Dette intérieure : sortir de l’imbroglio

Entre la dette intérieure et la dette extérieure, laquelle fallait-il apurer en priorité ? C’est le choix cornélien auquel le gouvernement était confronté au lendemain de la levée des sanctions économiques et financières ayant pesé sur le pays durant plusieurs mois. Mais, face au ralentissement qui caractérisait l’activité économique ainsi que les difficultés à mobiliser les ressources internes, le gouvernement s’est résolu à privilégier, en partie, les créanciers internationaux au détriment des créanciers nationaux.

Bien qu’il puisse paraître « injuste », ce choix semblait pourtant être celui de la raison car, il faillait envoyer un signal fort aux partenaires étrangers pour espérer rétablir la confiance et la crédibilité du pays qui ont été relativement entamées depuis le changement de régime. En effet, à cause des sanctions financières, le nouveau gouvernement a manqué plusieurs remboursements de dette aux détenteurs d’obligations et aux institutions financières internationales. Selon UMOA-Titres, 314 milliards de FCFA (512 millions de Dollar US ou 3,1 % du PIB) étaient dus aux détenteurs d’obligations au 19 février 2024 (la situation a évolué depuis).

En raison de ces arriérés, Moody’s a abaissé la côte de crédit du Niger de B3 à Caa3, c’est-à-dire l’une des notes financières les plus mauvaises pouvant être accordées à une obligation ou à un débiteur de la part des agences de notation. Il s’agit de la dernière notation possible avant le passage à la notation en double C, encore plus spéculative.

Cette dégradation de la note du pays s’est traduite par des primes de risque plus importantes et donc des taux d’intérêt relativement élevés pour le pays. En août 2024, par exemple, le Bon Assimilable du Trésor (BAT) de maturité 364 jours a retenu 1,39 milliards de FCFA avec un taux marginal ayant franchi le seuil symbolique de 10%, atteignant ainsi 10,57% et un rendement moyen pondéré de 10,4%. Ce niveau de rendement, au-delà d’être un record sur le marché régional de dette publique, illustrait la méfiance des créanciers vis-à-vis du pays.

La dette intérieure, une dette dont le non-remboursement provoque un malaise économique à l’intérieur du pays

Le Niger, à l’instar de nombreux États, emprunte pour dépenser plus que ce qu’il peut ou souhaite récolter par le biais des impôts. Plusieurs raisons économiques expliquent le recours aux emprunts. Lorsque les recettes fiscales ne sont pas au beau fixe, comme c’est souvent le cas en raison de la faible mobilisation des ressources internes, le pays emprunte pour honorer ses engagements en matière de dépenses. Cela lui permet d’assurer la continuité des services publics, tels que le fonctionnement des écoles et des hôpitaux, la sécurité mais aussi, dans un contexte où l’économie est déjà faible, de ne pas réduire leurs dépenses, mesure qui aggraverait la situation. C’est ce qu’on appelle le « lissage fiscal ».

En outre, l’État nigérien fait preuve, depuis des années, de beaucoup de créativité pour trouver des créanciers potentiels. Il recherche les prêteurs proposant de meilleures conditions (les taux d’intérêt les plus bas, maturité…). Cependant, le choix d’un créancier se fait souvent à l’issue d’arbitrages, même si son statut de pays en développement lui impose un certain nombre de restrictions et de contraintes plus fortes. Par exemple, le pays a le choix d’emprunter à l’intérieur de ses frontières ou auprès d’une entité étrangère. Les emprunts intérieurs (réalisés auprès de banques et de gestionnaires d’actifs nationaux ou directement auprès des ménages) peuvent représenter une source de financement stable et fiable. Pour faire court, c’est ce que l’on appelle la dette intérieure.

Et au 31 décembre 2023, l’encours de la dette publique est composé de 60,9% de dette extérieure et 39,1% de dette intérieure. Par ailleurs, le service de la dette intérieure représente 80,0% du total du service de la dette publique, reflétant une part importante dans le portefeuille de la dette publique du Niger.

Il convient de rappeler qu’avant les événements du 26 juillet 2023, l’Etat nigérien honorait globalement ses engagements. Mais depuis le changement de régime et les sanctions économiques et financières qui en ont suivi, le gouvernement, comme indiqué précédemment, a réduit ses dépenses et a accumulé des arriérés de dette. Cela s’est traduit par les non-remboursements de dette aux détenteurs d’obligations et aux institutions financières, provoquant au passage un malaise économique croissant dans le pays.

Et malgré la levée des sanctions en février 2024, le Niger continue d’être affecté par une pénurie de financement, couplée à une forte dépendance à l’égard des financements coûteux du marché régional et à des risques de refinancement de la dette intérieure. Les opérateurs économiques se retrouvent avec de nombreuses factures impayées, provoquant la faillite de nombreux d’entre eux. Le secteur bancaire est aussi sous pression, miné par des gros problèmes de liquidité et des risques élevés pour la stabilité financière.

Vers une restructuration de la dette intérieure ?

La restructuration de la dette intérieure est un outil auquel peuvent recourir les emprunteurs souverains ayant des difficultés budgétaires et économiques. Pour être fructueuse, elle doit être bien pensée afin de ne pas faire plus de mal que de bien (cf. l’article intitulé « La restructuration de la dette souveraine intérieure : un outil à manier avec précaution » de Peter Breuer, Anna Ilyna et Hoang Pham, 2021). Pour atteindre l’objectif du premier coup, elle doit s’inscrire dans un ensemble de mesures plus large apportant une solution efficace aux problèmes sous-jacents et aux vulnérabilités en matière d’endettement. Cela suppose dès lors de concevoir la restructuration de la dette intérieure de manière à anticiper, réduire le plus possible et gérer son incidence sur le système financier intérieur à travers deux mesures essentielles. D’une part, les autorités doivent instaurer des mesures qui atténuent les pertes subies par les banques, les investisseurs institutionnels non bancaires et les ménages et qui réduisent le plus possible, les répercussions de l’opération. Pour les banques par exemple, on peut atténuer les conséquences en allongeant les échéances ou en abaissant le taux d’intérêt plutôt qu’en réduisant le montant nominal des créances restant dues. Les pertes doivent être constatées très tôt et devront peut-être être associées à une stratégie visant à restaurer les coussins de fonds propres des banques.

D’autre part, mettre en place un soutien d’urgence à l’échelle systémique qui permette aux établissements de convertir des actifs illiquides en liquidités pourra être nécessaire pour garantir le fonctionnement du système bancaire et soutenir la confiance. Dans certains cas, il faudra peut-être envisager des mesures temporaires pour freiner les retraits des dépôts et les sorties de capitaux motivés par un sentiment de panique.

Cependant, compte tenu du contexte difficile, ces deux mesures semblent difficilement applicables. Et c’est peut-être l’une des raisons pour laquelle le rachat par la Banque Mondiale de la dette intérieure se profile, comme cela a été rapporté par certains journaux de la place, pour dénouer la situation. Et au-delà d’arriver à point nommé, la concrétisation d’une telle proposition devrait permettre d’alléger substantiellement la charge financière pesant sur l’Etat du Niger et résoudre simultanément les problèmes de partage du fardeau entre créanciers publics et privés. Après plusieurs mois d’incertitude, voire d’atonie en raison, entre autres, des arriérés du service de la dette intérieure et retards de paiement des fournisseurs du secteur public, cela devrait également contribuer à rétablir la confiance des investisseurs locaux et favoriser la relance de l’économie du pays.

 

Adamou Louché Ibrahim

Economiste

@ibrahimlouche