Pendant un peu plus de dix ans, ils étaient debout face au régime de la 7ème République. Eux, ce sont les militants Lumana. Aujourd’hui, ils veulent des places assises aux côtés du pouvoir, pour une période de cinq ans ou même de dix ans. C’est cela en termes très clairs, la signification profonde des conclusions des Assises nationales qui se sont tenues du 15 au 20 février dernier et dont la note de synthèse a été officiellement présentée au cours d’une cérémonie solennelle. Et comme en politique, il faut toujours passer par des alliances électorales ou des alliances politiques pour s’entendre sur une position.
Les activistes Lumana, au vu des intérêts stratégiques en jeu, ont passé alliance avec les cadres du Cosimba et ceux de la refondation de l’ancien Président de la République Tandja Mamadou. Alors, les anciens ennemis sont devenus des alliés naturels pour obtenir une force d’opinion et orienter les débats sur un cahier de charge prédéfini et bien arrêté, comportant en très bonne place, l’option d’une transition pour une durée de cinq ans. Cinq ans pour le processus de cette transition que certains acteurs ne veulent même pas appeler transition mais régime de la refondation. Comme sous la 7ème République, on a parlé de la Renaissance. Les allés sollicités dans ce travail n’ont pas été appelés au hasard. Ils peuvent se répartir à travers deux grandes familles politiques
Les Cosimbistes
Adversaires acharnés du MNSD-Nassara de Hama Amadou, ils sont aussi des ennemis irréductibles du PNDS-Tarayya d’Issoufou Mahamadou qu’ils accusent d’avoir été très radical dans sa lutte contre Baré Ibrahim Maïnassara, tout au long de sa transition et lorsqu’il a décidé de se maintenir au pouvoir aux termes des élections les plus contestées du Niger. Une lutte acharnée qui s’est poursuivie jusqu’à la fin tragique du pouvoir Baré par le coup d’État du Commandant Daouda Malan Wanké. De cette mort, leur leader, les cosimbistes, n’ont jamais pardonné à Issoufou Mahamadou. Ces anciens cosimbistes étaient là en bonne place aux Assises.
Les acteurs de la refondation
Ils sont majoritairement issus du mouvement Tazartché de Tandja Mamadou. Ce sont des acteurs politiques ou des activistes de le société civile qui ont rejoint l’ancien Président Tandja Mahamadou dans son projet de rallonge constitutionnelle. Quand Tandja a décidé de ne pas quitter le pouvoir après son deuxième mandat, ses soutiens ont lancé ce qu’ils ont appelé la Refondation pour lui apporter leur soutien contre Issoufou Mahamadou du PNDS et Hama Amadou à la tête d’une nouvelle formation politique le Moden fa Lumana qu’il a créée alors qu’il était en prison. Tandja l’avait incarcéré dans les premiers moments de la préparation du projet de manipulation constitutionnelle, connue des Nigériens sous le sobriquet de Tazartché. Ce sont ces différents cartels d’intérêts, ennemis hier, que les lumanistes ont transformé opportunément en alliés.
Les transversaux
Ils sont des acteurs qui ont été de toutes les campagnes. Ils ont été avec Baré Maïnassara, mais ils ont été aussi avec la refondation ou Tazartché de Tandja Mamadou. Ce sont les clients constants des transitions, ce sont eux qui proposent leur service et qui susurrent conseils aux autorités militaires. Ce sont eux qui braquent l’armée contre les civils. Ils n’agissent pas pour un règlement de compte ou pour des rancœurs comme les autres groupes, les transversaux sont surtout des handicapés politiques, ceux qui ne sont pas capables de gagner le vote des électeurs. Et qui se rabattent sur des systèmes de gestion en marge des partis politiques et des élections.
La fin de « tayi tawri »
En attendant la présentation des rapports définitifs et la suite qui leur sera donnée par le Conseil national pour la sauvegarde de la partie (CNSP), dirigé par le Général Tiani Abdourahmane, pour les activistes Lumana, c’est le retour aux affaires après en avoir été écartés depuis plus d’une dizaine d’années.
Le retour aux affaires qui symbolise aussi la fin de la campagne « Tayi Tawri » parce qu’en gros, il faut le dire, le contentieux politique entre Lumana et le PNDS reste un contentieux d’ordre financier. Contentieux qui allait se cristalliser à travers deux périodes politiques majeures. Les premières années de prise de pouvoir au sein d’une même alliance, il y a eu cette crise tragique des « coquilles vides », lorsque Lumana a obtenu des portefeuilles ministériels qu’ils ont appelé sans intérêt, sans opportunité d’affaires, d’où l’expression « coquilles vides » employée dans leur discours annonçant leur retrait de l’alliance.
Mais avant cela, il y a eu aussi la campagne « Tayi Tawri » (ndlr: c’est dure), une autre expression utilisée par les cadres Lumana pour souligner l’austérité financière qui a caractérisé le régime Issoufou Mahamadou. « Tayi Tauri », l’argent ne circule pas, entonne-t-on un peu partout dans les officines de l’opposition, animée désormais par le parti Lumana.
Il faut dire ici que cette austérité ou rareté dans la circulation financière était liée à une opposition de style dans le management politique entre ce qui a été fait avant l’arrivée du PNDS au pouvoir et ce que le PNDS a fait une fois au pouvoir. Sous la cinquième République, Hama et Tandja ont privilégié une forme de redistribution des ressources à travers des marchés et commandes publiques qui donnent de l’argent à beaucoup de monde mais avec des travaux qui ne laissent pas de trace. Tous les marchés publics et les commandes étaient éclatés en petits lots distribués à une large clientèle politique qui, à son tour, redistribue aux militants. Ce système a l’avantage de faire circuler des masses importantes d’argent qui passent entre les mains de beaucoup de personnels politiques notamment de la capitale Niamey et des grandes villes de l’intérieur du pays.
À contrario, le système d’Issoufou Mahamadou va préférer la réalisation de gros ouvrages, d’importantes infrastructures, à travers de très grands chantiers qui consomment des milliards mais qui sont concentrés entre les mains d’une poignée de grandes entreprises nationales ou des multinationales. Ce qui laissent une très large frange de la population hors circuit, donnant l’illusion que l’argent ne circule pas. « Tayi Tawri » comme n’hésiteront pas à indiquer les militants Lumana, habitués à une autre situation.
Bilan des deux choix politiques, des centaines de milliards de fonds PPTE ou du programme Décennal du développement de l’éducation (PDDE) ont été utilisés pour arroser les militants avec très peu de traces de réalisations sur le terrain mais qui ont fait la joie de beaucoup de militants. Le PNDS a utilisé des centaines de milliards de francs dans la réalisation de gros ouvrages qui ont transformé fondamentalement le paysage national. Mais toutes ces infrastructures géantes qui se dressent dans toutes les régions du Niger n’ont pas créé un élan d’enthousiasme au sein des militants. Cette situation a fini par créer un sentiment de frustration et de souffrance qui a débouché dans un climat d’hostilité et de rejet.
Aujourd’hui, c’est toute cette page difficile faite de sécheresse financière que les militants Lumana veulent tourner, pour inaugurer un retour dans les affaires. Ces places assises que réclament les lumanistes avec cette néo-refondation avec le soutien des supplétifs COSIMBA, la refondation Tazartché ou encore les transversaux, va-t-elle s’opérer ? Tous les regards sont ainsi tournés vers les rapports de la commission en charge des assises nationales et l’arbitrage qui sera donné par le Général Tiani.
Ibrahim Elhadji dit Hima