
Dans un contexte de pauvreté où l’incidence se situerait à 45,4% en 2014 avec le seuil de pauvreté 1,25 dollars par jour, le Niger est classé parmi les Pays les Moins Avancés (PMA). Les faibles infrastructures et faibles accès aux services sociaux de base comme l’éducation, la santé, le transport et l’énergie, font de la pauvreté au Niger un phénomène multidimensionnel. C’est la raison pour laquelle, le gouvernement considère l’agriculture, l’éducation et la santé comme des instruments efficaces de lutte contre la pauvreté.
Cependant, si la pauvreté est un phénomène multidimensionnel entravant le bien-être des populations, la téléphonie mobile de par son omniprésence et sa polyvalence est une technologie innovante dont les gains sont multisectoriels (Bresnahan, T. F., & Trajtenberg, M., 1995). En effet, l’émergence de la téléphonie mobile est perçue comme une réponse à l’atténuation de la fracture numérique et au développement d’autres secteurs socio-économiques (Birba, O., & Diagne, A., 2012 ; Aker, J. C., & Mbiti, I. M., 2010; Aker, J. & Blumenstock, J., 2014). Ce postulat nous amène à soulever un certain nombre de questions: Pourquoi la téléphonie mobile peut être une solution à la réduction de la pauvreté ? Quels sont les obstacles liés à la diffusion de la téléphonie? Et comment les surmonter ? Des éléments de réponses à toutes ces interrogations sont essentielles afin de proposer des orientations pertinentes dans le domaine de la téléphonie permettant l’ajustement de la politique économique centrées sur la réduction de la pauvreté.
Contexte de la téléphonie mobile et pauvreté
La persistance de la pauvreté au Niger est un obstacle majeur à l’adoption du mobile.
Le Niger fait partie des pays les moins avancés (PMA) du monde. Avec l’avènement de la téléphonie mobile, le pays parvient à réduire sa fracture numérique (figure 3). Mais le caractère multidimensionnel de sa pauvreté continue de limiter l’adoption de la téléphonie mobile.
Contexte de la pauvreté au Niger : caractère multidimensionnel
Des multiples facteurs amplifient le phénomène de pauvreté au Niger.
Figurant parmi les pays les plus pauvres de l’ASS, le Niger a réussi à réduire le taux de pauvreté qui s’établit à 45,4% en 2014 (figure 1). Mais, une forte disparité existe en défaveur de la zone rurale (seuil de 52,4%). La population rurale vit principalement de l’Agriculture, secteur qui représente 39,2% du PIB (Banque Mondiale, 2018).
Figure 1 : Auteur, à partir des données Banque Mondiale, 2018
Figure 2 : Auteur, à partir des données Banque Mondiale, 2018
Téléphonie mobile au Niger : état des lieux
La téléphonie mobile est un secteur en croissance au Niger, mais présentant des disparités en termes de couverture réseau en défaveur des zones rurales (figures 3).
Avec l’avènement de la téléphonie mobile qui a vu le jour en 2001, le Niger a franchi une étape importante dans le processus de réduction de la fracture numérique. Mais des disparités persistent en termes de couverture réseau au détriment des zones rurales (rapport annuel de l’ARCEP Niger 2017), ce qui creuse l’inégalité en termes de l’adoption du mobile.
Figure 3: Auteur, à partir des données UIT 2018
La téléphonie au Niger demeure insuffisamment exploitée en raison de la la pauvreté.
La téléphonie mobile a immergé tous les marchés et tous les secteurs d’activités allant de l’agriculture rurale jusqu’au secteur tertiaire. Mais, la persistance de la pauvreté surtout en milieu rural freine l’adoption de la téléphonie mobile. En raison du faible niveau d’alphabétisation établit à 30,5% en 2012 (Banque mondiale), l’utilisation du mobile est principalement limitée aux appels et SMS en particulier chez les populations rurales pauvres (Bagchi, K., Udo, G., 2007). Par ailleurs, le faible niveau de revenu des populations est un facteur qui pourrait limiter l’adoption du mobile au Niger (Piet et al., 2009). En 2017, rien que les dépenses de consommation moyenne annuelle dans les appels téléphoniques se sont établies à 23 000 FCFA par an, soit 12% du PIB/tête.
