Aminou Laouali est Coordonnateur de SOS-Civisme-Niger. Ancien Secrétaire Général de l’USN, Rapporteur Général de la Commission politique de la Conférence nationale souveraine, ‘’le Grand camarade’’, adepte des grands débats devant l’éternel a choisi de faire carrière dans la société civile responsable œuvrant pour l’enracinement des valeurs démocratiques. Diplômé en philosophie et en gouvernance, il a a été Directeur pays d’un programme américain sur les questions de gouvernance, de paix et de cohésion. Dans cette interview à bâton rompu, il renseigne sur la contribution de l’ONG SOS-CIVISME-Niger au développement et à la paix. Il décrypte également la situation sécuritaire dans la zone des trois frontières.
Niger Inter : Monsieur le Coordonnateur National, pouvez-vous nous présenter votre association, SOS-Civisme-Niger ?
Aminou Laouali : Je vous remercie de m’avoir donné cette opportunité pour commencer cette présentation par une clarification conceptuelle sur la signification de « SOS-Civisme-Niger » elle-même. Car, parce que « SOS » renvoie, à priori, à un cri d’alarme, l’on a fâcheusement tendance à supposer que « SOS-Civisme-Niger » est un appel au secours d’un Niger en proie à l’incivisme qui menace le pays de disparition.
Ce faisant, l’on assimile notre organisation à des structures telles que SOS-Racisme, SOS-Enfants Abandonnés ou SOS-Femmes et Enfants Victimes de Violence, qui sont justement des structures dont la dénomination se réfère au code « SOS » adopté par la Convention de Berlin le 3 novembre 1906 pour désigner un signal de détresse et de demande d’assistance immédiate face à un danger qui menace la survie des personnes dans les navires ou les aéronefs. Par extension, « SOS » sert à alerter face à tout problème grave de nature à rompre l’équilibre social. Dans ces cas de figure, « SOS » est l’acronyme de « Save Our Souls » (sauvez nos âmes), de « Send Out Succour » (envoyez des secours) » ou encore de « Save Our Ship » (sauvez notre navire).
Or, « SOS-Civisme » n’est pas un cri d’alarme. C’est à la fois une devise, une ligne de conduite et un principe d’intervention que nous nous sommes donnés. Pour nous, SOS signifie : Savoir, Oser, Solidariser.
Savoir, signifie que les interventions de notre organisation doivent être fondées sur la connaissance, sur des informations vérifiées, soit en s’appuyant sur les résultats des recherches scientifiques effectuées par des universitaires ou des institutions de recherches, soit en se référant aux documents de politiques publiques ou encore, en réalisant nous-mêmes des études de référence ou des enquêtes de perception pour mieux appréhender les problèmes que nous voulons contribuer à résoudre. Par exemple, nous avions réalisé en 2008 une étude de référence sur les déterminants socioculturels et économiques de la fécondité dans les régions de Maradi et de Zinder, dont nous avions utilisé les résultats pour formuler un programme de promotion d’une natalité responsable au Niger, cohérent avec les croyances religieuses et les traditions du pays.
En outre, savoir, signifie également que les résultats des programmes que nous mettons en œuvre doivent être documentés par des évidences, soit à travers une auto-évaluation, une évaluation participative impliquant les bénéficiaires ou une évaluation indépendante, soit par la production de documents de capitalisation. Ce qui nous permet de mesurer les résultats obtenus, les succès enregistrés et les échecs, d’identifier les leçons apprises et les bonnes pratiques, ainsi que les défis qui restent à relever. Puis, nous utilisons les résultats des évaluations ou les documents de capitalisation pour formuler de nouveaux programmes. Un exemple concret de cette démarche systématique est le Programme d’Appui à la Démocratie communale Participative (PADEP) que nous avions initié dans l’arrondissement communal de Niamey 5, avec une première phase (PADEP 1, du 01-11-2012 au 31-12-2014) et une seconde phase (PADEP 2, du 01-01-2015 au 31-12-2017).
