Libération de Bazoum : Les raisons de l’enlisement

Bazoum le résistant pour ses soutiens français ou encore Bazoum l’allié des terroristes si l’on y croit à une plainte déposée contre lui par les autorités militaires du CNSP, la question Bazoum suscite encore des interrogations, même si par ailleurs, le vacarme du départ s’est considérablement estompé avec le désengagement progressif de la plupart de ses soutiens. L’ombre Bazoum n’est plus qu’une ombre falote que s’acharne à entretenir un personnel clairsemé, composé de quelques amis intimes.

Deux questions reviennent constamment à l’esprit : pourquoi Bazoum est-il toujours gardé par les autorités militaires de transition au pouvoir à Niamey ? Pourquoi Bazoum refuse toujours de démissionner ?

En juin 2024 pourtant, une procédure judiciaire avait été initiée par le Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP). Une procédure judiciaire pour haute trahison et collusion avec le terrorisme qui a, au moins, l’avantage de décanter définitivement la question pour trancher si l’ancien président doit formellement être considéré comme prisonnier ou s’il doit être enfin mis en liberté.

Une demande de levée de son immunité avait été accordée par la Cour d’État, la plus haute juridiction au Niger, à la demande du parquet militaire. Et une ouverture de l’instruction du dossier a démarré, le président renversé Bazoum Mohamed a commencé par être écouté par un juge d’instruction avant qu’il ne se rétracte dans le silence au motif des certaines dispositions soulevées par ses avocats.

Mais il faut dire que parallèlement à cette information judiciaire sur une accusation très grave, il faut le préciser de « haute trahison », le pouvoir à Niamey s’était montré quelque peu sensible à des démarches de médiations entreprises par différentes parties. Une première médiation initiée par le gouvernement togolais avait déjà obtenu la libération du fils de Bazoum, Salem Mohamed Bazoum qui était gardé dans les locaux du palais de la présidence en même temps que son père Mohamed Bazoum et sa mère Hadiza Bazoum Mabrouk.

Toujours dans le prolongement de cette médiation, l’ancienne première dame a bénéficié d’une mise en liberté et devait quitter les appartements occupés par Bazoum, mais elle a renoncé pour préférer rester avec son époux. Le Maroc, très tôt, a voulu intervenir aux côtés des autorités du CNSP pour obtenir la libération de Mohamed Bazoum. Il y a eu par la suite l’offre de médiation du Qatar qui a rencontré les autorités de Niamey dans ce sens. Même s’il n’y a pas eu de détails très officiels à ce sujet, il a été rapporté que des discussions très discrètes ont pu être menées par plusieurs parties afin d’obtenir la libération de l’ancien président. Bazoum devait-il être remis en liberté et rester à Niamey ? Doit-il être placé dans un pays d’accueil ? Quels pays d’accueil auraient été envisagés ? Pourquoi encore aucune médiation n’a abouti ? Ce sont là autant de questionnements qui sont au centre des échanges dans certains cercles d’opinion à Niamey. Des questionnements qui ramènent toujours à la question centrale : pourquoi Mohamed Bazoum refuse de démissionner ?

La piste française

Les autorités militaires au pouvoir ont-ils quelques raisons particulières à garder Bazoum en détention permanente ? Pas si sûr. Il y a quelques temps, au cours d’une sortie publique, le Président de la République, le Général d’Armée Tiani Abdourahamane avait annoncé que Bazoum est gardé dans les locaux de la présidence pour sa propre protection. Une déclaration corroborée par les évènements d’octobre 2023 lorsque les éléments de la base militaire française encore en poste à Niamey ont voulu organiser un plan de son évasion pour l’exfiltrer par les frontières du Nigeria. L’ombre tutélaire de la France a beaucoup pesé sur le dossier Bazoum. Si la situation Bazoum s’est crispée, et si aujourd’hui on parle de l’enlisement, c’est du fait, dans une large mesure, de l’implication du gouvernement français dans l’affaire Bazoum. Les autorités politiques françaises ont paralysé le processus de libération de Bazoum.

 Bazoum en terrain miné

« Lors du coup militaire à Niamey en 2023, nous avons publiquement surréagi, au lieu d’observer la situation en silence et d’agir en silence » a reconnu récemment Renaud Girard, dans une tribune parue au journal français Le Figaro. Aujourd’hui, tout le processus de l’affaire Bazoum est complètement miné par le gouvernement français. Toutes les voies de sortie sont obstruées. « Notre ministre des affaires étrangères a proféré, sur RFI, des menaces d’intervention militaire et notre ambassadeur a accusé, sans la moindre preuve, un ancien président d’avoir ourdi le coup (…) », a poursuivi Renaud Girard avec regret. Pour l’éditorialiste français, la posture intelligente de la France devait être celle d’une observation de la situation, ensuite intervenir par le canal des démarches diplomatiques en toute discrétion. Mais la France a choisi dès les premiers instants de mettre à joue la transition nigérienne.

Qu’est-ce qui reste désormais comme perspective pour la libération de Bazoum ? Dans sa menace d’une attaque armée contre Niamey, le gouvernement Macron a poussé les autorités militaires à se braquer, excluant toute discussion avec l’ancienne métropole. Et rendant dérisoire toute démarche de médiation diplomatique. Une diplomatie de proximité condamnée avec cette accusation de l’ambassadeur contre l’ancien président Issoufou Mahamadou. Camarade de parti au sein du PNDS Tarayya avec Bazoum, c’est Issoufou Mahamadou au terme de ses deux mandats constitutionnels qui a ouvert la voie à l’alternance politique au Niger pour la première fois depuis l’indépendance. C’est encore Issoufou Mahamadou qui a imposé la candidature de Mohamed Bazoum au sein du parti. C’est alors qu’il entamait des discussions avec le cercle des militaires au lendemain du 26 juillet 2023, que l’ambassadeur de la France a lancé des fracassantes accusations de l’implication d’Issoufou Mahamadou dans le renversement du pouvoir, tortillant du coup, toutes perspectives de sortie pour Bazoum.

Depuis lors, la France a totalement isolé de toute option négociée. La question même de pourquoi il ne démissionne pas n’a plus aucun sens. Bazoum a été canonisé par la France comme résistant. Malgré lui, Bazoum a été transformé en une sorte de « kamikaze de la démocratie » par la France. Il n’existe aujourd’hui aucune solution à Bazoum qui ne passe par la France.

Et malheureusement, aucune solution par la France ne peut passer pour les autorités militaires au pouvoir à Niamey. Le dossier est dans cette sorte d’impasse ou d’enlisement. Bazoum n’a que faire de sa propre famille ou de la population du Niger. Il n’y a que la France pour désamorcer la bombe Bazoum.

 Ibrahim Elhadj dit Hima