On ne parle pas encore de bruits de bottes sur la frontière entre le Bénin et le Niger mais la situation entre les deux pays est à son comble. De part et d’autre, on semble laisser monter l’escalade de la violence. Les discours en provenance des deux capitales sont chargés de lourdes accusations de part et d’autre, avec notamment ce rocambolesque incident diplomatique qui a subitement fait monter la tension d’un cran.
Il s’agit de l’arrestation de cinq hauts fonctionnaires nigériens, composés de la Directrice générale adjointe de WAPCO-Niger, accompagnée des inspecteurs pétroliers qui se rendaient au Bénin pour contrôler le chargement d’un tanker chinois qui devait charger le pétrole nigérien sur le terminal de Sèmè. Depuis lors, c’est une cascade de communiqués aux relents guerriers qui se fait entendre des deux côtés. « À l’étape actuelle, l’enquête a formellement établi qu’au moins deux parmi ces personnes sont des agents nigériens au service du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP). Ils se sont fait confectionner pour la circonstance, des faux badges d’employés de WAPCO-Niger », indique le communiqué du procureur spécial, le béninois Elonm Mario Metonou.
Cette annonce va faire l’effet d’une bombe. Les autorités béninoises viennent d’arrêter des hauts fonctionnaires nigériens soupçonnés d’acte terroriste. « L’investigation se poursuit pour déterminer les motivations réelles des mis en cause dans un contexte où des informations récurrentes font état de la planification d’actes d’atteinte à la sûreté du Bénin », précise le communiqué du procureur béninois.
Ainsi, pour le Bénin, la directrice adjointe de WAPCO-Niger, société de gestion du pipeline serait une dangereuse terroriste à la tête d’une bande qui a pour mission de perpétrer des actes de déstabilisation du Bénin. Et cela, bien sûr en relation avec les chinois de la CNPC qui participe aux côtés du Niger et du Bénin dans l’exploitation du pipeline pétrolier.
Un incident provoqué exprès avec des accusations montées sur pièces communiquées à un procureur qui ne fait qu’exécuter des consignes. La preuve évidente dans ce jeu de provocation est cette allusion à des « agents nigériens qui se sont fait confectionner pour la circonstance des faux badges d’employés WAPCO-Niger ».
Qui en effet est mieux placé pour authentifier le vrai badge WAPCO-Niger ? C’est le Niger ou le Bénin ? Comment est-ce que des agents nigériens, munis de tous leurs documents de voyage vont-ils se déplacer pour arriver régulièrement à l’aéroport de Cotonou, hébergés dans les hôtels de Cotonou, en relation avec leurs collègues béninois de WAPCO-Bénin, et c’est une fois arrivés sur le terminal du pipeline qu’ils vont être interpelés et arrêtés au motif qu’ils ont des faux badges WAPCO-Niger ? Et pour faire choc dans cette rocambolesque accusation, un journal à la solde des autorités béninoises va titrer dans sa parution du vendredi 7 juin : « Projet d’attaque du Bénin par le Niger : 5 espions dont 02 terroristes de Tiani arrêtés sur le terminal de Sèmè ».
Nul doute pour tout le monde, qu’à travers cette ténébreuse affaire, le Président béninois Patrice Talon vient de donner une dimension supplémentaire à la crise entre le Bénin et le Niger. Une situation qui vient s’ajouter à la fermeture de la frontière et aux difficultés dans les échanges entre les deux pays, impactant sérieusement le vécu quotidien des populations des deux côtés de la frontière.
Du côté nigérien, l’heure n’est pas non plus à la désescalade. L’arrestation des nigériens de WAPCO-Niger est suivie d’un ultimatum de cessation d’alimentation en pétrole du pipeline, qui est suivi d’effet dans les heures après avec la fermeture des puits du pétrole, mettant ainsi le pipeline à sec.
Pour les autorités du Niger, il s’agit d’acte délibéré du Président béninois Patrice Talon pour déstabiliser le Niger. « Les chantages, les manœuvres dilatoires et tout récemment le kidnapping, suivi de prise d’otage, ne sont en réalité que des pièges usités que le président Patrice Talon utilise aujourd’hui pour pousser le Niger à la faute et donner ainsi un prétexte à ses commanditaires pour stopper la conquête de la souveraineté et de l’indépendance du Niger, et au-delà des pays membres de l’Alliance des Etats du Sahel (AES) », a déclaré le ministre porte-parole du CNSP, côté Niger.
Pour être plus terre à terre, un activiste de la société civile, Bana Ibrahim, a publié sur sa page Facebook « ce que le Bénin fait est inadmissible mais nous devons nous rappeler que c’est ce que cherche justement Talon : c’est offrir une opportunité aux USA de nous attaquer en passant par le chapitre 7 des Nations Unies ». De qui peut-il tenir cette information ? Sans doute des amis du Niger qui ne sont pas pour aider la diplomatie de la paix mais pour aider l’enlisement.
Quid de la diplomatie
On l’aura compris, tout le monde pense à la guerre, même si personne ne l’a encore dit haut. Et ce qui est inquiétant, c’est le silence de la diplomatie de la paix. À quand l’amitié de la paix ? La CEDEAO est-elle définitivement un instrument de sanction, sans aucune vocation de diplomatie préventive ? L’organisation communautaire n’a plus aucune prise sur le Bénin de Talon ? L’AES de Tiani Abdourahmane, Assimi Goïta et Ibrahim Traoré est-elle juste une alliance canonnière, une alliance de guerre et non une alliance de la paix ? Le silence des amis dans cette configuration des choses est très troublant. Le Togo n’a rien dit et rien entrepris pour les bons offices dont il a su faire montre par le passé sur d’autres dossiers. Sur la crise Niger-Bénin, il s’est contenté de se frotter les mains quand le port de Lomé a remplacé le port de Cotonou au Bénin pour la desserte du Niger.
Ensuite, le Togo a écouté avec intérêt les bruits de l’éventualité d’une reconfiguration du pipeline via Ouaga au Burkina et Lomé au Togo. Mais en entendant, ils pourraient se faire doubler. Samedi dernier, c’est une longue procession des officiels tchadiens qui a été reçue par les autorités de Niamey. Il y avait le ministère tchadien du pétrole, toutes les compagnies et sociétés tchadiennes du pétrole, la douane du Tchad, pour ne citer que ceux-là. Tout ce beau monde sans doute n’est pas arrivé à Niamey pour de simples Salamalecks. Très probablement, le détournement du pipeline sur le Tchad pourrait déjà être en discussion.
Les amis du Niger semblent plus préoccupés par les affaires que par la paix. Les russes avec une très forte expérience de la diplomatie menée par le très talentueux et stratège Sergueï Lavrov ne semblent pas s’en préoccuper. Ils attendent aux pieds de leur batterie anti-aérienne.
Pour rappel, le Niger et le Bénin n’étaient pas à leur première escalade. En 1864, l’affrontement a été évité in-extremis par l’action d’une poignée d’hommes épris de paix et surtout par l’engagement d’un président, Diori Hamani.
Peut-être qu’on pourra rééditer cet exploit pour éviter une rechute entre les deux pays frères. Peut-être aussi qu’on pourra éviter la deuxième guerre des pauvres comme les médias occidentaux ont qualifié les conflits militaires qui ont opposé le Burkina Faso au Mali en début des années 80. « La guerre des pauvres », on pouvait l’entendre par un autre entendement que par la caricature que les médias occidentaux ont voulu donner au conflit. La guerre des pauvres devait être la guerre des Etats d’Afrique contre la pauvreté.
Ibrahim Elhadji dit Hima