En 2014, le programme a fait l’objet d’une évaluation indépendante qui a été réalisée par un cabinet nigérien d’expertises en sciences sociales. En août 2017, SOS-Civisme-Niger, en collaboration avec le Centre de Formation en Gestion des Collectivités Territoriales (CFGCT) de l’Ecole Nationale d’Administration et de la Magistrature (ENAM), a élaboré un document de capitalisation du programme, intitulé « guide méthodologique pour la mise en œuvre de la démocratie communale participative, expérience des conseils consultatifs de développement des quartiers et des villages ».
Par la suite, SOS-Civisme-Niger s’est servie du guide méthodologique comme outil de référence pour mettre à échelle l’expérience de démocratie participative dans les communes urbaines de Dosso et de Tillabéri, à travers la mise en œuvre de deux autres phases successives : PADEP 3, 2018-2020 et PADEP 4, 2021-2022. Un processus de capitalisation a sanctionné la fin de ces deux phases et a débouché sur l’élaboration, en octobre 2022, de deux guides méthodologiques pour la participation communautaire à la délivrance des services publics et la redevabilité des autorités communales vis-à-vis des citoyens. C’est en s’appuyant sur les contenus de ces guides que SOS-Civisme-Niger vient de développer un nouveau programme d’appui à la participation citoyenne, à l’intercommunalité et à la cohésion sociale dans les communes urbaines de Dosso et de Tillabéri, pour la période 2023-2025.
Enfin, les résultats de l’évaluation externe du PADEP ont servi de base à la définition de la composante “Renforcer la transparence et la redevabilité dans le domaine de la décentralisation“ du Programme d’Appui à la Gouvernance Démocratique (PAGOD) de la Direction du Développement et de la Coopération (DDC) Suisse. La mise en œuvre de la composante a été confiée à SOS-Civisme-Niger dans les 10 communes minières et pétrolières des régions d’Agadez, Diffa, Tahoua, Tillabéri et Zinder, pour la période 2020-2022.
Oser, parce que la nature des problèmes sur lesquels nous avions décidé de travailler exige une capacité à prendre des risques, nécessite du courage et toujours une volonté accrue d’affronter et de surmonter des défis d’ordre politique, économique, social, culturel, opérationnel, etc. Car, dans le contexte du Niger, travailler pour le civisme, c’est-à-dire pour l’intérêt général, implique au minimum de travailler sur l’effectivité des droits et devoirs des citoyens, sur l’avènement d’autorités légitimes et redevables capables de fournir des services publics de qualité aux populations, sur la justice et la liberté, sur l’unité nationale et la cohésion sociale. Et le chemin qui mène vers l’atteinte de ces objectifs est souvent jonché de risques qu’il faut « oser » affronter.
C’est dans cet esprit que nous avions « osé » organiser, pour la première fois au Niger, un séminaire national de dialogue islamo-chrétien, en juin 2003 à Niamey, pour amener les leaders des associations islamiques et chrétiennes à conjuguer leurs efforts en faveur de l’éducation civique au Niger. A la fin de cette première rencontre, il a été mis en place un Comité National de Suivi du Dialogue Islamo-Chrétien, dirigé par le Coordonnateur National de SOS-Civisme et comprenant l’Association Islamique du Niger (AIN), le Collectif des Associations Islamiques du Niger (CASIN), l’Eglise Catholique au Niger (ECN). Ce Comité National de Suivi du Dialogue Islamo-Chrétien s’est élargi à l’Alliance des Missions et Eglises Evangéliques du Niger (AMEEN) ; et de 2004 à 2006, il a développé des initiatives en faveur de la consolidation qui ont débouché sur la mise en place des Comités de Dialogue Intra et Inter Religieux (CDIR) dans les régions de Maradi et de Zinder. Aujourd’hui, il existe un CDIR dans chacune des 8 régions du Niger, ainsi que dans 147 communes du pays ; et leurs rôles dans la promotion de cohésion sociale et la tolérance religieuse a été magnifié par SEM Issoufou Mahamadou dans le discours qu’il a prononcé en septembre 2017 à l’ouverture de la conférence internationale sur la paix en Westphalie (Allemagne).
