Situation sécuritaire tres délétère en raison des attaques terroristes, difficultés à répondre efficacement aux problèmes d’insécurité alimentaire et incapacité à faire face de manière satisfaisante aux effets de plus en plus catastrophiques du changement climatique, les défis auxquels les pays de l’Alliance des États du Sahel, à savoir le Burkina Faso, le Mali et le Niger font face sont d’une extrême complexité et gravité.
Loin de se résigner, les gouvernements de ces trois États s’emploient par divers moyens à tenter d’y répondre. Simplement, en dépit des progrès enregistrés ça et là, la situation demeure encore très préoccupante. L’une des raisons à cela serait imputable aux moyens mobilisés, et particulièrement les moyens financiers qui sont de loin à la hauteur des enjeux.
Habituellement, les pays de l’AES misent beaucoup sur les aides de leurs partenaires. Néanmoins, à la suite de nouveaux choix politiques et géostratégiques qu’ils ont opérés, les bailleurs techniques et financiers traditionnels se montrent de moins en moins enclins à les soutenir.
En outre, l’incertitude qui découle de l’instabilité politique, entre autres, en leur sein, n’est pas de nature à rassurer les investisseurs à la fois locaux, régionaux et internationaux, comme en témoigne le faible intérêt qu’a suscité leurs récentes émissions obligatoires sur le marché UMOA titres. Résultat, ils peinent à emprunter. Et même pour les investisseurs qui acceptent de leur prêter, c’est au prix des rendements élevés, comme on l’a vu récemment pour le Niger, avec un taux d’intérêt de plus de 10%.
Quant aux resources internes, et particulièrement d’origine fiscale, censées prendre le relais, elles sont difficiles à mobiliser en raison d’une part, du taux de pression fiscale très faible – 10% en moyenne dans les trois pays, contre 20% requis par le FMI. D’autre part, la conjoncture que connaissent ces pays semble moins favorable à une levée conséquente des impôts à cause, entre autres, du ralentissement, voire de l’arrêt de l’activité économique.
Pour palier ces situations, des fonds de solidarité au niveau local ont vu le jour et se traduisent par de nouveaux prélèvements, provoquant au passage l’ire de la population à cause de l’érosion de son pouvoir d’achat, suite à l’augmentation du coût de la vie. L’objectif de ces fonds, bien que décrié par une partie de la population, est de permettre de mobiliser de nouvelles ressources face au tarissement des autres.
Si le fonds de solidarité reste une piste sérieuse, il reste néanmoins très insignifiant au regard des besoins. En effet, aux dernières nouvelles, au Niger, par exemple, on a réussi à « mobiliser 16 milliards de francs CFA ». Si on le rapporte aux recettes totales publiques de la loi de finances 2023, les recettes budgétaires du Niger s’élevant à 3 245 milliards de francs CFA, ce fonds représente 0,03 % des recettes totales budgétaires de l’État du Niger. D’où l’importance d’explorer d’autres pistes. Et parmi ces dernières, on peut noter le fait que la BCEAO ainsi que l’UMOA expérimentent une politique monétaire différenciée pour manifester davantage leur solidarité envers les pays de l’AES.
De manière concrète, face à la réticence des investisseurs, et le quasi-tarissement de l’aide internationale, la BCEAO peut envisager de racheter les titres de dettes publiques des pays de l’AES. Ce qui devrait leur permettre d’accroître leurs marges de manœuvre budgétaire et donc de disposer de ressources importantes pour financer, par exemple, l’achat des moyens aériens (drones, hélicoptères, avions de chasse, etc.) dont l’efficacité ne fait guère de doute dans la lutte contre la menace terroriste.
En outre, une politique monétaire expansionniste peut être envisagée dans les trois pays à travers une injection de liquidités et une baisse du principal taux intérêt directeurs – autour de 1 à 2% par exemple contre 3,5% actuellement – pour stimuler les économies locales. Et pour éviter d’éventuels effets d’aubaine, ce dispositif devrait avoir une durée limitée (5 ans renouvelables), et assorti des conditions d’utilisation, notamment le fait de réserver l’utilisation des fonds sur des secteurs bien précis, comme la défense et l’éducation, et d’avoir de contrôles renforcés.
Techniquement, cette mesure semble faisable. Toute la question est de savoir si les autres pays, à travers leurs Chefs d’Etat feront preuve d’une véritable empathie envers leurs frères et sœurs du Sahel, qui continuent d’être éprouvés, mais se prémunir contre le risque de propagation de la menace terroriste dans toute l’Afrique de l’Ouest. Il y a des pays qui sont en guerre actuellement et qui continuent de bénéficier des soutiens considérables pour la remporter. Alors, pourquoi pas les pays de l’AES ?
Adamou Louché Ibrahim, économiste