À l’instar de la communauté internationale, le Niger s’apprête à célébrer ce mercredi 1er mai, la fête du Travail. À la différence des éditions précédentes, l’édition 2024 intervient dans un contexte national très particulier. En effet, à l’image de la population, les travailleurs nigériens ont été durement éprouvés par les sanctions économiques et financières ayant frappé le pays à la suite des événements du 26 juillet 2023. Avant cette date, de nombreuses avancées avaient été obtenues telles que le versement régulier des salaires et le dialogue social était relativement au beau fixe, éloignant au passage toute velléité de grèves à la fois dans l’administration publique, mais aussi dans le privé.
Cependant, avec le blocus économique, leurs conditions de travail se sont, dans une certaine mesure, détériorées. En outre, dans de nombreux secteurs d’activité, la cessation d’activité induite par la fermeture des frontières ou le fonctionnement dégradé des établissements bancaires a conduit de nombreuses entreprises à recourir au licenciement économique.
Un drame pour de nombreux salariés au regard du rôle que joue le salaire en matière de lutte contre l’extrême pauvreté au sein des foyers nigériens. Le recourir aux crédits auprès des boutiquiers de la place pour subvenir d’une part aux besoins les plus élémentaires, et d’autres part, atténuer leurs souffrances, semble la seule solution alternative en attendant des jours meilleurs.
Et pour ce qui ont réussi à y échapper, ils ont tout de même connu des « mois de 45 jours » ; ce qui les a contraints à procéder à des arbitrages souvent difficiles pour gérer le quotidien. Et la levée des sanctions intervenue en février dernier peine encore à produire les effets escomptés, à savoir booster la reprise de l’activité et potentiellement favoriser de nouvelles embauches.
Poursuivre le dialogue social
Récemment, à la suite d’un classement établi par la nouvelle ministre de la Fonction Publique, un des grands syndicats du pays n’a guère apprécié l’attitude de cette dernière à leur égard. En effet, la confédération démocratique des travailleurs du Niger (CDTN) a décidé d’« attaquer la note du ministère de la fonction publique, du travail et de l’emploi portant classement des centrales syndicales en vue de l’obtention de la subvention de la Caisse Nationale de Sécurité Sociale ». Selon le bureau exécutif national du CDTN, « le ministère de tutelle viole le classement démocratiquement établi à l’issue des élections professionnelles de juillet 2019 qui consacre la CDTN, la centrale syndicale la plus représentative au Niger ». Ce qui semble de mauvais augure pour la reprise, voire la poursuite du dialogue social dans le pays.
Et pourtant, ce ne sont pas les sujets de discussion qui manquent. De l’impasse politique que connait le Niger à la dégradation continue de la situation sécuritaire dans certaines zones comme Tillabéry ou Diffa, en passant par l’amélioration des conditions de travail, les syndicats ont sans doute un rôle important à jouer et peuvent être source de propositions concrètes pouvant contribuer à améliorer la donne.
Autre avantage du dialogue social, ce qu’il part de la conviction ambitieuse qu’un débat fécond est susceptible de résoudre des questions économiques et sociales importantes, de promouvoir la bonne gouvernance, de favoriser la paix et la stabilité sociale et de stimuler l’économie. Il se place donc comme un mode de régulation sociale, qui vise à limiter la possibilité d’un pouvoir unique et absolu de décision (comme l’État ou l’employeur).
Mieux valoriser les travailleurs
Avec un dialogue social renforcé, c’est l’assurance de créer un cadre stable au sein de société nigérienne en proie à des difficultés, mais également de renforcer la cohésion d’équipe au sein de l’administration ou des entreprises. La résolution de tous types de problématiques, concourant à mieux valoriser les travailleurs, sera ainsi nettement facilitée.
