C’est le 8 février dernier que le président du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP), organe militaire qui dirige la transition au Niger, a signé un décret nommant les membres de la commission en charge de la mise en route des travaux des prochaines Assises nationales. Des assises prévues du 15 au 19 février prochains, et dont la tenue va marquer un tournant décisif dans la marche de la transition au Niger après le coup d’État ayant renversé le régime de Mohamed Bazoum, le 26 juillet 2023.
Dans sa toute première sortie publique après les événements du 26 juillet 2023, le Général Abdourahmane Tiani avait annoncé entre autres, la tenue des assises nationales qui devaient élaborer un ensemble de propositions de l’agenda de la transition. Des assises prévues initialement pour s’étaler sur un mois mais qui, dans la dernière version, a drastiquement été raccourcie.
Répartis sur cinq thématiques, les travaux des prochaines Assises nationales vont balayer l’ensemble des compartiments de la vie publique nationale pour proposer des textes et des mesures, tout cela en corrélation directe avec l’esprit de la transition, c’est-à-dire la refondation et la souveraineté nationale, et cela sur une période de cinq jours.
Il faut aller vite, il n’y a plus de temps à perdre, les autorités militaires sont désormais sur le pied de guerre sur tous les fronts. Et pas seulement sur les frontières aux prises avec les terroristes et les soutiens internationaux du terrorisme mais aussi sur le front de la transformation de l’État.
Les pistes de travail
Ce sont cinq sous commissions qui sont instituées par le CNSP pour abriter les travaux de réflexions et de propositions. Une première sous-commission travaillera sur la « Paix, la sécurité, la réconciliation nationale et la cohésion sociale ». C’est là sans doute qu’il y aura un travail sur les mécanismes d’appui institutionnel en direction des forces de sécurité. Elle fera aussi des recommandations sur les crises politiques pour désamorcer les tensions politiques latentes. Faut-il s’attendre à ce qu’elle s’emploie sur les dossiers d’actualité en lien direct avec le coup d’Etat du 26 juillet 2023 ou pourrait-elle élargir sa compétence sur d’autres problématiques en suspens, notamment la mort du président Baré Ibrahim Mainassara dont les familles politiques et biologiques ont toujours demandé la lumière ou encore le drame du 9 février des scolaires ?
Une deuxième piste de travail portera sur la « Refondation politique et institutionnelle ». C’est la sous-commission qui s’emploiera à donner une tournure nouvelle à la gouvernance politique. C’est-là où seront discutés les projets de textes fondamentaux, notamment l’ébauche de la future constitution.
La nature du régime politique, le choix entre le régime présidentiel, parlementaire ou semi présidentiel, s’il faut reconduire le régime des partis ou s’il faut les bannir du jeu politique. Faut-il y voir un signal à travers l’absence de toute désignation de participant issu de l’appareil des partis politiques ? Fait singulier en tout cas, les partis politiques sont restés en effet la seule et l’unique composante de la vie publique nationale à ne pas prendre part aux prochaines Assises.
D’autres expliquent cette absence insolite par le fait que les partis politiques ont été suspendus aux lendemains du coup d’État du 26 juillet 2023, d’autres y voient une volonté pour le CNSP de mettre les travaux de la transition à l’abri des harengs et autres polémiques partisanes. Pour l’heure, aucune explication officielle sur la mise à l’écart des partis politiques de cet important rendez-vous. Oubli du CNSP ou signes avant-coureurs d’une perte de prestige des partis politiques dans cette transition CNSP ? Autant de questions sans réponse.
La thématique « Économie et développement durable » sera la deuxième piste de travail des Assises nationales. Et vraisemblablement, des nouvelles politiques sur la mise en production des ressources naturelles, notamment minières, pétrolières et aurifères pourraient y voir le jour. La redéfinition des partenariats de développement, le choix des politiques ou de grandes politiques de planification économique seraient potentiellement en débat.
De grands débats sur la redéfinition des partenariats qui seront aussi dans une autre mouture, plus diplomatique avec la quatrième thématique « Géopolitique et environnement international » qui, sans doute, va axer la réflexion sur le tracé d’une nouvelle carte diplomatique. Un cap nouveau qui va intégrer un dialogue de plus en plus intense avec certains pays, jusque-là, étrangers dans l’environnement diplomatique nigérien.
« La justice et les droits de l’homme » sera la cinquième thématique du travail pour revisiter l’organisation judiciaire, et sans doute pour apporter des garanties d’une indépendance plus expressive et de nature à restaurer la confiance entre la justice et le justiciable. Il faut rappeler que d’intenses débats ont toujours été conduits dans ce secteur, mais la situation reste encore au point de départ.
Les hommes, les missions et les passions
Pour conduire cette vaste mission, le CNSP a placé sa confiance sur des hommes. Ils n’ont pas été désignés par leurs pairs et n’ont été soumis aux mécanismes de désignation à la base. Ils ont été directement cooptés par les autorités militaires du CNSP. Lourde sentence. Ils doivent effectuer un travail intellectuel plutôt indépendant, mais ils doivent aussi se rappeler qu’ils tiennent leur présence de la volonté des autorités militaires du CNSP. Mais les hommes que le CNSP vient d’investir dans la mission de conduire les travaux des Assises nationales peuvent être aussi des hommes de passion.
Pour conduire les travaux, le CNSP a placé toute la charpente sur un Président, Dr Mamoudou Harouna Djingarey. Il est chef de canton de Sinder, région de Tillabery. Son statut d’honorabilité de leader communautaire lui confère sans doute la qualité de rassembleur, pour se mettre au-dessus des contingences et faire travailler les équipes. Il sera épaulé par 8 vice-présidents.
