Historique, audacieuse, symbolique, indispensable, il fallait s’y attendre…, autant de mots et expressions utilisés en ce moment pour qualifier la décision que viennent de prendre les autorités nigériennes, le jeudi 20 juin 2024. Cette décision est celle qui a consisté pour les autorités nigériennes de priver le spécialiste français du combustible nucléaire, Orano, du permis devant lui permettre d’exploiter l’un des plus grands sites de gisement d’uranium au monde, à savoir le site d’Imouraren. Ce dernier, dont les réserves sont estimées à près de 200 000 tonnes a été découvert en 1966 et est situé à 80 km au sud d’Arlit et à 160 km au nord d’Agadez.
Le retrait du permis intervient après une mise en demeure, le 18 mars dernier, enjoignant le groupe français de commencer les travaux d’exploitation du site d’Imouraren dans un délai de trois mois. Ce délai étant arrivé à expiration et constant que les travaux d’exploitation n’ont pas commencé, le gouvernement a mis sa menace à exécution.
Un gros coup dur pour la multinationale française
La société française « prend acte de la décision des autorités du Niger de retirer à sa filiale Imouraren SA son permis d’exploiter le gisement et ce, malgré la reprise des activités sur le site, conformément aux attentes qu’elles avaient exprimées », a-t-elle expliqué dans un communiqué publié le même jour. Elle se réserve également « le droit de contester la décision de retrait du permis d’exploitation devant les instances judiciaires compétentes, nationales ou internationales ».
En attendant un éventuel recours auprès des juridictions compétentes, la perte du permis d’exploitation, obtenu début 2009 à l’issue d’une étude de faisabilité achevée fin 2007, constitue sans doute un gros coup dur pour Orano, même si elle relativise l’impact pour ses approvisionnements.
En effet, la multinationale française misait beaucoup sur l’exploitation du site d’Imouraren pour, à la fois renforcer sa notoriété en tant que producteur au niveau mondial, mais aussi pour mieux satisfaire ses clients dans un contexte marqué par un fort regain d’intérêt pour le « Yellow Cake », en raison, entre autres, des impératifs liés à la transition écologique.
En outre, après la fermeture du site de la Cominak en 2021, Imouraren devait prendre le relais. Pour ce faire, Orano a investi un milliard d’euros (soit 655, 957 milliards de FCFA) depuis le démarrage du projet au milieu des années 2000, dont 300 millions d’euros sur les dix dernières années. Et selon Le Monde, « pour le groupe français, ce projet était censé être l’un des plus prometteurs. Selon les estimations faites à la fin de l’année 2023, avec plus de 34 000 tonnes d’uranium, ce gisement représentait à lui seul 16,5 % de toutes les réserves prouvées d’Orano, c’est-à-dire exploitables dans les conditions économiques et techniques du moment ».
Doit-on craindre des représailles d’ordre économiques ?
Dans le secteur minier nigérien, Orano reste indubitablement un acteur économique très important et dont les activités génèrent des retombées économiques et financières relativement importantes. En effet, « depuis la création des sociétés minières au Niger, l’Etat du Niger bénéficie de retombées économiques directes des sociétés minières, constituées par la redevance minière, tous les autres impôts et taxes et les dividendes ».
A ces retombées directes s’ajoutent « les retombées indirectes constituées par les salaires versés aux salariés des entreprises minières au Niger et par les achats locaux effectués par ces sociétés qui ont contribué au développement de la région d’Agadez », peut-on lire sur le site de la société. « Le groupe déploie [également] une politique sociétale ambitieuse de plusieurs millions d’euros par an dans les domaines de l’éducation, la santé et les infrastructures définis d’un commun accord avec l’Etat du Niger et les communes proches de nos sites ».