Solidariser, parce que la résolution des problèmes que nous abordons nécessite, non seulement l’engagement collectif de tous les membres de l’organisation, mais également, la création des partenariats et des alliances avec d’autres organisations nationales, régionales et internationales, poursuivant, en partie ou en totalité, les mêmes objectifs que la nôtre.
Donc, SOS-Civisme-Niger signifie « Savoir, Oser, Solidariser pour le Civisme au Niger ». C’est une Organisation Non Gouvernementale (ONG) de droit nigérien créée en 1999 par des Nigériennes et des Nigériens bénévoles. Elle a été autorisée à exercer ses activités au Niger par le Gouvernement à travers l’arrêté n°00705/MISPD/ACR/DGAPJ/DLP du 17 octobre 2018 modifiant l’arrêté n°169/MI/AT/ DAPJ/SA du 26 juin 2000.
SOS-Civisme-Niger est la section nationale d’un réseau à vocation panafricaine d’organisations de la société civile engagées dans la construction de la citoyenneté et la démocratie, la promotion de la bonne gouvernance et la culture de la paix à différents niveaux (national, régional et local). Dans chaque pays, la section nationale porte le nom de « SOS-Civisme », suivi du nom du pays d’implantation et se fait reconnaître sous le statut d’organisation non gouvernementale (ONG). Jusqu’en 2019, SOS-Civisme est implantée dans six pays : Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Mali, Niger et Togo. En 2020, SOS-Civisme-Burundi a vu le jour ; en 2021, SOS-Civisme-RCA (République Centre Africaine) et en 2022, SOS-Civisme-Cameroun. SOS-Civisme-Niger assure la coordination régionale du réseau depuis 2003.
Niger Inter : Pouvez-vous nous présenter les domaines d’intervention de votre organisation ?
Aminou LAOUALI : Nos domaines d’intervention découlent d’une vision à long terme qui constitue le fil conducteur de toutes nos actions. La vision de SOS-Civisme-Niger est : « Devenir une organisation professionnelle de référence, engagée dans la construction d’une citoyenneté responsable et l’avènement d’une société unie et solidaire pour la paix, la sécurité, la démocratie et la bonne gouvernance, en vue d’un développement durable et inclusif ».
Sur la base de cette vision, SOS-Civisme-Niger s’est donnée pour objectif global de contribuer au développement durable du Niger, en travaillant sur trois (3) axes stratégiques qui sont également ses domaines d’intervention : l’éducation civique, la culture de la paix et le renforcement de la démocratie à la base.
Pour parler comme les philosophes, ces trois axes stratégiques constituent d’abord des domaines d’actions en soi, c’est-à-dire des axes d’intervention autonomes, donnant lieu à la définition et la mise en œuvre de programmes spécifiques. Par exemple, le Programme « Semaines du Civisme » est un programme dédié à l’éducation civique en langues nationales dans les villages et les quartiers périphériques. Le Projet “Revalorisation du Vivre Ensemble“ (REVE), dont la première phase a été financée par l’Union Européenne et la deuxième par l’Ambassade Royale du Danemark (ARD) basée à Ouagadougou à travers Oxfam, est un projet spécifiquement consacré à la promotion de la tolérance religieuse et de la coexistence pacifique entre les communautés musulmanes et chrétiennes. Tandis que le Programme “Appui à la Démocratie Participative“ (PADEP), financier par le Comité Catholique contre la Faim et pour le Développement (CCFD-Terre Solidaire), est un programme dédié au renforcement de la démocratie à la base, à travers la formation des acteurs locaux de la décentralisation, la promotion de la participation des communautés locales à la délivrance des services publics de qualité, le contrôle citoyen de l’action publique et la redevabilité des élus(es).