Un premier vice-président qui est un militaire du sérail, le colonel major Maman Souley. L’ancien Premier ministre du régime Baré Mainassara, Ibrahim Assane Mayaki apparaît sur la liste comme 2ème vice-président. Resté longtemps célèbre par sa déclaration « accident malheureux » après le coup d’État qui a causé la mort du président Baré sur le tarmac de l’aéroport de Niamey, Ibrahim Assane Mayaki a retrouvé une seconde vie dans l’administration du Nepad (Nouveau partenariat économique pour l’Afrique).
Si le Nepad est loin d’avoir répondu aux espoirs qu’il a faits naître, il a au moins donné refuge au loin à Ibrahim Mayaki, confortablement installé dans ses bureaux en Afrique du Sud. Haut cadre du MNSD-Nassara et proche ami de l’ancien Premier ministre feu Hama Amadou qu’il avait lâché pour rejoindre Bare Mainassara. Bien installé dans le bureau, Pr Issoufou katambé fait figure de 3ème vice-président. Universitaire, Pr katambé est un cadre du directoire du PNDS Tarayya, mais il est là sur la liste comme ancien ministre de la Défense nationale. Un honneur que lui font probablement les Généraux du CNSP pour l’intégrité et l’honnêteté avec lesquelles il a géré le portefeuille de la défense. C’est lui qui a demandé et qui a obtenu du président Issoufou Mahamadou l’audit du ministère de la Défense nationale qui a révélé le scandale financier sur l’achat des armes et munitions. Ben Salah Mahmoud est le 4ème vice-président, il est là comme leader religieux. C’est aussi un homme connu pour sa piété et son honnêteté. Des qualités qui allaient d’ailleurs être confirmées par la gestion de la commission nationale du Hadj de l’édition 2024. La 5ème vice-présidente, Mme Bayard Mariama Gamatié qui est une ancienne ministre et ancienne candidate à la présidence de la République. À la 6ème vice-présidence, on y trouve Mme Mounkaila Aissata Seyni, universitaire. A la 7ème vice-présidence, c’est Abdoulaye Seidou, Président du mouvement M62, une structure très active sur le terrain dans les meetings et marches de soutien au CNSP.
À la 8ème vice-présidence, c’est une personnalité bien connue du public nigérien, Ali Idrissa. Lui, il truste plusieurs casquettes sur sa tête. Acteur de la société civile, il est aussi très connu pour son militantisme dans les milieux Lumana de l’ancien Premier ministre, feu Hama Amadou. Ali Idrissa est le parrain de Front patriotique pour la souveraineté (FPS) qui regroupe essentiellement des militants Lumana au côté de Bana Ibrahim, un des anciens responsables de la campagne électorale du parti Lumana aux dernières élections de 2020-2021.
Outre les vice-présidents, on retrouve aussi d’autres grandes figures de la scène politico-associative de ces dernières années. Idi Ango Omar à la présidence de la première sous-commission « Paix et sécurité ». Ancien ministre de l’intérieur sous Baré, c’était lui qui rappelait à la classe politique nigérienne que « la peine de mort de n’est pas encore abolie au Niger ». En son temps, il est allé jusqu’à donner « un dernier avertissement national ».
À ces côtés comme membres de la sous-commission, le chef de canton de Dioundjou, Mouhamadou Bachir Harouna Hamabaly. Depuis le coup d’Etat du 26 juillet 2023, il est resté très actif dans le soutien au CNSP, prenant part à beaucoup de débats télévisés où il a multiplié ses interventions et ses propositions pour une transition réussie. L’acteur de la société civile le plus connu Nouhou Arzika est à la tête d’une sous-commission comme il l’attend, la sous-commission « Refondation politique et institutionnelle ». Sous le régime Tandja Mamadou, Nouhou Arzika a été un ardent porteur du projet de la refondation. Il en est même le père de la refondation nigérienne.
Une autre figure aussi connue du microcosme de la société civile se retrouve dans une sous-commission fort sensible, « Géopolitique et environnement international ». Il s’agit de Bana Ibrahim. L’acteur de la société civile connu surtout pour ses publications sur Facebook se retrouve dans la sous-commission géologique, présidée par un diplomate de carrière, Illo Adani conseiller diplomatique du Président du CNSP. Beaucoup s’interroge sur la pertinence de ce mariage du carpe et du lapin. Qu’est-ce qu’un Bana Ibrahim, plus fort dans les manipulations sur les réseaux sociaux, pourrait apporter à la reconfiguration de la diplomatie nationale et sur l’analyse des problématiques internationales ?
Autre rencontre dans ce bureau de la commission des Assises nationales, Dagra Mamadou. Ancien ministre de la Justice, il est aussi un proche ami de l’ancien Président Tandja Mamadou. C’est lui Dagra qui a dirigé la rédaction de la constitution la 6ème République, adoptée par le référendum très controversé de Tandja Mamadou.
Ce sont entre autres, tous ces hommes qui ont la lourde mission de donner un contenu à la transition du CNSP et d’en fixer les termes de sortie pour un Niger nouveau. Ce sont tous ces hommes qui doivent slalomer entre les anciens contentieux, entre les passions réveillées pour ne garder en vue que la mission investie en eux par le Président du CNSP. Il faut rappeler que les Assises nationales qui vont ouvrir le 15 février prochain vont réunir des délégués de toutes les régions, venant des différentes couches socioprofessionnelles, des différents corps d’administration, des acteurs de la société. Tous seront-là, sauf les délégués des partis politiques.
Ibrahim Elhadji dit Hima