Figure4: Auteur, à partir des données ARCEP- Niger et INS-Niger
Le mobile contribue au bien-être de la population de par son impact multisectoriel.
En apportant des solutions à l’asymétrie d’information et à la réduction des coûts de transaction (Aker, 2008), à l’inclusion financière (Banque mondiale, 2016), à l’amélioration de la qualité des apprentissages (Aker, Ksoll., 2017), des services de santé (Chong et al., 2013 ; Rockicki, al., 2017) et de la qualité des services publics, la téléphonie mobile contribue à l’amélioration du bien-être de la population dans le domaine de l’agriculture, de l’éducation, de la santé, de l’inclusion financière et des prestations des services publics en général (Aker, 2017).
Le mobile se présente comme une solution aux défaillances de marchés.
Les faibles infrastructures routières et l’éloignement des marchés ruraux sont des facteurs qui rendent l’information couteuse sur les prix des biens et complexifient les transactions commerciales dans les PED. Or la théorie économique a établie depuis longtemps que la recherche de l’efficacité des marchés passe par la réduction des coûts de transaction (North, D. C., & North, D. C., 1992) et la symétrie de l’information (Akerlof, George A).
Dans le contexte du Niger, avec l’arrivée du mobile, la recherche d’information a été facilitée et les coûts liés à l’information sur les prix se sont considérablement réduits (coûts de transport parfois sur de longs trajets, coûts d’opportunité liés au temps passé sur les routes de mauvaises qualités). Dans une étude sur l’impact de la téléphonie mobile sur le fonctionnement des marchés agricoles au Niger, l’auteur (Aker, 2008) a en effet montré que l’utilisation des téléphones a réduit de 50% les coûts de transport et l’asymétrie de l’information et donc réduit la dispersion des prix des céréales d’au moins 10% entre les marchés du pays. Toutes choses égales par ailleurs, cette réduction a permis aussi aux ménages ruraux d’accroître leurs provisions alimentaires. (Jensen, R., 2007) a montré, dans son étude sur le commerce de poissons en Inde, que le développement du mobile a entraîné une réduction de la dispersion des prix entre les différents marchés et plus généralement a permis d’accroitre les revenus des consommateurs et des pêcheurs. (Muto et Yamano, 2009) a fait ressortir que l’augmentation de la participation au marché des producteurs de bananes est liée à l’amélioration de la couverture du mobile. Toutes ces études prouvent que l’adoption de la téléphonie mobile peut contribuer à l’amélioration des conditions de vie des populations en résolvant les problèmes de défaillances des marchés.
Le mobile en tant qu’instrument pédagogique et de supervision améliore la qualité de l’éducation.
La question de l’éduction constitue un défi majeur dans les PED. Il est d’ailleurs dédié un objectif du Développement Durable à l’éducation (ODD4). En effet, le système éducatif dans les PED est confronté à plusieurs difficultés. On enregistre des faibles niveaux d’éducation conjugués avec une faible qualité d’enseignement, des infrastructures éducatives et aussi de grandes disparités. Des études menées par la Banque Mondiale (2016) identifient quatre problématiques majeures pour l’éducation et la formation : problématiques d’infrastructures, d’équité, de qualité, et d’optimisation de la rationalisation des coûts et de financement. Comment le mobile pourrait aider à atténuer ces problématiques relatives à l’éducation en particulier le Niger qui présente le plus faible taux d’alphabétisation de la zone UEMOA (figure 5)?
