Enseignant chercheur et clinicien à la fois, Dr Laouali Moussa imbu des expériences des systèmes de santé d’autres pays, pourrait avoir un regard décisif pour inverser la tendance dans notre pays en matière d’éducation et de santé. PCA de la polyclinique Raouda de Tahoua, il partage ici son expérience tout en jetant un regard critique sur nos services de santé. Interview.
Niger Inter : Présentez à nos lecteurs et internautes.
Dr Laouali Moussa : Je suis Dr Laouali Moussa. J’ai fait mes études primaires à Maradi et le Lycée à Tahoua. A propos de mon cursus universitaire, je suis titulaire de deux doctorats. J’avais fait mon premier doctorat à l’université de Maiduguri au Nigeria (UNIMAID), puis un deuxième à l’université de Massachusetts dans une ville qu’on appelle Amherst (UMASS). Entre temps, j’avais fait également un master et un bachelor à Weston Salem State University (WSSU) aux USA dans l’Etat de Caroline du Nord (NC). J’ai fini mes études comme major de ma promotion. J’ai également reçu des certificats d’honneur respectivement à Winston Salem State University certificate of Honor for “Outstanding Academic Achievement, Contribution to Community Service & Scholarly Research” . Et aussi à Winston Salem State University certificate of Honors for” Superior Academic Achievement”.
J’ai exercé au Wake Forest University Baptist Medical Center qui est un des meilleurs hôpitaux aux USA pendant 4 ans dans la spécialité des ‘’intensive care Unit’’ (ICU) ou soins intensifs. J’ai aussi exercé dans le privé ‘’Geriatric primary care’’ en dehors de l’hôpital pendant quelques années. J’étais professeur à Winston Salem State University pendant 4 ans également et servait en même temps comme assistant Medical Director à titre bénévole à ‘’Triad Free Health Clinic ‘‘ qui est une clinique pour des soins gratuits qu’on faisait dans la région où j’étais en Caroline du Nord. Je dois aussi dire que je sers actuellement comme professeur à King Saud University à Riyad en Arabie Saoudite et concomitamment je suis aussi Professeur plein a Walden University au Minnesota, USA. A ce niveau, je dois mentionner que j’étais honoré de recevoir plusieurs awards en Arabie Saudite et aux USA. Notamment le 14 Juiilet 2017, j’ai été honoré de recevoir le trophée/Award du Meilleur professor a Walden Univeristy, ce qui inclut « excellence in teaching, research and commitment to social change »et aussi Laureate International Universities 2017 “ Here For Good” award. J’ai été « keynote speaker » à plusieurs conferences internationales, en chine, aux USA, Saudi Arabia et Africa. Je suis auteur de plusieurs publications d’articles et du livre intitulé « An e-health approach to foster Diabetic Knowledge of African American ISBN 978-3-639-71672-6” publié par Scholar press, USA. Je sers par ailleurs comme bénévole en tant que Président du Conseil d’administration de l’ONG Raouda/polyclinic Raouda. J’étais d’ailleurs récemment en mission dans ce cadre à Tahoua, Illéla et Konni.
Niger Inter : Justement votre ONG Raouda a mis en place une polyclinique à Tahoua. Peut-on savoir vos objectifs et les services offerts par votre polyclinique ?
Dr Laouali Moussa : La polyclinique Raouda c’est une structure à but non lucratif exclusivement construite par Elhadji Moussa Rambazo qui voudrait aider la population de Tahoua et du Niger en général à travers cette initiative. Nous avons un certain nombre de services médicaux que nous offrons tels que obstétricales, ophtalmologiques, pédiatriques et bien d’autres spécialités. Cette clinique avait ouvert ses portes en novembre 2015 et à la date d’aujourd’hui nous avons le privilège de servir plus de 10 000 patients par an. Dans les six (6) mois passés plus de 30 chirurgies ont été faites. Nous envisageons à lancer un centre de cardiologie, ce serait très certainement l’un des premiers à voir le jour ici au Niger. C’est en tous cas l’une de nos ambitions. Je dois dire que nous avons également un centre de santé mobile « Mobile Health Care Center » que nous utilisons pour que d’autres couches sociales puissent avoir accès à nos services. Notre objectif c’est de servir la population, éviter les évacuations qui sont très onéreuses en apportant des services de qualité à la portée des populations. Il y a des soins gratuits au sein de la polyclinique Raouda, d’autres à des couts dérisoires pour justement les rendre accessibles aux couches les plus défavorisées.
Niger Inter : Qu’est-ce qui fait la spécificité de la polyclinique Raouda ?
