Une liste des officiers et sous-officiers détenus dans les prisons et que le Front Patriotique pour la Souveraineté entend faire libérer circule depuis un certain temps sur le Net. Tous, des auteurs et complices des tentatives de coup d’État qui avaient été déjoués et mis en échec par le Général Tiani Abdourahamane, à l’époque patron de la Garde présidentielle, sous le régime Issoufou Mahamadou et après sous Bazoum Mohamed.
Sur cette liste, tous sont de l’armée. Des militaires qui ont été jugés et condamnés pour atteinte à la sûreté de l’État dont la dernière tentative était celle mise en échec dans la nuit du 30 au 31 mars 2021 contre Bazoum Mohamed, quelques heures avant son investiture.
Et pour brouiller les pistes, tout au bas de la liste, apparaît le nom de Ibou karajé. Ce dernier est un cadre du PNDS Tarayya, ancien financier de la présidence de la République, déféré devant la justice pour des faits de malversations financières sur d’importantes sommes d’argent. Le nom de Ibou Karajé apparait ici comme un trompe-œil.
Ce que réclame le Front Patriotique pour la Souveraineté n’est ni plus ni moins que la mise en liberté de leurs « camarades » qui ont « tenté quelque chose » pour replacer leur gourou au centre de l’arène politique quand tous les autres sont « restés lâches ».
C’est du reste Hama Amadou lui même qui a usé de ce qualificatif de « Lâches ». L’autorité morale du Moden Fa Lumana l’a rappelé lors d’une intervention faite pendant la campagne pour la présidentielle de 2020-2021 et qui a vu l’élection de Bazoum Mohamed à la présidence de la République contre son candidat Mahamane Ousmane.
Avec cette réclamation pour la libération des anciens auteurs et complices des tentatives des coups d’État passés, le Front Patriotique pour la Souveraineté apparaît au grand jour comme une officine du parti Lumana dont il n’a fait que transposer les idées et le mode d’action sur le terrain de l’activisme citoyen.
La boucle est bouclée
Toutes les positions affichées par le Front Patriotique pour la Souveraineté convergent dans une seule direction : « se racheter auprès de l’autorité morale de Lumana ». Oui, rattraper le retard de la lutte que les militants de Lumana ont été incapables de faire avant le coup d’État du 26 juillet 2023.
Dans une des interventions qui avait été filmée, Hama Amadou est apparu amer, totalement révolté contre ses militants. Cette irritation est très claire surtout quand il dit: « vous pensez que si on a un peuple déterminé, un homme politique comme moi, à Niamey, peut être arrêté ? ». L’amertume de Hama Amadou est consécutive à son arrestation et son emprisonnement alors que ses militants ont été incapables de le soustraire à la justice. La déception de Hama Amadou va s’exacerber encore davantage avec l’immobilisme généralisé de tout son réseau politique. Ses partisans et leurs relais d’acteurs de la société civile resteront totalement absents du terrain.
Pire, pour lui, les principaux acteurs de la société civile proche de Lumana vont prendre le chemin de la collaboration avec le régime « ennemi ». Ce sont ces activistes qui vont se mettre au service du cabinet de Bazoum Mohamed, avec des deals en sous-mains, arrangés dans les bistrots de la capitale.
Renonçant ainsi à la lutte, ils vont jeter la responsabilité de leur échec sur les leaders de l’opposition qui seraient trop tièdes ou pas dynamiques.
Dans un propos rageur, l’autorité morale de Lumana va interroger la situation à travers ce propos d’une extrême rudesse : « Dans une République qui veut émerger comme le dit Mahamane Ousmane, comment vous-allez émerger en restants lâches ? C’est impossible. (…) ils n’ont qu’à rentrer dans la danse, ils n’ont qu’à se mettre dans l’arène et se battre avec nous, nous montrer si nous, on ne sait pas comment se battre ». Le propos de Hama Amadou montre encore toute son irritation de la critique facile dont eux les leaders de l’opposition, particulièrement lui et Mahamane Ousmane ont été la cible de la part des activistes. « Tu es là dans ton salon en train de prendre ton whisky ou de boire ton thé, et tu nous dit d’aller. Mais il faut être… », a conclu Hama Amadou
Cette colère de Hama Amadou est restée sans écho. Les mêmes pratiques ont continué. Les acteurs de la société civile ont échoué à conduire le moindre combat. Sur le terrain, aucune marche, aucune manifestation, aucun meeting, rien. Il faut dire que le putsch du 26 juillet au Niger est un putsch atypique, et pas seulement parce qu’il a échappé aux services de renseignements français, ce qui a fait dire à l’ambassadeur en poste à Niamey qu’ils n’ont rien vu venir. Le putsch du Niger est atypique parce qu’il ne ressemble pas au putsch au Mali ou à celui au Burkina Faso.
La situation du Burkina remonte à l’effervescence du front social à travers d’intenses manifestations au sein d’un cadre appelé « Balai citoyen » et qui a fini par déboulonner le sphinx Blaise Compaoré au pouvoir depuis des décennies. Et c’est cette dynamique du « Balai citoyen » qui, après Compaoré, a continué à maintenir en haleine les acteurs de l’opposition et de la société civile jusqu’au dernier putsch de Ibrahim Traoré en 2022.
Au Mali, les acteurs associatifs, les opposants et les leaders religieux s’étaient mis en synergie dans le mouvement du M5-RFP, le mouvement du 5 juin 2020 du Rassemblement des Forces patriotiques. Impulsée par l’imam Mahmoud Dicko qui en était l’autorité morale, ce mouvement a engagé contre le régime d’Ibrahim Boubacar Keita, une série de manifestations en cascade et toutes réprimées par les forces de l’ordre. Mais le mouvement ne s’est pas estompé et toujours avec la même revendication, la démission d’Ibrahim Boubacar Keita jusqu’au 18 août 2020 où ce dernier a été renversé par le Colonel Assimi Goïta.
La colère de Hama Amadou est légitime puisqu’à Niamey, il a rêvé d’un scénario à la burkinabè ou à la malienne pour reprendre les choses. Mais sur le terrain, rien n’y fut. Les Maikoul Zodi, les Bana Ibrahim sont aux abonnés absents. Plutôt reconvertis en critiques de l’opposition politique. Mais quelques officiers vont quand même tenter le coup sans succès. Ce sont ces derniers que tentent aujourd’hui de sauver « leurs camarades » civils, espérant ainsi se faire pardonner leur propre lâcheté.
Le putsch du général Tiani Abdourahamane ne rentre dans aucune logique à la malienne ou à la burkinabè. Il n’a été précédé par aucun mouvement politique ou aucune manifestation de la société civile. Si le M5-RFP au Mali ou le « Balai citoyen » ont vu le jour avant les coups qu’ils ont peut-être préparé, au Niger le Front Patriotique pour la Souveraineté a été mis en place des jours après le putsch du 26 juillet 2023 pour, dit-on, « accompagner les autorités militaires de la transition ».
Aujourd’hui, l’équipe à la tête du Front est sur un autre agenda, « se racheter auprès de Hama Amadou et se faire pardonner ». Et c’est dans cette logique qu’ils agissent dans le sens d’obtenir la libération des « braves » qui ont osé agir par le passé pendant que les autres se cloitraient. Autant dire que le désir de plaire au gourou est tellement important qu’ils perdent de vue les risques de demander au président du CNSP de libérer des officiers qu’il a lui même mis aux arrêts et que la justice a condamnés pour les faits qui leurs sont reprochés.
Ibrahim Elhadji dit Hima