Dans le domaine de l’éducation, les mobiles sont principalement utilisés comme outil pédagogique dans la salle de classe et comme outil de contrôle de l’assiduité des enseignants et de l’administration des écoles (gestion des fonds, recrutement .etc.). Une importante littérature a prouvé leur efficacité dans la fonction pédagogique et de supervision en améliorant l’assiduité des enseignants et les résultats scolaires. A titre illustratif, les auteurs (Aker, Christopher Ksoll., 2019) ont montré que l’utilisation des téléphones mobiles améliorait la qualité de l’éducation dans des PED comme le Niger. Une autre expérience sur la supervision des écoles été réalisée en Ouganda (Cilliers et al., 2016) où il a constaté que le suivi par le téléphone effectué par le gouvernement réduit l’absentéisme des enseignants combiné avec des incitations financières. D’une manière générale, les résultats obtenus dans la littérature témoignent de l’importance de la téléphonie mobile dans la fonction de supervision et de la pédagogie en permettant une meilleure acquisition de nouvelles compétences et une amélioration de la qualité de l’enseignement. Ce qui pourrait avoir plus d’impact chez les pauvres en réduisant les inégalités en matière d’éducation et par là accroître leur bien-être.
Figure 5: Auteur, à partir des données Banque Mondiale
La diffusion d’information sanitaire par le mobile entraine une amélioration de l’état de santé des populations.
La problématique de la santé est aussi un sujet préoccupant dans les PED, et particulièrement chez les populations rurales pauvres où les infrastructures physiques de bases sont insuffisantes et/ou mal réparties (centres de santé, transport, énergie. Etc.). Le faible revenu des pauvres les conduit souvent à des ‘’dépenses catastrophiques’’[2] afin d’accéder à des services de soins de base, ce qui dégrade davantage leur situation. Ce constat est particulièrement vrai au Niger, où l’accès aux services de santé reste limité (moins de deux médecins pour 100 000 habitants)[3]. A cet effet, l’amélioration de l’état de santé des populations est un préalable pour amorcer le processus de réduction de la pauvreté. S’agissant de la santé et avec tous les obstacles énumérés ci-hauts, comment l’adoption des téléphones mobiles pourrait constituer une solution à l’amélioration de l’état de santé des populations et donc à l’amélioration de leur bien être ?
Il convient de noter que les téléphones mobiles sont principalement utilisés dans les PED pour la communication et la transmission de l’information. En effet, plusieurs études ont montré que l’utilisation des téléphones conduit à l’amélioration des connaissances des populations en matière de santé. Il est constaté que l’envoi des SMS aux mères améliorait les pratiques d’allaitement (Jiang, al., 2014). C’est le cas par exemple au Nigéria, où le service « Mobile Midwife » [sage-femme mobile] diffuse des informations médicales auprès des femmes enceintes, des femmes qui allaitent et leurs familles au moyen de messages vocaux dans la langue locale. Dans le domaine de la santé sexuelle et reproductive, des études ont montré que la diffusion d’information par SMS sur la santé reproductive dans les écoles publiques a entraîné des changements de comportement, une baisse de la prévalence des maladies sexuellement transmissibles et des taux de grossesse auto-déclarés plus faibles (Chong et al 2013 ; Rockicki, al. 2017).
En tant qu’une solution à l’inclusion financière, le Mobile Money devient l’un des instruments le plus prometteur pour lutter contre la pauvreté en Afrique.
En raison des faibles infrastructures financières, du faible niveau de revenu, du niveau d’analphabétisme élevé et de l’asymétrie d’information, la majorité des pauvres se trouve exclus des systèmes financiers traditionnels (les banques). Comment la téléphonie mobile pourrait dans ce cas contribuer à l’inclusion financière des pauvres particulièrement au Niger où le taux de bancarisation reste encore très faible à 5% (BCEAO)?