Cependant, nourris de nos 20 ans d’expériences dans toutes les 8 régions du Niger, y compris dans un village qui, depuis sa création, n’a jamais reçu la visite d’une autorité, nous nous sommes rendus compte que les problèmes à résoudre sont aussi interdépendants que les communautés bénéficiaires elles-mêmes et qu’il faut une approche holistique pour les adresser. Par exemple, l’incivisme fiscal en œuvre dans certaines communes du pays, s’explique par plusieurs causes, dont la non-délivrance des services publics de qualité aux citoyens, la faible implication des communautés dans la formulation et la mise en œuvre des politiques publiques locales, la corruption et le népotisme des autorités et/ou le manque de transparence dans la gestion des affaires publiques. Et souvent, les pratiques qui s’observent au niveau local ne sont que « la décentralisation » des pratiques en cours au niveau national. Dans ces conditions, ce serait peine perdue ou prêcher dans le vent que vouloir faire un programme d’éducation au civisme fiscal sans s’attaquer aux causes structurelles qui le produisent.
C’est pourquoi, nous adoptons désormais une approche holistique qui permet de promouvoir à la fois l’éducation civique, de renforcer la transparence dans la gestion des affaires publiques locales, la redevabilité des autorités, la participation des communautés dans la délivrance des services publics de qualité et la cohésion sociale. SOS-Civisme-Niger met en œuvre actuellement cette approche holistique dans plusieurs communes, avec l’appui de divers partenaires, tels que la Coopération Suisse, CCFD-Terre Solidaire, NDI, WHH, etc.
Niger Inter : La culture de la paix constitue le deuxième axe stratégique d’intervention de SOS-Civisme-Niger. Qu’est-ce qui explique le choix de ces thèmes placés en ci-bonne place ?
Aminou LAOUALI : Ce choix s’explique par plusieurs raisons. Premièrement, parce que la paix constitue la condition première et la finalité de tout programme de développement ou projet de société. En effet, de la même façon qu’il est quasiment impossible de construire un bâtiment sur du sable en perpétuel mouvement, il est de même improbable de pouvoir réaliser avec succès un plan de développement économique et social dans un pays en proie à l’instabilité et aux attaques récurrentes des groupes armés non-étatiques.
Deuxièmement, bien que les conflits soient inhérents à la vie en société, en raison de la confrontation entre des intérêts divergents, tous les Etats du monde cherchent la paix. En effet, même lorsqu’un Etat ou une coalition d’Etats déclenche une guerre armée ou hybride contre un autre Etat (je ne parle pas de “guerre juste“ ou “guerre injuste“), son but n’est pas la guerre elle-même, ni les morts et les destructions qu’elle engendre, mais bien paradoxalement, l’espoir de chercher la paix, la sécurité, la liberté et la prospérité. Au demeurant, toutes les guerres, y compris les Deux Grandes Guerres Mondiales et la guerre en cours en Ukraine, finissent par des accords de paix dont les contenus traduisent évidemment l’état des rapports de forces au moment de la conclusion desdits accords.
Troisièmement, en Islam, la paix est un des Noms de Dieu, un des noms du Paradis, et c’est évoquant la paix que les croyants musulmans doivent se saluer partout et toujours. Même la mort est perçue comme une façon de retrouver la paix.
En définitive, puisque la paix est la finalité de l’homme et de l’action des Etats, c’est donc elle qu’il faut cultiver, non par la guerre et les confrontations, mais par la coopération et le dialogue constructif. C’est pourquoi, nous faisons du dialogue l’instrument privilégié pour la prévention et la gestion pacifique des conflits de toute nature. Dans cette optique, dans le cadre de la culture de la paix, nos projets portent sur la construction du dialogue : dialogue intra et inter religieux pour renforcer le vivre ensemble ; dialogue social pour la gestion pacifique des conflits sociaux ; dialogue intra et intercommunautaire pour la gestion concertée des ressources naturelles ; dialogue politique pour une gestion responsable et inclusive des affaires de l’Etat ; dialogue entre les communautés et les FDS (forces de défense et de sécurité) pour renforcer la confiance mutuelle, etc.
Niger Inter : En fin novembre dernier, vous avez coanimé un atelier régional sur l’engagement des chefs traditionnels et religieux dans le cadre de la construction de la paix dans les pays du Liptako-Gourma, dont le Niger fait partie. Quels rôles pensez-vous les Chefs traditionnels et religieux peuvent et doivent jouer dans ce cadre ?