Cette valorisation des travailleurs passe essentiellement sur deux points. D’une part, une rémunération à la hauteur de la qualification. De nos jours, le Niger a la mauvaise réputation d’avoir des salaires structurellement bas. Le salaire Minimum Interprofessionnel Garanti (SMIG), qui est un montant plancher en termes de rémunération salariale horaire pour 40 heures de travail, était de 30 047 francs CFA du 17 août 2012 au 31 décembre 2023, soit le plus faible de la zone UEMOA. Toutefois, depuis le 1erjanvier 2024, il est passé à 42000F, soit une hausse de près de 39%, légèrement au-dessus du SMIG du Mali (40 000 francs CFA) mais très en deçà de celui du Sénégal (64 223 F CFA) ou de la Côte d’Ivoire (75 000 F CFA). Difficile dans ces conditions d’endiguer efficacement la pauvreté. Et cela n’est pas sans conséquence sur la motivation des salariés, de surcroit dans un contexte de hausse vertigineuse du coût de la vie.
Pire, la faiblesse des salaires serait dans certains secteurs sensibles à l’origine des pratiques malsaines comme la corruption, le trafic d’influence, le conflit d’intérêt… pour des agents indélicats. D’où la nécessité de veiller à ce que la rémunération des agents soit à la hauteur et donc tendre vers le salaire décent. Ce dernier, en guise de rappel, suppose que pour que les personnes puissent sortir de la pauvreté, tout travailleur, quel que soit son statut, doit recevoir un revenu suffisant capable de couvrir ses besoins (alimentation, logement, éducation, hygiène, loisirs) ainsi que ceux de sa famille, et lui permettre d’avoir une liberté économique pour faire face aux potentielles dépenses imprévues. Et pour éviter d’alourdir la masse salariale de la société et éviter d’éventuelle faillite, celle-ci doit œuvrer pour accroitre la productivité de ses agents à travers la montée en compétence. Celle-ci, à titre de rappel, est l’acquisition de nouvelles aptitudes permettant au salarié de mieux gérer ses missions.
Les avantages de la montée en compétences professionnelles sont multiples. Des collaborateurs formés, ayant l’opportunité d’acquérir de nouveaux savoirs, sortent grandis de cette expérience. Parfaitement intégrés à leur poste et à leur entreprise, ils sont plus motivés au travail et réalisent de meilleures performances. Les formations permettant de monter en compétences sont variées. Elles peuvent aider l’entreprise publique ou privée à anticiper les évolutions technologiques, et donc à y préparer leurs salariés. Elles sont également de véritables révélatrices de talents et aident la direction à maîtriser les coûts.
D’autre part, renforcer la sécurité des travailleurs. Dans de nombreux secteurs tels que la construction, la sécurité laisse souvent à désirer : non-respect des normes de sécurité par le refus de port des casques sur des chantiers ou encore des masques et gants pour des agents manipulant des produits dangereux…. Cela provoque souvent des accidents. Et dans un pays où la sécurité sociale reste défaillance, les coûts pour la société peuvent s’avérer exorbitants.
D’où l’importance pour les syndicats de continuer à faire de la question de la sécurité au travail une des leurs priorités, de surcroit dans un contexte de changement climatique nécessitant des adaptations particulières en fonction des postes de travail. De manière concrète, c’est de faire en sorte que chaque employeur puisse veiller à la santé et à la sécurité de ses travailleurs en mettant en place des actions de prévention, d’information et de formation et évaluer les risques professionnels sur chaque poste de travail.
Autant de thématiques sur lesquelles les syndicats des travailleurs, employeurs ainsi que le gouvernement doivent continuer à s’y pencher afin d’améliorer significativement les conditions de travail car cela peut constituer des atouts majeurs pour motiver et garantir la bonne productivité des travailleurs.Et lorsque les salariés sont motivés et qu’ils exercent dans une bonne ambiance de travail, ils donnent le meilleur d’eux pour assurer la bonne marche des activités et peuvent, par ricochet, contribuer à redresser le pays. Un redressement dont le Niger a tant besoin après plusieurs mois de blocus pour envisager sereinement son avenir. Bonne fête de travail à tous !
Adamou Louché Ibrahim, Economiste