« Dans le cadre de l’Accord Global de Partenariat signé le 4 mai à Niamey entre Orano et l’Etat du Niger, 3 axes majeurs ont été retenus pour la réalisation de projets sociétaux avec des projets encore à l’étude qui seront réalisés à l’horizon 2030 pour une enveloppe globale de 40M€ : l’amélioration des compétences, la scolarisation des jeunes filles, le développement économique dans le domaine de l’énergie ». En outre, « plus de 14 milliards FCFA investis par SOMAÏR et COMINAK dans des projets sociétaux (santé, éducation, accès à l’eau…) sur les 16 dernières années ».
Des investissements importants sont aussi prévus dans le cadre de la poursuite des activités de SOMAÏR, des essais pour le développement du projet minier d’IMOURAREN (85 millions d’euros) et des projets sociétaux prévus dans le cadre de l’Accord Global de Partenariat (40 millions d’euros). Or, avec une telle privation de permis d’exploitation, la société, pourrait, en guise de représailles, geler, voire renoncer tout simplement à ces investissements. Une cessation des activités, voire la cession des sites peut aussi être envisageable. Ce qui, en l’absence de repreneurs, pourrait entraîner des conséquences relativement importantes dans les zones où elle exerce ses activités, notamment en termes de pertes d’emplois.
La reprise en main de la gestion des ressources naturelles comme ligne de conduite
Si les ressources naturelles que possède le Niger lui procurent une chance unique de favoriser son développement humain et économique, cette abondance de ressources naturelles ne s’accompagne pas nécessairement des niveaux équivalents en matière de prospérité, de développement à grande échelle et d’industrialisation. Autrement dit, le pays vit dans une certaine mesure dans le paradoxe de la pauvreté dans l’abondance. Selon la Banque Mondiale, près de 50% de la population du Niger vit actuellement dans l’extrême pauvreté. Le pays accuse également de sérieux retard en matière du développement humain.
Même si les ressources minières alimentent moins de conflits dans le pays contrairement à ce que l’on observe en République Démocratique du Congo, de nombreux Nigériens continuent de s’interroger sur les principaux obstacles qui empêchent le Niger d’atteindre son potentiel en matière de développement économique et social. Et parmi ces obstacles, la mauvaise gouvernance, qui ne cesse de caracoler en tête, serait en partie exacerbée par l’exploitation des ressources naturelles. En effet, ces dernières, qui représentent une manne financière considérable, génèrent des comportements de captation, de corruption et de luttes de pouvoir et favorisent la culture de l’opacité. Des éléments bien présents au Niger car certains responsables utilisent leur accès aux ressources financières que procurent les industries extractives pour promouvoir leurs propres intérêts personnels au détriment des intérêts de la nation. Ce, malgré l’adhésion du pays à l’Initiative pour la transparence des industries extractives (ITIE) qui promeut une gestion ouverte et responsable des ressources extractives.
Depuis son arrivée au pouvoir il y’a pratiquement un an, le CNSP a fait de la reprise de la gestion des ressources naturelles une de ses lignes de conduite. L’un des objectifs de cette nouvelle approche consiste à bannir des pratiques déplorables, à l’image de celle d’Orano qui a consisté à suspendre les travaux pour la mise en production du site, ce que la firme a appelé la mise « sous cocon » en 2015 dans l’attente de conditions de marché plus favorables. Simplement, pendant ce temps, le Niger est contraint de renoncer aux éventuelles retombées promises. Une attitude que l’on serait tenter de qualifier de condescendante et que le CNSP entend, de manière légitime, à y remédier pour à la fois « mettre le pays dans ses droits », mais aussi renforcer sa crédibilité auprès de la population à qui il a promis la rupture.
Maintenant que le permis est tombé dans le « domaine public », il faudra s’attendre à ce que le gouvernement puisse attribuer les mines au plus offrant, dans les mois ou années à venir.
De surcroit dans un contexte caractérisé par des besoins de liquidités importants pour apporter des réponses aux défis colossaux auxquels le Niger fait face, mais aussi tirer bien profit de la hausse des cours de l’uranium.
Doit-on craindre pour l’attractivité du pays ?
