Plusieurs possibilités avaient été envisagées par le Niger depuis le début de sa campagne pétrolière pour l’évacuation de son brut sur les côtes maritimes. De l’Algérie au Nigeria ou du Tchad au Bénin, ce sont autant de tracés du pipeline qui avaient été échafaudés par les autorités nigériennes en charge du pétrole en début des années 2000. Au finish, le pétrole nigérien va prendre la route du Bénin pour déboucher sur les côtes atlantiques via le Terminal de Sème karké. Mais là, crack, sitôt le pipeline inauguré et dès le chargement du premier tanker, la situation se raidit entre le Niger et le Bénin. Un différend frontalier oppose les deux pays depuis la fermeture de la frontière née des mesures d’embargo infligées au Niger des suites du coup d’Etat du 26 juillet du général Tiani Abdourahmane qui a renversé Bazoum Mohamed. Le pétrole ne passe plus au Bénin. Depuis le 6 juin dernier, le Niger a fermé les vannes du pipeline.
Le Niger cherche une nouvelle voie de passage à son pétrole
Le 30 mai 2024, une forte délégation tchadienne, composée du ministre du pétrole et tous les experts et représentants du secteur du pétrole tchadien a séjourné au Niger où elle a eu des séances de travail avec les autorités nigériennes. L’enjeu, on l’aura bien compris, c’est le pipeline nigérien. Le 24 juin dernier, le communiqué du conseil des ministres a annoncé l’ouverture des discussions pour l’exportation du pétrole nigérien via le Tchad. Le Niger est-il en train de faire un retour sur le tracé à risques ? Avant le démarrage des travaux du pipeline Niger-Bénin en 2019, c’est le passage par le Tchad et le Cameroun qui avait été envisagé en priorité. Entre 2012 et 2014, toutes les discussions avaient été faites avec le Tchad et le Cameroun et un mémorandum avait même été signé avec les pays concernés.
En effet, le pipeline Niger-Tchad-Cameroun avait notamment deux avantages. La CNPC qui exploite le pétrole du Niger est aussi le même opérateur qui se retrouve sur le pétrole tchadien, ce qui facilite largement l’organisation du travail, notamment d’un point de vue du protocole technique. Ensuite, les champs pétroliers du Niger sont dans la partie frontalière avec le Tchad. » L’avantage est celui de la proximité puisque c’est justement dans la zone frontalière avec le Tchad que nous avons aujourd’hui notre pétrole », dira Illiassou Boubacar, expert du pétrole et membre du ROTAB.
Dans la construction du pipeline, le Niger aura juste à construire le tronçon de 600 km pour rejoindre le pipeline tchadien. Ce qui constitue en effet un avantage appréciable contre un tronçon de près de 2000 km pour le pipeline Niger-Bénin. Mais là s’arrêtent les avantages du pipeline Niger-Tchad qui, pour la suite, va s’avérer être le choix le plus à risques.
Les inconvénients du projet tchadien
Le premier aspect du problème est d’un point de vue financier. Le coup du transit, notamment sur le territoire camerounais, a connu une hausse vertigineuse. En effet, pendant que la situation était en étude, le Cameroun va presque quadrupler le droit de transit sur son territoire qui est passé subitement de 0,4 à 1,5 dollar américain par baril.
Du côté tchadien, le coût du transit est à 1 dollar par baril. En définitive, pour le passage du Tchad et Cameroun, le Niger doit payer un droit de passage cumulé de 2,5 dollars. Alors que le passage par le Bénin a un coup de 0,5 dollar par baril. Cela veut dire que pour le transit de son brut jusqu’au terminal en eau profonde de kribi au sud Cameroun, le Niger va payer l’équivalent de cinq (5) fois ce qu’il paie au Bénin. Très lourd financièrement parlant. Le Niger a une production journalière de 110.000 barils/Jour pour un volume d’exportation via pipeline de 90.000 barils par jour et envisage de passer à 200.000 barils/Jour en 2026.
