En mai dernier, lors de la publication de son rapport Perspectives économiques en Afrique 2023, la banque africaine de développement annonçait pour le Niger « des perspectives économiques pour 2023 et 2024 pour le Niger très favorables, avec des taux de croissance qui atteindraient respectivement 7 % et 11,8 %. Tous les secteurs connaîtraient un taux de croissance d’au moins 5%. La consommation et l’accélération des investissements et des exportations de pétrole rendues possibles par le nouvel oléoduc contribueraient à l’accélération de la croissance du PIB. Les pressions inflationnistes seraient contenues avec un taux d’inflation inférieur à la norme de 3 % de l’UEMOA. La situation des finances publiques devrait également se consolider avec une hausse significative des recettes publiques tirées de l’exploitation pétrolière, et la qualité des dépenses publiques s’améliorait dans le cadre de la nouvelle stratégie des réformes des finances publiques. Le niveau de la dette publique continuerait d’être viable avec la prédominance des emprunts extérieurs contractés à des conditions concessionnelles. Le solde du compte courant devrait s’améliorer avec celui des échanges extérieurs. Les conditions sociales devraient s’améliorer avec l’embellie économique et le renforcement des mesures de résilience contenues dans le nouveau Plan de développement économique et social (PDES, 2022–2026) ». Si l’institution basée à Abidjan, en Côte d’Ivoire, a pris soin de mentionner que « la réalisation de ces performances économiques relatives est sujette à plusieurs risques (insécurité, changements climatiques, dégradation de la conjoncture internationale, etc.), elle était loin d’imaginer, à l’image de nombreux observateurs avisés et institutions internationales qu’un autre événement majeur allait non seulement freiner la dynamique enclenchée depuis plusieurs années, mais aussi compromettre davantage la réalisation, au moins à court terme, de celles-ci : le renversement du Président Bazoum élu démocratiquement en 2021. Longtemps épargné, le Niger renoue ainsi avec l’instabilité politique !
Au-delà de freiner la dynamique et de compromettre la réalisation de bonnes performances économiques, comme évoqué précédemment, le putsch du 26 juillet dernier a attiré au pays des sanctions d’une rare sévérité et qui provoquent des dégâts considérables sur la population qui se retrouve à court de certains biens essentiels, tels que les médicaments, l’électricité… Et de l’avis de nombreux experts, ces sanctions, si elles venaient à perdurer, elles risquent de mettre à rude épreuve la résilience qui caractérise la population et en récession, voire à genoux l’économie nigérienne, en raison de sa forte exposition vis-à-vis de l’étranger. L’objectif des sanctions infligées au Niger par la CEDEAO et l’UEMOA était, entre autres, de dissuader la Junte afin qu’elle renonce à son projet et pousser, par ricochet, la population, qui serait lourdement impactée, à se retourner contre les putschistes.
Paradoxalement, c’est plutôt l’effet inverse qui se serait produit. En effet, malgré le coût très exorbitant pour le Niger, les nouvelles autorités continuent de bénéficier du soutien d’une part non négligeable de la population, qui les perçoit, par ailleurs, comme des libérateurs et donc des héros nationaux.
Loin d’être anodine, cette situation nous permet de tirer trois enseignements essentiels. Premièrement, une part importante de la population, et particulièrement les jeunes qui, en dépit des milliards de FCFA investis ces dernières années dans divers secteurs, estiment ne pas avoir des perspectives favorables et souhaitent rompre définitivement avec la gouvernance démocratique exercée jusque-là dans le pays et qui ne va pas assez loin pour satisfaire leurs doléances, qui sont par ailleurs, nombreuses.
Deuxièmement, elle dénonce, avec la plus grande énergie, les déboires de la gestion du pays qui est caractérisée, à titre de rappel, par le clientélisme, la corruption endémique, l’enrichissement illicite…
Troisièmement, elle aspire, et de manière légitime, à une gouvernance plus vertueuse. Autrement dit, une gouvernance promouvant un meilleur partage de la richesse pour lutter contre les inégalités criantes et la pauvreté, l’exemplarité des gouvernants, c’est-à-dire faire preuve du simple respect de la loi, de la décence, vertu, transparence en matière de conduite des affaires publiques, tolérance zéro contre la corruption et le détournement des biens publics, la méritocratie et la culture de l’excellence, etc.,
Des mesures qui devraient contribuer, entre autres, à restaurer, voire renforcer la confiance entre les hommes politiques et les citoyens. A cela s’ajoute le désir de souveraineté, une attente légitime quand on sait que la fragilité du pays évoquée tantôt est en partie imputable à certains accords bilatéraux ou multilatéraux défavorables pour la bonne marche du pays.
Si les négociations en cours avec la CEDEAO laissent entrevoir une sortie heureuse de la crise politique que connaît actuellement le pays, il semble néanmoins judicieux de concentrer actuellement les efforts sur trois axes principaux pour permettre au pays de mieux rebondir.
D’abord, continuer à exhorter les Nigériennes et Nigériens à faire preuve de solidarité pour atténuer les effets des sanctions sur les populations les plus vulnérables, notamment et rester davantage unis pour limiter les risques de dégradation des perspectives qui pourraient venir d’une détérioration de la situation sécuritaire régionale, causée par le terrorisme.
Ensuite, favoriser le rétablissement de l’ordre constitutionnel le plus rapidement possible puisqu’en raison de ses fragilités, le Niger, de l’avis de certains experts, ne peut tenir longtemps sous de telles sanctions.
Enfin, faire preuve de lucidité et de clairvoyance pour la suite. Il n’y aura pas, en effet, de révolution nigérienne sans stabilité politique durable, sans pacte nationaux puissants, engageant pour la sécurité et le développement, où la classe politique, les sociétés civiles, le secteur privé, la chefferie traditionnelle ainsi que les hommes religieux s’unissent dans cette lutte pour sortir le pays de l’ornière.
Il n’y aura pas de renouveau nigérien sans un effort considérable sur l’éducation, l’apprentissage, la formation, si l’on ne sort pas la jeunesse du pays des ténèbres de l’analphabétisme et de l’ignorance et lever de fortes contraintes structurelles persistantes nuisant à la productivité et la compétitivité du pays.
A cela s’ajoute la nécessité de faire évoluer les paradigmes actuels en matière des accords bilatéraux et multilatéraux. Au-delà de la sécurité, des armes, de la lutte contre le terrorisme, le Niger a besoin d’un apport massif de financement, de transfert de technologies, d’appui au développement (infrastructures, eau, éducation, agriculture, transport, etc.).
Toute la question est de savoir si les Nigériens sauront tirer véritablement les enseignements de la crise actuelle et être prêts à consentir d’énormes sacrifices, travailler vigoureusement afin de bâtir des institutions résilientes, stabiliser l’économie, améliorer la vie des populations vulnérables et poser les bases d’une croissance durable et inclusive et faire, ainsi du Niger, une fierté des Nigériennes et Nigériens, mais aussi de l’Afrique !
ADAMOU LOUCHE IBRAHIM
Economiste
@ibrahimlouche
Niger Inter Hebdo numéro 120 du Mardi 03 octobre 2023