Le Niger fournit près de 4,7 % de la production mondiale d’uranium naturel, loin derrière le Kazakhstan (45,2 %), selon des chiffres de 2021 de l’agence d’approvisionnement d’Euratom (ESA). Mais le pays revêt une forte importance pour l’Europe, dont les centrales nucléaires s’y approvisionnent pour un quart, juste derrière le Kazakhstan et devant le Canada. En termes de signal, le retrait du permis pour Orano, même si la raison semble légitime, auquel s’ajoutent d’autres écueils comme le sabotage du pipeline « Niger-Bénin », l’instabilité politique… peuvent constituer des éléments repoussoirs pour tout investisseur désirant investir au Niger et pourrait à terme nuire à l’attractivité du pays.
En guise de rappel, l’attractivité d’un territoire est généralement assimilée à la capacité de ce territoire à attirer et à retenir les facteurs mobiles de production et/ou la population. Nous définirons cette attractivité, comme la capacité d’un territoire à être choisi par un acteur comme zone de localisation (temporaire ou durable) pour tout ou partie de ses activités ; cette attractivité est une attractivité perçue qui n’implique que des personnes physiques, des individus, des ménages ou des équipes, par exemple des équipes dirigeantes d’une entreprise ou d’une administration publique.
Ce qui va être intéressant à surveiller dans les mois ou semaines à venir, c’est l’attitude des investisseurs à l’égard du Niger. Autrement dit, vont-ils se bousculer, comme c’était le cas il y’a quelques années où le pays constituait une destination de choix pour les investissements directs étrangers ? L’avenir nous le dira !
De la nécessité de poser un moratoire sur l’exploitation des mines
L’exploitation de l’uranium, et plus globalement des mines dans le pays, ne génère pas que d’externalités positives. Elle engendre également des conséquences négatives. Plusieurs études, documentaires… montrent le revers de la médaille. Selon l’ONG Green Peace, « AREVA [devenu depuis ORANO] a débuté ses activités d’extraction minière au Nord du Niger il y a quarante ans, créant ainsi les conditions de ce qui aurait dû être un sauvetage économique pour un pays en crise. Cependant, les exploitations d’AREVA sont en grande partie destructrices : le forage des mines et les détonations provoquent des nuages de poussière, des montagnes de boue et de déchets industriels – à ciel ouvert- se forment autour des mines et le déplacement de millions de tonnes de terre et de rochers menacent de contaminer la nappe phréatique qui disparaît rapidement à cause de la surexploitation industrielle. AREVA a fait preuve de négligence dans sa gestion du processus d’extraction. Et cela se traduit par la libération et la propagation dans l’air de substances radioactives qui s’infiltrent dans la nappe phréatique et contaminent les sols autour des villes minières d’Arlit et d’Akokan. L’exposition à la radioactivité endommage l’écosystème de manière définitive et peut également causer des problèmes de santé : maladies respiratoires, malformations à la naissance, leucémies, cancers, pour ne citer que quelques exemples. Les maladies et les problèmes de santé sont nombreux dans cette région et le taux de mortalité lié à des problèmes respiratoires y est deux fois plus élevé que dans le reste du pays ».
Ces externalités négatives, sans doute non exhaustives, doivent inciter le gouvernement à repenser la gestion du secteur minier. Certes, l’impératif économique commande de tout mettre en œuvre pour exploiter les ressources minières que regorge le pays. Simplement, à quel coût ? Le retrait du permis à Orano ainsi que la transition en cours au Niger représentent, de mon point de vue, le moment propice pour poser à la fois un moratoire sur l’exploitation des mines, et plus globalement se poser les « bonnes questions » devant permettre, à terme, de concilier les impératifs économiques, écologiques dans un contexte lié au changement climatique, sociaux et sociétaux. Le tout, dans l’intérêt de la population.
ADAMOU LOUCHE IBRAHIM
Economiste
@ibrahimlouche