Plusieurs acteurs politiques français avaient déjà tiré la sonnette d’alarme. La diplomatie française est en grande difficulté. Son influence est en net recul, particulièrement dans les pays traditionnels où la France est premier partenaire. Un constat unanimement partagé, notamment dans cette partie de l’espace francophone de l’Afrique de l’ouest.
Il n’y a pas de diplomatie sans diplomate. Et les événements du 26 juillet 2023 ayant conduit au renversement du régime du président nigérien Bazoum Mohamed allaient révéler à la face du monde, la myopie ou la cécité de la diplomatie française au Niger. Le compte rendu devant la commission défense de l’Assemblée nationale française, le 14 février dernier, du déroulement des faits par l’ancien ambassadeur de France en poste à Niamey, Sylvain Itté n’est pas seulement un acte administratif. C’est aussi le compte rendu de l’échec d’un diplomate.
Sur toute la présentation qui a été faite devant les parlementaires français dont un document a été produit, il n’y a nulle part trace d’un véritable travail de la diplomatie. Sur le coup d’État survenu dans cette matinée du mercredi 26 juillet, nulle part on ne voit une quelconque initiative de l’ambassadeur Itté pour nouer un contact avec un responsable civile ou militaire dans le but d’entamer un premier niveau de discussions sur la situation.
Aucune action par lui-même l’ambassadeur, aucune par son service de renversement. Il l’a dit devant la commission parlementaire qu’il avait deux femmes affectées à ce service et qui étaient très bien incrustées dans les milieux des acteurs de la société civile. Mais pour quel résultat ? Pire encore, c’est lorsque l’ambassadeur Sylvain Itté va jusqu’à reconnaître qu’il n’a rien vu venir au sujet du coup d’État, même pas le moindre indice, aucun signe annonciateur n’a été capté ni par lui, ni par son service de renseignement. Quelque chose de très inédit s’était produit dans un pays francophone ou de tradition, rien n’échappe à la France, encore moins un gros événement comme un coup d’État.
Que contient alors le fameux rapport présenté devant la commission parlementaire ?
Deux choses : des longues jérémiades d’un diplomate qui n’a même pas su obtenir un traitement digne du rang de la France au Niger. Itte sera déclaré persona non grata au Niger, le 25 août 2023 avec ordre de quitter le Niger sous 48 heures. L’autre chose contenue dans son rapport, c’est cette profusion de rumeurs. La France humiliée dans un pays considéré jusque-là comme faisant partie de sa chasse gardée. La France va s’humilier encore par son ambassadeur qui refuse de partir et qui restera cloîtré avec son personnel dans une situation de démunissions complète, vivant presque de maigres rations, faute de ravitaillement, consécutif au blocus imposé par les manifestants, très hostiles à la France.
Ce pays va aussi s’humilier par un ambassadeur réduit à écouter la rue. Les ragots de la rue sont la seule chose qu’il a versée dans son compte rendu. Il a parlé de l’implication de l’ancien président de la République Issoufou Mahamadou dans le coup d’État du 26 juillet dernier, des rumeurs répandues d’ailleurs sur les réseaux sociaux. C’est aussi cela la diplomatie française. Ce sont tous ces ragots qu’Itté a compilé dans son compte rendu du 14 février dernier. Quelle preuve il fournit à son hypothèse ? Il dit que le 30 juillet, sous la menace des manifestants agglutinés devant les grilles de l’ambassade, il a appelé l’ancien Président de la République Issoufou Mahamadou. Et quelques instants après, le Général Salifou Mody, N°2 du régime était sur place, et la foule des manifestants s’était éparpillée. Voilà pour Sylvain Itté, une de preuves de l’implication d’Issoufou Mahamadou dans le coup d’Etat du général Tiani.
Des manipulations comme celles-là, l’ambassadeur français va en multiplier dans sa présentation devant la commission. Pourquoi il y a eu coup d’État ? « Parce que Bazoum Mohamed est un arabe, alors qu’au Niger, les communautés les plus importantes sont les Haoussa et les zarma », indique sans ambages, Sylvain Itté, dans son compte rendu.
De l’intox à la place des renseignements
Comme une option, Sylvain Itté a choisi de recouper les rumeurs de la rue à la place d’informations fiables. Peut-être pour camoufler son échec ou pour se venger des militaires nigériens qui ont renversé l’ami de la France. Sylvain ne cache point ses préférences ou ses sympathies pour Bazoum Mohamed qui, sur toute la ligne, apparaît comme l’homme de la France.
L’ambassadeur ne tarit d’ailleurs pas de bonnes appréciations pour Bazoum : « un homme bien, un président qui a une vision claire pour son pays, un responsable qui est porteur de grandes réformes pour son pays et que la France veut accompagner », souligne-t-il. Veut-il faire croire que la France a tourné le dos au Niger pour s’attacher uniquement à Bazoum Mohamed ?
La France a échoué à avoir une bonne diplomatie dans les événements du 26 juillet 2023. Et la mauvaise lecture de ces événements a compliqué davantage la gestion de la crise qui a fini par une rupture diplomatique totale des autorités de la transition avec la France. L’ambassadeur s’est aussi acharné sur le PNDS Tarayya qu’il a présenté comme un parti corrompu. Dans le même temps où il défend Bazoum Mohamed comme un homme politique honnête et propre, oubliant qu’il est un pur produit du PNDS Tarayya. Cette légèreté dans l’analyse et cette liberté de ton totalement aux antipodes de la démarche d’un diplomate ne sont pas étrangères à l’état d’esprit de l’ambassadeur français.
« Le garçon de Bamako »
Les désordres diplomatiques de Sylvain Itté n’ont pas commencé aux lendemains du coup d’État du 26 juillet. Il faut dire qu’il n’a toujours pas eu une attitude ou un comportement digne d’un bon diplomate. Arrivé au Niger le 28 septembre 2022, Sylvain Itté va s’affirmer tout le contraire de son prédécesseur Alexandre Garcia. Celui-là, les nigériens se rappellent de son calme et de sa retenue. Tout le contraire du bouillant et impulsif Sylvain Itté. Son agitation et son impulsivité vont se traduire de la façon la plus tragique dans cette empoignade qu’il a eue avec un activiste de la société civile au cours d’une conférence débat qu’il a animée lui-même en novembre 2022.
Une conférence organisée justement pour relever l’image de la France chez les jeunes nigériens. Cette escale de l’ambassadeur est devenue une marque de fabrique chez Itté, et il n’hésite pas à revendiquer sa naissance à Bamako au Mali pour dire que lui aussi, il sait se conduire comme un garçon d’Afrique, comme ces jeunes des rues des villes africaines. Cette attitude atypique, loin du standing d’un diplomate n’ont pas manqué d’irriter les autorités gouvernementales du Niger du temps de Bazoum qui étaient sur le point de demander son remplacement avant que ne survienne le renversement du régime.
Ibrahim Elhadji dit Hima