Dr Laouali Moussa : Je dois préciser en disant que notre but c’est d’éviter aussi les évacuations sanitaires pas seulement de Tahoua à Niamey mais du Niger à l’extérieur ce qui est la règle dans beaucoup de cas pour des services qu’on peut offrir ici même au pays. Très souvent ce qui fait partir les gens à l’extérieur c’est très souvent l’environnement dans lequel les soins sont opérés. Pour pallier à ce problème d’évacuation, en plus des expertises dont nous disposons au niveau national, nos médecins et nos infirmiers travaillent en collaboration avec des équipes qui travaillent à l’extérieur du pays. A travers la télémédecine, un concept plus ou moins nouveau, nos partenaires spécialistes peuvent à partir de l’Arabie Saoudite ou les Etats-Unis donner un point de vue technique aux médecins qui sont sur place. Mais aussi nous avons créé un environnement standard avec des chambres climatisées 24/24 et toutes les commodités requises selon les standards internationaux. Nous avons bien évidemment un service d’accueil qui répond aux normes de la qualité pour accommoder les patients et leurs accompagnateurs. Je dois préciser également que la polyclinique Raouda dispose d’un service VIP car nous avons des services pour recevoir nos concitoyens aisés qui ont tendance à aller à l’extérieur pour se consulter.
Niger Inter : A vous entendre, beaucoup voudraient bien avoir des précisions sur vos services et comment y accéder…
Dr Laouali Moussa : Nous disposons des services ophtalmologiques où nous pouvons faire le dépistage, les diagnostics et aussi des opérations contre la cataracte et envisageons de commencer les chirurgies ophtalmologiques sur place et aussi mobiles. Nous avons aussi des services obstétrico- gynécologiques où les femmes peuvent accoucher ou prises en charge pour des complications. Il faut dire que les couts des opérations chez nous sont de loin plus accessibles que ce qu’on offre ailleurs. Mais je rappelle encore une fois nous n’avons pas une vocation lucrative. Nous avons aussi des services d’urgence, des services des soins intensifs, des services pédiatriques entre autres.
Niger Inter : Vous avez dit clairement que votre l’Ong Raouda a une vision humanitaire alors est-ce à dire que vos services sont accessibles aux patients démunis ?
Dr Laouali Moussa : En effet, je tiens à réitérer que notre objectif est humanitaire. Nous traitons nos patients au cas par cas. Par exemple une femme qui doit subir une césarienne, si elle n’a pas d’argent ou elle n’a qu’une partie de la somme due alors elle bénéficiera de nos soins car ces cas ont été prévus et pris en charge. Ne pas avoir d’argent ne vous prive pas des soins à la polyclinique Raouda. Le fondateur voudrait servir la population. Il n’y a aucun doute à ce niveau. Les populations bénéficiaires peuvent mieux témoigner. A ce niveau je voudrais souligner que nous avons servi récemment plus de 1200 patients gratuitement à Tahoua, Illéla et Konni dans la période du 22 au 25 juillet 2017. Les prestations incluent également la sensibilisation des populations sur leur santé et comment prendre soin d’eux-mêmes à travers l’hygiène, la nutrition etc., dépistage pour le VIH, Hépatites, Diabètes, Tension artériel, consultation, et médicaments pour les maladies suivantes : ulcères, antibiotiques, multivitamines, anti-Hypertenssive, Hypoglycemic , Non-steroidal antiinflamatory etc, tous gratuitement. Et c’est la troisième fois que nous offrons ce genre de service dans une année et nous comptons continuer dans ce sens. Je dois ajouter que nous faisons cela sur fonds propres et nous opérons aussi sur fonds propres sans aucun appui financier extérieur. Cela est très important comme initiative dans un pays où les priorités sont multiples.
Niger Inter : Avec votre expérience internationale quelle est votre regard sur notre système de santé au plan national ?