Aminou LAOUALI : Tout d’abord, il n’est pas inutile de préciser que la région du Liptako-Gourma, appelée également « zone des trois frontières », était initialement, selon le Protocole d’accord signé le 03 décembre 1970 à Ouagadougou, un espace de 370 000 km² qui s’étend du Centre du Mali (Mopti, Gao, Ménaka) au Nord du Burkina Faso (Ouahigouya, Kaya et Fada N’Gourma) et à l’Est du Niger (Tillabéri et Tahoua). Cependant, la 7ème Session Ordinaire de la Conférence des Chefs d’Etat de l’Autorité du Liptako Gourma (ALG), tenue à Niamey le 24 novembre 2011, a décidé de la transformation de l’Organisation en un espace économique intégré couvrant l’ensemble des territoires des trois Etats membres, soit une superficie de 2 781 200 km². A partir du Traité révisé du 12 février 2018, le Liptako-Gourma, c’est l’ensemble des territoires du Burkina Faso, du Mali et du Niger.
J’ai effectivement eu l’honneur d’animer une communication sur le thème « les rôles et prérogatives des chefs traditionnels et religieux dans l’équilibre social et la consolidation de la paix dans le Liptako-Gourma », à l’occasion d’un atelier régional organisé, du 28 au 30 novembre 2022 à l’hôtel Ténéré de Niamey, par l’Observatoire Citoyen sur la Gouvernance de la Sécurité (OCGS), un Think Tank créé par des chercheurs Maliens et basé à Bamako.
En fait, l’atelier a été animé par trois personnes-ressources, dont :
- Pr Seyni Moumouni, Directeur de l’Institut de Recherche en Sciences Humaines (IRSH) de l’université Abdou Moumouni de Niamey, qui a successivement animé deux communications, l’une sur « l’état des lieux de la situation sécuritaire dans le Liptako-Gourma » ; et l’autre, sur « l’historique de l’organisation administrative et sociologique au Sahel et dans le Liptako-Gourma » ;
- Pr SOME Désiré Boniface, Enseignant-chercheur au Département de Sociologie de l’université Joseph KI-ZERBO de Ouagadougou, qui a présenté une contribution sur les résultats préliminaires d’une recherche en cours relative aux « mécanismes endogènes de médiation sociale et de prévention des conflits au sein des communautés sahélienne » ;
- Et ma modeste personne, qui a présenté une communication sur le thème : « les rôles et prérogatives des chefs coutumiers et religieux dans l’équilibre social et la consolidation de la paix dans le Liptako-Gourma ».
De façon générale, j’ai rappelé que, dans les pays du Liptako-Gourma, la chefferie traditionnelle est antérieure à l’invasion coloniale et donc à l’Etat lui-même. C’est d’ailleurs pourquoi, l’article 1 de la loi nigérienne portant statut de la chefferie traditionnelle s’est contenté de « constater sur le territoire de la République du Niger, l’existence de collectivités dont les structures ont été héritées de nos traditions et coutumes sous la dénomination de communautés coutumières et traditionnelles ».
Consolidant les « acquis » du système colonial, l’Etat nigérien postcolonial a intégré la chefferie traditionnelle dans l’organisation administrative de la république, tout en lui concédant une certaine autonomie. Les communautés coutumières sont organisées de la base au sommet en six catégories (quartiers, villages, tribus, groupements, cantons et provinces/sultanats) et leurs chefs reçoivent leur légitimité, selon les cas, des chefs de famille (hommes ou femmes), des chefs de quartiers administratifs, de villages et de tribus ou encore des règles coutumières que la loi ne prétend pas connaître.