L’apparition de la technologie du Mobile Money (MM) est une innovation majeure dans l’écosystème numérique. Le MM a rendu possible différents types de transferts d’argent, notamment « People to People » (P2P) pour le transfert des fonds, « Government to people » (G2P), pour des prestations sociales, le « Business to people » (B2P) pour les paiements des salaires, « People to business » (P2B) pour les paiements de factures, et « People to Government » (P2G) pour les paiements d’impôts. Il permet d’effectuer des transferts de stocker de l’argent, d’épargner et même d’emprunter dans le cas du « Mobile Banking ». Par ailleurs, le MM permet aux ménages de s’auto assurer contre les chocs en permettant une épargne de précaution (stockage d’argent sur le compte MM) mais également le partage des risques en facilitant les transferts lorsque des chocs adverses arrivent (Jack et suri, 2014). Le MM permet aussi la collecte d’information sur la solvabilité des ménages et ainsi de réduire l’asymétrie d’information qui les exclus du système bancaire. Le MM devient donc un préalable au mobile Banking (Björkegren, Daniel et Darrell Grissen, 2018 ; Suri, T., 2017). Mais notons que le P2P est le transfert le plus commun dans la plupart des PED car devenu aujourd’hui un vecteur indispensable des politiques de protection sociales (Aker et al., 2016). Une étude au Niger a mis en évidence l’impact de transfert mobile qui a permis la réduction des coûts de l’organisme d’exécution pour le décaissement des transferts et ceux des bénéficiaires du programme par rapport au mécanisme de transferts manuels (Aker et al., 2016). Cette expérience a aussi prouvé une amélioration (9 à 16% plus élevé) du régime alimentaire des ménages bénéficiaires de transferts mobiles par rapport aux ménages recevant les transferts manuels. Les transferts mobiles permettent aussi aux ménages bénéficiaires de lisser leur consommation en cas de choc en augmentant la fréquence et le montant grâce à la réduction des coûts de transfert (Jack et Suri, 2014 ; Aker et Blumenstock, 2014 ; Blumenstock et al., 2016). Une autre étude a montré que le mécanisme des transferts d’argent via le mobile serait plus rentable que celui des transferts de la monnaie fiduciaire par les institutions de microfinance (Pantaleo Creti, 2014). Bien d’autres expériences ont prouvé que l’introduction de MM dans de nombreux PED offre de nouvelles possibilités de distribution des transferts de fonds en améliorant l’inclusion financière en assurant une plus grande transparence.
Effets de la téléphonie mobile sur la qualité des services publics (gouvernance)
L’utilisation du mobile contribue à l’amélioration des prestations des services publics.
La qualité de la gouvernance influe largement sur les perspectives d’évolution de la pauvreté (La Porta et al., 1999). La bonne gouvernance est un instrument important de politiques nationales de lutte contre la pauvreté. Mais l’importance de l’asymétrie informationnelle, des coûts de transactions élevés et la faiblesse des institutions fragilisent les PED dans la fourniture des services publics qui sont indispensables aux populations, en particulier les populations vulnérables (Aker, 2017). Au Niger, l’immensité du pays (1 267 000 km2) et les faibles infrastructures physiques et numériques (numérique, électricité, routes) complexifient davantage la situation. Ce qui a pour conséquence de rendre l’administration moins performante. Dans ce contexte la téléphonie mobile a –t-elle encore ce potentiel d’améliorer la performance administrative ?
En effet, la téléphonie mobile en tant que technologie numérique la plus omniprésente facilite la diffusion de l’information fournie par les services publics tout en réduisant les coûts d’information. Des expériences dans le domaine de la santé ont montré l’importance de l’utilisation du mobile qui permet d’assurer grâce aux health workers[4] une plus grande efficacité des interventions dans la promotion de la santé (tabagisme et activité physique) par l’adaptation et la personnalisation des SMS (Head, K. J., Noar, S. M., Iannarino, N. T., et Harrington, N. G., 2013). Cette pratique pourrait contribuer à l’amélioration du suivi des citoyens grâce à un retour d’information régulier sur la qualité du service mais aussi par les gouvernements grâce à un meilleur management des agents publics et la coordination des citoyens (Banque Mondiale 2016). En outre, les téléphones mobiles pourraient réduire le coût de la collecte, du traitement et de la diffusion de l’information (Aker 2010 ; Aker et Blumenstock 2014 ; Aker, Ghosh et Burrell 2016).
D’une manière générale, la téléphonie mobile contribue à réduire l’asymétrie d’information entre les citoyens et le gouvernement, faciliter la diffusion des informations utiles tout en réduisant les coûts et améliorer la transparence dans la gestion des affaires publiques. Ce qui permet l’accroitre la performance des administrations publiques ainsi que les prestations des services publics.