Dr Laouali Moussa : Je dois dire avec humilité que j’ai eu la chance d’avoir accès à beaucoup de systèmes sanitaires de par le monde. Par exemple, j’ai eu à travailler avec des chinois pour avoir travaillé avec University of Hubei Chinese Medicine, Wuhan, China, en tant que clinicien et enseignant chercheur. J’ai également l’expérience des systèmes de santé saoudien et des émirats arabes. Dans le même cadre j’ai plus de dix ans d’expérience américaine en tant qu’enseignant, chercheur et clinicien. Mon constat c’est que notre système de santé au Niger est malade. Je le dis parce qu’à comparer avec d’autres pays notre système est archaïque notamment au niveau de la formation. Par exemple ailleurs la pratique est intégrée à la théorie à la différence de chez nous où on enseigne la théorie aux étudiants pour faire la pratique plus tard. Par exemple, aux USA lorsque j’enseigne la médecine adulte, si j’enseigne par exemple l’insuffisance cardiaque mes étudiants auront accès dans la semaine même aux patients ce qui consolide ce qu’ils ont appris en temps réel. Je trouve inconsistantes certaines façons de faire chez nous. La médecine évolue par conséquent il faudrait que son enseignement suive le rythme du progrès partout. Le système est défaillant parce qu’il n’y a pas de contrôle rigoureux. L’autre constat décevant c’est que nos services de santé sont pauvres en matière d’accueil des patients. Ailleurs tout est centré sur la satisfaction du patient alors qu’ici le patient est maltraité. Une femme qui accouche, elle est déjà dans un état de douleur et on voit les infirmières sévir sur elle. Le système est malade parce que les médecins communiquent mal avec leurs patients. Il n’y a pas de standards of practice, chacun fait ce qu’il veut à sa guise et il n’y a pas ce que les anglais appellent ‘’accountability’’ (contrôle et obligation de résultat), les patients ne sont pas respecter. Un des points clefs de la médecine c’est la bienfaisance, « do no harm » mais chez nous les patients et leur famille sont continuellement abusés financièrement pour des résultats médiocres (poor clinical outcome). Des tests qui sont ordonnés juste pour prendre l’argent du pauvre patient. Des médicaments qui sont prescrits sans aucune indication ni évidence scientifique pour supporter cela. La qualité des soins au Niger est déplorable. Je le dis parce que par exemple aux USA, l’institut de médecine a défini la qualité des soins dont entre autres la satisfaction du patient occupe une place de choix. Cette qualité des soins inclut le cout, le temps et l’efficience des soins. Un constat pour les gens aisées au Niger font leur bilan de santé hors du Niger, il faut se poser la question pourquoi ? Je crois fermement que nous avons des médecins et éducateurs capables de redynamiser ce secteur et Je pense que cela doit commencer par une formation académique moderne, rigoureuse et engagée avec la science ( Evidence based education active learning ).
Niger Inter : Si notre pays continue à être classé dernier c’est justement lié au déficit d’accès à l’éducation et à la santé. Comment selon vous inverser la tendance ?
Dr Laouali Moussa : A mon humble avis la solution viendrait de l’école à la base. A mon entendement, une éducation bien faite sera ressentie sur toute la communauté et quand elle est mal faite elle devient une gangrène pour la société. Il va falloir que nous ayons un curriculum qui reflète nos réalités. Par ailleurs, une autre insuffisance de notre système éducatif c’est de ne pas cultiver l’esprit critique des élèves et étudiants. On doit permettre à l’étudiant en dehors de ce que l’enseignant pense et ce qui est dit dans les livres d’avoir sa propre opinion sur ce qu’il apprend. Il nous faut bannir l’automatisme car en tant que vétérinaire je sais qu’un perroquet ou un singe peuvent apprendre beaucoup de choses mais à la différence de l’homme, ils manquent d’esprit critique. Ailleurs on promeut active learning chez l’étudiant à la différence de ‘’passive learning’’ ou le maitre est le détenteur du savoir, au lieu de servir de guide/chemin/facilitator vers le savoir. Et un autre aspect qui doit être pris en charge par notre système éducatif c’est la motivation des étudiants. Les enseignants au lieu de dévaloriser leurs élèves ou étudiants, ils doivent plutôt les motiver à développer leur potentiel « empowerement ». L’enseignant ne rend aucun service à vouloir humilier, tirer vers le bas ses étudiants. Si on doit faire de l’être humain ce qu’il doit être ailleurs on prône le changement social qui vise à inculquer des valeurs aux étudiants à faire des services communautaires c’est-à-dire le système leur apprend à être utiles à eux-mêmes et aux autres. Pour le reste, j’en conviens qu’il faudrait également créer les conditions d’une école de qualité. Quand je vois aujourd’hui des enseignants à l’université qui ignorent l’outil informatique et continuent d’enseigner des livres dépassés par l’état actuel du savoir, je me dis que ce n’est pas demain qu’on sortira de l’auberge. Pour améliorer certaines choses, je conseille simplement aux médias de sensibiliser les gens sur des gestes simples qui peuvent améliorer le cadre de vie et la santé de chacun et de tous. Enfin je suggère de voir comment le concept de « competency based education » peux être implémenté au Niger, cela consisterait à donner la chance à certains élèves ou étudiants qui sont d’une rare intelligence à compléter un diplôme dans un délai plus court sur la base de leur compétence et intelligence car naturellement nous n’avons pas tous les mêmes habiletés intellectuelles. Il serait donc injuste de mettre un élève ou étudiant surdoué en retard en le mettant dans un programme de 4 ans alors qu’il a l’habileté de le compléter en 2 ans.
Réalisée par Elh. Mahamadou Souleymane