Lorsque l’importance d’une communauté coutumière ou les difficultés de son administration, constatées par une instance appropriée le justifient, cette communauté de catégorie inférieure peut accéder, par décision du ministre chargé de l’administration territoriale, à une catégorie supérieure (article 4 nouveau, al.2 de la loi 2008-22 du 23 juin 2008). J’ai noté que l’érection des chefferies de province de Dosso et de Maradi se fonde vraisemblablement sur cette disposition. Cependant, le sultanat étant traditionnellement une chefferie d’essence islamique, j’ai proposé de considérer que l’érection des chefferies de province des Djermakoye, du Gobir et du Katsina en sultanats ne vise pas à transformer des chefferies d’origine et fièrement animistes en des chefferies religieuses. J’ai proposé de regarder cette mutation comme l’expression d’une volonté politique visant à donner plus d’importance à des chefferies qui sont parmi les plus prestigieuses du Niger.
Au Niger, l’Etat peut créer, supprimer ou modifier une communauté coutumière, soit par décret pris en conseil des ministres lorsqu’il s’agit de villages, de tribus et de groupements, soit par la loi si cela concerne des cantons, des groupements, des provinces et des sultanats (article 5 nouveau).
La loi nigérienne confère des prérogatives aux chefs traditionnels dans la mobilisation des ressources fiscales des communes (article 12), la représentation des communautés coutumières, ainsi que la protection des droits et libertés individuelles et collectives des citoyens et communautés, la sauvegarde de l’harmonie et de la cohésion sociale, le respect des règles administratives et de la loi dans leur application vis-à-vis des citoyens et des communautés, le respect de la tolérance religieuse et des pratiques coutumières pour autant que ces pratiques ne perturbent pas l’ordre public et ne portent atteinte aux droits et libertés des autres membres de la communauté, la défense des intérêts des citoyens et des communautés dans leurs rapports avec l’administration et les tiers (articles 14, 15 et 16). Les chefs traditionnels sont agents, acteurs et partenaires du développement économique (article 18) et participent aux organes délibérants des collectivités territoriales (article 19).
Ces responsabilités des chefs traditionnels sont d’autant plus importantes que l’autorité administrative moderne ne s’exerce concrètement que sur une partie limitée du pays. Car, construite sur les principes de progressivité et de prudence, la réforme de la décentralisation au Niger s’est traduite par la transformation en collectivités territoriales des espaces des communautés coutumières, à travers la communalisation des cantons et de certains grands groupements, consacrant ainsi la superposition de deux légitimités. Dans les faits, c’est la chefferie traditionnelle qui représente l’Etat dans l’essentiel des 15 308 villages, des 9 371 hameaux et 1 963 campements que compte le Niger.
J’ai évoqué le rôle déterminant que le Mogho Naba a joué récemment dans la préservation de l’équilibre social au Burkina Faso, lorsque, en septembre 2015, le Régiment de Sécurité Présidentielle (RSP) fidèle à Blaise Compaoré a tenté un coup d’Etat militaire contre les organes de transition et que les éléments des forces armées de l’intérieur du pays avaient fait mouvement vers Ouagadougou pour l’en empêcher. Là où la CEDEAO, l’Union Africaine et la « communauté internationale » ont échoué, le Mogho Naba semble avoir réussi à éviter un affrontement fratricide.
Toutefois, les chercheurs Burkinabè et l’Emir du Liptako-Gourma ont apporté des éclairages, expliquant que le dévouement de la crise politico-militaire que j’ai évoquée fut plus l’œuvre de l’Archevêque de Ouagadougou que celle du Mogho Naba ; qu’il existe 4 chefs traditionnels des communautés Mossi d’égale importance que le Mogho Naba, ainsi que 3 autres chefs à travers le pays ; que ces 7 chefs coutumiers forment, avec l’Archevêque de Ouagadougou et les leaders religieux, un Comité de 11 leaders qui assurent la médiation dans les conflits qui déchirent le Burkina Faso ; et qu’enfin, le Mogho Naba, qui demeure le chef coutumier le plus en vue du Burkina Faso, est le porte-parole de ce comité de 11 leaders traditionnels et religieux.
Abordant le cas du Mali, j’ai noté que les pouvoirs publics y ont amorcé un retour résolu vers les légitimités coutumières, pour reconstruire l’unité des populations maliennes face aux chocs extérieurs (terrorisme, affrontements diplomatiques avec les autorités françaises et la CEDEAO).