De nombreux obstacles entravent la diffusion du mobile liés aux faibles couvertures réseaux et capillarités de points de vente, à l’isolement géographique et aux déficits de l’infrastructure de connectivité nationale ainsi qu’aux contraintes réglementaires et fiscales. Mais des solutions existent dont la mise en œuvre permettra de relever les défis.
Le mobile en Afrique est victime de nombreuses contraintes qui freinent son développement.
En dépit des faibles infrastructures (énergie, transport), Il est clair que des efforts ont été consentis par les opérateurs de téléphonie mobile dans la fourniture des services mobiles. Mais des contraintes majeures subsistent freinant ainsi le développement de l’industrie mobile. Ces contraintes ont des effets aussi bien chez les consommateurs que chez les opérateurs mobiles.
Faibles qualités et couverture réseaux :
La faible couverture réseau en milieu rural est probablement l’obstacle majeur à la diffusion des services mobiles. Si les milieux urbains ont une couverture proche de 100%, les zones rurales se trouvent marginaliser à cause d’une couverture réseau faible ou inexistante (ARCEP Niger 2017)[5]. Cette disparité est de nature à amplifier les inégalités entre les riches qui vivent en milieu urbain et profitant plus des avantages du mobile et la majorité des pauvres qui sont concentrés en zones rurales (banque mondiale, 2016). En plus, la faiblesse des infrastructures en technologie 3G se traduit par une mauvaise qualité. Ce qui a pour conséquence la limitation de la diffusion des services mobiles au Niger (faible taux de pénétration internet 10,2% en 2017)[6].
Déficit de l’infrastructure de connectivité nationale
Dans les pays enclavés comme le Niger, le déficit en infrastructures de connectivité terrestre, notamment les points d’échanges internet[7] et data center[8] est un frein réel à l’adoption du mobile (Schumann & Kende, 2013). Ce qui a un impact sur la souveraineté numérique du pays qui se traduit par la latence, des coûts plus élevés, une dégradation de la bande passante et une dépendance aux câbles Sous-marin (CSM). Par ailleurs, si le déploiement des CSM à partir de 2009 a permis de réduire la vulnérabilité liée à l’isolement géographique et donc à la fracture numérique en ASS (Cariolle J., 2020), les ruptures des CSM fragilisent la connectivité dont les coûts de rétablissement sont supportés par les opérateurs mobiles (Cariolle J., 2018). Ces coûts exorbitants sont susceptibles de se répercuter à travers une tarification plus élevée des services mobiles. Ce qui a pour conséquence de limiter l’adoption et d’accroître les inégalités en matière d’accès aux services mobiles.
Faibles capillarités du réseau des points de vente :
La faiblesse de la couverture réseau ainsi que l’isolement géographique sont une conséquence à la faible capillarité du réseau des points de vente des opérateurs mobiles impliquant ainsi une insuffisance et/ou absence d’offre de services mobiles. Ceci est d’autant plus vrai avec le réseau du mobile money au Niger qui présente une faible capillarité[9] en zone rurale en raison de la faible couverture internet et aussi à l’absence d’agent mobile dans ces zones. Ce qui constitue un frein au développement du mobile money et d’autres services mobiles.
Coûts d’accessibilité élevés des services mobiles :
Dans un pays comme le Niger où la pauvreté persiste, les coûts d’accès aux services mobiles peuvent se révéler problématiques. Une étude (Deloitte, 2016) révèle que 47% du revenu national brut (RNB) par habitant au Niger représente le coût mensuel moyen de l’utilisation des services vocaux alors qu’il est de 14% en moyenne dans certains pays les moins avancés (PMA). Ces coûts élevés sont un obstacle certain à la diminution de la fracture numérique dans les PED, en particulier le Niger.
