Dans son élan de lutte totale pour recouvrer la plénitude de l’expression de la souveraineté des Etats membres, l’Alliance des Etats du Sahel (AES) est de fait « une Alliance des Etats en Sevrage ».
Le Niger qui s’est lancé dans cette nouvelle trajectoire de reconquête de son indépendance, depuis l’arrivée au pouvoir des autorités militaires du CNSP, a déjà commencé par payer gros, l’interruption du processus démocratique et ce, à travers une cascade des sanctions qui lui ont été infligées. De la CEDEAO à l’Union européenne, en passant par l’UEMOA et autres partenaires bilatéraux, il s’est agi pour ces partenaires, de marquer leur opposition à tout changement du régime par les coups d’État.
Les mesures de fermeture des frontières et le gel des transactions commerciales ont constitué le premier régime de sevrage que la population devait supporter. Déjà sur le marché, la rareté des biens de consommation ou la montée en flèche des prix de produits de première nécessité vont maintenir les ménages dans une situation de précarité tendue. C’est pratiquement pour soulager une population au bord de la rupture, que le gouvernement nigérien, à la veille du mois béni de Ramadan est intervenu pour tenter d’imposer des prix fixes sur les produits de grande consommation sur l’ensemble des marchés du pays. Sans succès, les prix gardant encore leur volatilité.
Alors que les plaidoyers des différents acteurs commençaient à porter en faveur de la réouverture des frontières avec le Niger, que la CEDEAO annonçait l’abandon des sanctions sur la transition et que le Nigeria et le Bénin annonçaient également l’ouverture de leurs frontières avec le Niger, les autorités du CNSP affichaient une fermeté avec tous les anciens partenaires. Occasionnant ainsi la poursuite de l’austérité.
La quête de la souveraineté a un prix, il faut consentir au sacrifice pour y arriver. C’est à peu près ainsi que l’on peut apprécier ce régime de sevrage du Niger mais aussi des autres Etats du Sahel, à savoir le Mali et le Burkina Faso avec qui, le Niger partage la même orientation politique au sein de l’Alliance des Etats du Sahel (AES) qui est aussi une alliance des Etats en sevrage.
La bataille dans cette conquête va affermir et tremper le caractère des dirigeants, cette lutte va aussi forger un citoyen nouveau avec un nouvel état d’esprit. Mais d’ici-là, il faut tenir le coup, il faut tenir le pari et ce qu’il faut redouter, c’est surtout le syndrome du marasme qui frappe quasiment tout organisme en sevrage. Avec la situation de précarité des populations, la morosité des marchés, le ralentissement de la vie économique, ce qu’il faut surtout craindre, c’est le marasme économique. Et si le Niger venait à y tomber, cela prendra du temps avant de se redresser avec tout ce que cela comporte comme séquelles et qui sont parfois irréversibles.
Du sevrage au marasme
La grande habilité des autorités du CNSP, et au-delà, de l’ensemble des Etats de l’AES, c’est d’éviter le sevrage sévère. C’est-à-dire, garder un niveau d’ouverture, garder un dialogue critique avec les partenaires pour que les pays ne tombent pas dans une sorte de diète noire. Garder l’ouverture avec les partenaires, c’est revenir à la diplomatie agissante. Le Mali s’en sort mieux, le Burkina plus ou moins, le Niger doit revenir vers le réarmement diplomatique pour traiter les questions au cas par cas, pour sauvegarder des avantages et renégocier.
L’Occident est, à ce sujet, un partenaire incontournable, le Niger ne doit pas prendre le risque de se mettre à dos l’Europe et l’Amérique. Le Niger ne peut pas déroger à ce que fait tout le monde, la Russie achète et vend à l’Europe et l’Amérique. L’Iran a des bonnes discussions économiques avec l’Europe et les Etats Unis. Il faut garder la tête froide et évaluer le volume des investissements de l’Union européenne et de l’Amérique. Il faut aborder les choses avec beaucoup de précaution pour ne pas imposer à l’économie du Niger un sevrage sévère de ces importants investissements.
Loin des agitations des foules de la rue, les autorités militaires du CNSP avec une bonne diplomatie travailleront sans doute à ce qui sauvera le Niger du marasme, en gardant des discussions ouvertes avec les partenaires traditionnels du Niger. Qu’est-ce qui par exemple compensera la part des investissements américains et européens dans le programme du développement du Niger ? Qui va équiper l’armée en aéronefs et autres engins blindés de combat ? Sans doute pas la Russie dont certains activistes de la société civile et autres néo panafricaniste agitent à longueur de manifs le drapeau.
Dans toute l’Afrique, il n’existe encore aucun exemple de pays développé par l’intervention russe. Même en matière miliaire, il faut relativiser leurs efforts, puisque là-aussi, il n’y a aucun exemple de pays où l’intervention russe a réussi à ramener la paix.
La Centrafrique est encore un pays disloqué, le Soudan un pays saccagé, la Libye du général pro russe Aftar tarde encore à se remettre sur pieds. Tous ces exemples des pays où intervient la Russie sont des grands malades en souffrances de graves problèmes sécuritaires ou économiques ou les deux à la fois.
Autre chose, dans cet élan « souvérainétiste » des activistes de la rue qui jettent le Niger dans les bras de la Russie, personne ne se pose la question de ce que la Russie va coûter au Niger ? Là où les américains font des appuis au Niger sans aucune facture, les russes eux se font toujours payer. Alors, combien une éventuelle implication de la Russie dans la lutte anti terroriste va coûter pour les ressources du Niger ?
Le Niger comme les autres Etats du Sahel doivent être très prudents. Toute la difficulté pour ces Etats, c’est de savoir où s’arrêter dans les mesures de dénonciation des relations avec les partenaires pour ne pas basculer dans un sevrage sévère, porteur de marasme pour les Etats.
Ibrahim Elhadji dit Hima