Déjà, en 2009, la République du Mali et la Guinée ont œuvré avec succès pour l’inscription, sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’UNESCO, de la Charte de Kouroukan Fouga proclamée en 1236 par Soundiata Keita après la bataille de Kirina, la réédition de Soumaorou Kanté et l’allégeance des 12 chefs des provinces du Mandingue. En dépit de la contestation compréhensible de certains chercheurs europhiles, la Charte de Kouroukan Fouga est l’ancêtre du Bill of Rights Britannique (1689) et de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen française (1789), faisant ainsi de l’Afrique le berceau des Droits de l’Homme, en plus d’être le berceau de l’humanité. La Charte de Kouroukan Fouga, reconstituée en 1998 et qui comprend 44 articles, consacre l’organisation et l’unité de l’empire du Mali, les droits de la femme y compris sa participation au gouvernement de la cité et les droits de l’enfant ; elle abolit l’esclavage et les rezzous…
D’autre part, pour promouvoir la cohésion sociale et raffermir l’unité nationale, les autorités maliennes actuelles ont engagé des travaux d’authentification de la Charte du Mandé, puis ont institué une « Journée nationale des légitimités traditionnelles » dont la première édition a été fêtée le 11 novembre 2022.
Niger Inter : Quelles sont les conclusions qui en sont tirées à l’atelier régional sur la paix dans le Liptako-Gourma ?
Aminou LAOUALI : En conclusion, l’atelier régional s’est inspiré de l’expérience menée par SOS-Civisme-Niger et le Ministère nigérien de l’Intérieur en matière de renforcement de la cohésion sociale et de la coexistence pacifique entre les communautés musulmanes et chrétiennes. En effet, la Direction Générale des Cultes du Ministère de l’Intérieur et SOS-Civisme-Niger ont conjugué leurs efforts pour mettre en place un Comité de Dialogue Intra et Inter Religieux du Niger (CDIR-Niger), l’ont doté des Statuts et d’un Règlement Intérieur, ainsi qu’un Plan d’Actions Pluriannuels 2022-2025.
L’atelier régional s’est donc inspiré de cette expérience pour mettre en place une Plateforme des chefs traditionnels et religieux du Liptako-Gourma, la doter des Statuts et d’un Règlement Intérieur, ainsi qu’un Plan d’Actions Biannuel.
Niger Inter : Notre pays, comme certains pays voisins, fait face à l’insécurité avec son lot de victimes. Quelle lecture faite-vous de cette situation ?
Aminou LAOUALI : Analyser la situation d’insécurité au Niger et dans les pays voisins et proposer des stratégies pour y mettre fin ? « Vaste programme », dira le Général De Gaule ! Je ne pense pas qu’il y ait, à ce jour, ici ou ailleurs, une personne qui dispose de réponses satisfaisantes à ces deux questions. Surtout dans ce monde multipolaire en construction qui, en raison de la guerre en cours en Ukraine, est marqué à nouveau par une course ouverte au réarmement, y compris nucléaire, des superpuissances et des puissances émergentes, tandis les pays africains sont « sommés » de choisir leur camp.
Justement parce que nous soutenons la paix, donc le dialogue et la coopération comme je l’expliquais tantôt, je soutiens que l’intérêt des Etats africains, en particulier ceux du Sahel, n’est pas de se vassaliser en faveur d’un camp contre un autre, ni de prôner la neutralité en se repliant sur eux-mêmes. Dans cette guerre où nul, à ce stade, ne peut en prédire l’issue avec certitude, l’intérêt des Etats africains est de choisir leur propre camp, c’est-à-dire, le multi-alignement, y compris avec la Russie, les Etats Unis d’Amérique, l’Union Européenne, la Chine, l’Inde, la Turquie, etc. Dans le cadre de ce multi-alignement, nous devons défendre nos intérêts, en choisissant le plus offrant parmi les « compétiteurs ». Nous ne devons plus être « la chasse gardée » d’aucune puissance !