Contraintes fiscales et règlementaires :
En raison du chiffre d’affaires important réalisé dans le secteur des télécommunications, bon nombre de pays y voient une opportunité d’accroître considérablement leurs recettes fiscales. Ainsi, la fiscalité est devenue de plus en plus contraignante chez les opérateurs mobiles et les consommateurs. Selon le rapport de GSMA 2017, le Niger enregistre dans le secteur, l’un des taux de prélèvement fiscal le plus élevé de la région (6,5% des recettes du secteur). En dehors de la fiscalité générale, les consommateurs et les opérateurs sont soumis à neuf taxes et redevances règlementaires spécifiques au secteur dont les taxes sur l’utilisation du réseau mobile (TURTEL), la taxe de terminaison sur le trafic international entrant (TATTIE). Ces mesures ne respectant pas les bonnes pratiques en matière de taxation définies par les la Banque Mondiale et le FMI (GSMA, 2017) engendrent des distorsions fiscales et ont des conséquences néfastes surtout chez les populations pauvres. Cela se traduit par une hausse du système des prix et une diminution de la qualité du réseau. Du point de vue des opérateurs mobiles ces mesures spécifiques de taxation pourraient freiner les investissements dans le secteur, défavoriser l’incitation à accroitre la couverture réseau dans les zones les moins rentables. Ce qui a pour conséquence la limitation à l’adoption du mobile.
Faible niveau d’alphabétisation :
A cause du niveau élevé d’analphabétisme en ASS, Les populations utilisent essentiellement les services mobiles pour les communications vocales. Les SMS et l’internet sont moins utilisés. Le Niger enregistre l’un des taux d’analphabétisation les plus élevés d’ASS. Or l’utilisation de certains services mobiles requiert certaines compétences et connaissances. D’où une grande partie des populations pauvres ne profite pas de certains avantages qu’offres les services mobiles comme les services mobiles money et de santé mobile (banque mondiale, 2016).
Comment surmonter les obstacles à la diffusion de la téléphonie mobile et renforcer son impact sur la réduction de la pauvreté?
Une réelle intégration du mobile comme instrument de l’action publique, le développement des réseaux mobiles ainsi que des services mobiles accessibles aux ménages et leurs mises à l’échelle pourraient constituer un levier efficace pour l’amélioration des conditions de vie des populations. Par ailleurs une meilleure régulation du secteur des télécommunications, l’harmonisation du cadre fiscale ainsi que le développement du partenariat avec certaines institutions permettraient l’amélioration de l’écosystème du mobile et favoriseraient ainsi la réduction de la pauvreté.
Intégration de la téléphonie mobile comme instrument de l’action publique :
La dimension multisectorielle de la téléphonie mobile fait de cette dernière un instrument précieux de l’action publique dans les domaines de la santé, de l’éducation, de l’agriculture et de l’inclusion financière. Ainsi, l’intégration des modules de formation en éducation et santé à l’usage du téléphone mobile, du mobile money pour le paiement des frais de scolarité pour les ménages ruraux, les transferts sociaux directement aux ménages par les donateurs ou pour le paiement des salaires et pensions par le gouvernement comme au Kenya (Aron, 2018) dans les zones rurales est une condition à l’appropriation de cette technologie et aboutir à une transformation substantielle des conditions de vie des populations (Aker, J., Gupta, S., Keem, M., Shah, A., Verdier, G).
Harmonisation du cadre de la fiscalité du secteur des télécommunications:
Les gouvernements des pays en développement pourraient inciter les opérateurs de téléphonie mobile en créant un environnement plus favorable à l’investissement. La réduction par exemple des redevances règlementaires chez les opérateurs mobiles peut les inciter à étendre leur réseau mobile (voix et internet) dans les zones non desservies (Deloitte, 2017). Cette politique permettra de réduire la fracture numérique et favoriser ainsi une plus grande adoption chez les pauvres. Par exemple, les producteurs et les consommateurs auront plus accès à l’information sur les différents marchés, ce qui leur permettra de réduire les coûts de transaction et améliorer ainsi leur bien-être. Par ailleurs, la suppression et/ou la réduction de certaines taxes spécifiques au secteur comme la (TATTIE[10], TURTEL[11]) implique moins de distorsion et pourrait entrainer des baisses tarifaires au profit des consommateurs en particulier les pauvres (Deloitte, 2017). Ce qui favoriserait une plus grande accessibilité des services mobiles notamment chez les populations pauvres.