L’autre difficulté sur le pipeline Niger-Tchad-Cameroun, c’est la qualité du brut et le coût du traitement du pipeline. Le Tchad comme le Cameroun sont producteurs du pétrole. Donc, dans le pipeline vont transiter le pétrole nigérien, le pétrole tchadien et celui du Cameroun. Ce mélange dans le même pipeline va induire une altération de la qualité du pétrole nigérien d’une part. D’autre part, dans les clauses en pratique, le Niger qui est le dernier arrivé dans le pipeline va supporter les coûts de chauffage du pipeline pour assurer une plus grande fluidité du brut en transit. Ça c’est pour ce qui concerne l’aspect technique. Et ce n’est pas fini. Toujours au niveau technique, le chauffage va altérer la qualité du brut nigérien, ce qui, à terme va réduire son prix sur le marché du fait de la perte de qualité.
Mais les difficultés auxquelles fera face l’option du passage par le Tchad et le Cameroun ce sont aussi les questions d’ordre sécuritaires. Sur tout son parcourt depuis le Niger en passant par le Tchad et le Cameroun jusqu’au terminal sur le port maritime, le pipeline aura une longueur estimée à 2 050 à 2 100 km. Et sur toute cette longueur, le Niger aura un contrôle sur à peine 100 km, c’est-à-dire le tracé des champs pétroliers jusqu’à la frontière avec le Tchad. Tout le reste, soit près de 2000 km, est en territoire tchadien et camerounais.
Le Niger n’aura donc aucun contrôle sur tout ce qui peut arriver sur cette partie. Entre les vols, les sabotages et l’action terroriste, le Niger n’aura aucune maitrise. Par contre, sur le tracé Bénin, le pipeline est long de 1982 km exactement, dont 684 km seulement en territoire béninois. Le Niger a donc un contrôle sur 1298 km qui sont dans son territoire, et dans les discussions avec le Bénin, le Niger a aussi reçu un droit de contrôle sur 300 km en territoire béninois. Cela constitue une bonne marge de sécurité, contrairement au schéma Niger-Tchad-Cameroun où le Niger ne contrôle presque rien.
Entre autres raisons, c’est aussi l’aspect sécuritaire en lien avec la recrudescence des actions de Boko Haram au Tchad et au Cameroun, ce qui a amené le Niger à abandonner l’option tchadienne pour mettre en chantier le tracé par le Bénin.
Le Niger va-t-il de nouveau faire immersion dans cette zone d’incertitude sur le tracé tchadien ?
Pas très sûr. Même si les discussions sont ouvertes, ce qui est sûr, c’est que les experts pétroliers du Niger auront sans doute en vue ces importantes difficultés qui se dressent sur la route du Tchad et du Cameroun. D’un point de vue diplomatique, ils savent tous qu’il vaut mieux discuter avec les autorités d’un seul Etat que d’avoir à discuter avec deux Etats. Traiter avec plusieurs pays, c’est multiplier les risques de crises sécuritaires et d’instabilité politique.
Mais l’autre difficulté non négligeable, c’est dans les discussions entre le Niger et la Chine. Le cas échéant, qui va construire le pipeline Niger-Tchad-Cameroun ? Est-ce que la Chine est prête à tourner le dos à ce colossal investissement de quelques 5 mille milliards de francs CFA sur le pipeline Niger-Bénin pour repartir sur un autre tracé ? Pas évident. Pas évident surtout parce que les relations ont été tumultueuses entre la CNPC et le Tchad dans les travaux sur le pipeline tchadien. Outre la question d’insécurité liée à Boko Haram, ce sont aussi les tensions entre la CNPC et le Tchad qui ont pesé sur l’abandon du tracé initial sur le Tchad pour revenir au tracé béninois. Et si la Chine refuse le projet Niger-Tchad, le Niger sera obligé de résilier le contrat avec la CNPC pour chercher un nouvel opérateur. Mais bien sûr que le Niger ne prendrait pas ce risque qui pourrait le conduire devant les tribunaux internationaux. En tant normal, et pire encore, dans la situation actuelle du Niger, il ne peut espérer une victoire dans un arbitrage si la CNPC décide de poursuivre en justice. Le précédent d’Africarails est encore vivace dans les esprits pour servir d’avertisseur.
Le Niger commettra-t-il une nouvelle erreur ? Peut-être que d’ici là, le chassé-croisé de diplomatie engagée pour sauver les relations entre les deux pays aura permis de décrisper la situation. À suivre.
Ibrahim Elhadji dit Hima