Meilleure régulation du secteur des télécommunications :
Le gouvernement doit créer un environnement réglementaire plus adéquat qui encourage l’entrée des nouveaux acteurs (attribution des licences, conditions tarifaires…etc.) et favorise des baisses tarifaires. Il pourrait aussi assurer les conditions de fourniture des services de colocation et de raccordement afin de minimiser les coûts de déploiement réseau. Ce qui permettra de réduire les coûts des services mobiles et facilitera ainsi une plus grande adoption par la population. Par ailleurs, le gouvernement doit veiller à une meilleure régulation du secteur. La régulation du secteur doit veiller à la transparence, aux conditions du marché ainsi qu’à la conformité sur la qualité du réseau.
Conclusion et recommandations
A l’instar des autres pays de l’Afrique Subsaharienne (ASS), le Niger accuse un retard assez important dans l’adoption de la téléphonie mobile. Il est clair qu’aujourd’hui, le mobile en contribuant à la réduction de défaillances de marché, en améliorant les performances éducatives par le processus de supervision et de pédagogie, en facilitant l’inclusion financière et la diffusion de l’information sanitaire, permet d’améliorer le bien-être de la population.
Cependant, au-delà de la persistance de la pauvreté au Niger, des obstacles majeurs entravent la diffusion du mobile liés aux faibles qualités et couverture réseau, à l’isolement géographique et aux déficits de l’infrastructure de connectivité (IXP, data center), aux faibles couvertures réseaux de points de ventes et d’agents mobile money ainsi qu’aux contraintes réglementaires et fiscales.
Pour surmonter ces obstacles et proposer des orientations utiles et de permettre à la téléphonie mobile de jouer pleinement son rôle de véritable catalyseur de politiques de réduction de la pauvreté, nous formulons les recommandations suivantes:
- Harmoniser le cadre fiscal du secteur du mobile en assurant une meilleure régulation et une bonne gouvernance qui favorise des baisses tarifaires au profit des consommateurs (suppression et/ou réduction de certaines taxes comme TATTIE, TURTEL et redevances) ;
- Promouvoir le PPP et des nouveaux modèles d’offres d’infrastructures (connectivité backbone[13], points d’échange internet et data center) afin de faciliter le déploiement optimal du réseau haut débit notamment dans les zones mal desservies;
- Adopter les meilleures pratiques en matière de partage des infrastructures et de l’interopérabilité, en vue de minimiser les coûts de déploiement, stimuler les investissements et améliorer l’extension et la qualité réseau ;
- Encourager l’appropriation du mobile dans les actions publiques à travers l’intégration dans des plateformes des modules de formation pour l’éducation et la santé, de paiement de salaires et pensions, des frais de scolarité ainsi les transferts sociaux directement aux ménages par les donateurs via les services mobile money ;
- Favoriser le développement et l’extension des services mobile money adaptés au profil des populations comme des services de micro-épargne mobile et micro-assurance mobile (assurance santé mobile, soins maternité) notamment en zones rurales.
- Fournir des incitations (réduction sur le paiement des frais de licence) aux opérateurs pour les encourager à fournir des services dans des zones rurales les moins rentables.
Mahamane Mourtala RABE
[1] Données Banque mondiale 2012
[2]CERDI- FERDI, 2019-2020
[3] Données INS Niger
[4] Agents de santé.
[5] Rapport annuel 2017 ARCEP-Niger
[6] Données UIT
[7] Point d’échange internet (IXP) est une infrastructure physique permettant aux fournisseurs d’accès internet (FAI) d’échanger du trafic internet entre leurs réseaux du système autonome grâce à des accords mutuels ; le recours aux IXP permet d’optimiser la latence, les coûts et la bande passante.
[8] Un data center est un lieu physique contenant des serveurs informatiques qui stockent les données numériques.
[9] La capillarité est la densité en termes de couverture en points de vente des services mobiles (Mobile money)
[10] Taxe sur la Terminaison du Trafic International Entrant
[11] Taxe sur l’utilisation du réseau des télécommunications
[12] Un pays désenclavé numériquement
[13] Cœur du réseau internet à ligne très haut débit constitué de câbles à fibres optiques et liaisons satellites qui permet de desservir des zones plus isolées.