Entre temps, plutôt que de servir de “kakaki“ (porte-voix, en Haoussa) à la propagande russe ou occidentale, les Chefs d’Etat africains gagneraient en crédibilité à plaider pour un règlement négocié du conflit, par le dialogue et la diplomatie.
Entre temps, l’on pourra espérer que, secouées par l’inflation, la cherté de la vie et un risque probable de tiers-mondisation, les citoyens des pays engagés dans la guerre en Ukraine, en particulier les citoyens européens, finiront par en avoir marre de cette « sale guerre », par battre le pavé, par demander l’arrêt des hostilités, par exiger des négociations pour la conclusion d’un accord de paix. Quitte à déboucher sur une « paix des braves » ou un « conflit gelé ». Car, en voulant coûte-que-coûte qu’il y ait un vainqueur et un vaincu, dans un combat qui oppose par l’Ukraine interposée des puissances nucléaires, on risque de précipiter le monde dans une Troisième Guerre Mondiale.
Pour revenir à votre première question relative à l’état de la situation d’insécurité au Niger et dans les pays voisins, je vais me contenter de vous renvoyer à l’excellente analyse faite par le Chef de l’Etat, Bazoum Mohamed, à l’occasion de la 7ème édition du forum international de Dakar sur la paix et la sécurité en Afrique, les 6 et 7 décembre 2021 ; une analyse assortie d’un remarquable effort de théorisation qui, cependant, ne rend pas compte suffisamment de la complexité de la situation sécuritaire au Sahel. En effet, bien avant l’effondrement de l’Etat Libyen et sa décomposition en factions armées qui se disputent le pouvoir, une bonne partie des zones Nord du Mali et du Niger était devenue une zone à la fois de repli et d’actions d’Al Qaeda au Maghreb Islamique (AQMI), conséquence de l’annulation, en décembre 1991, des résultats du premier tour des législatives remportées par le Front Islamique du Salut (FSI) en Algérie. Ensuite, lorsque l’armée algérienne est parvenue à défaire le Groupe Islamique Armé (GIA) après 7 ans d’affrontements et que l’Armée Islamique du Salut (AIS), branche armée du FIS, s’est ralliée au pouvoir en 1997 à la faveur de la Loi de Clémence (Rahama), le Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat (GSPC), une dissidence du GIA, s’est affilié à AQMI et s’est redéployé dans les espaces nigériens et maliens non-gouvernés du Nord, où il s’est illustré par des prises d’otages et des attaques, y compris contre des bases militaires….
D’autre part, courant 2005-2008, des regroupements de pasteurs, en particulier dans la région de Tillabéri, ont organisé à plusieurs reprises des foras à l’issue desquels ils ont lancé des alertes, dénonçant l’accaparement des espaces de pâturage et des aires de séjour des animaux, indiquant qu’ils sont victimes d’exactions et de déni de justice. Ces appels n’ont jamais été entendus et certaines personnes pourtant bien avisées avec lesquelles j’en avais discuté à l’époque prétendaient que les pasteurs n’ont ni la trempe, ni les moyens de s’engager dans une insurrection. Entre temps, avec l’accroissement démographique et les effets du réchauffement climatique, l’on a assisté à l’effondrement de l’économie rurale (agricole et pastorale), à l’amenuisement de l’espace culture, au non-respect de la limite-Nord des zones de culture et à l’aggravation subséquente de la compétition pour l’accès et l’utilisation des ressources naturelles. Faute de moyens logistiques et financiers suffisants, les structures du Code Rural ne sont pas en mesure d’accomplir leurs missions, en particulier la sécurisation du foncier rural et la gouvernance équitable des ressources naturelles.
Cette situation explique, en partie, l’engagement de nombreux jeunes pasteurs dans les mouvements djihadistes qui ont déferlé sur le Sahel, en particulier au Mali, à la suite de l’effondrement de l’Etat libyen. Un des problèmes aujourd’hui, c’est que les factions qui se discutent le pouvoir en Libye continuent de recevoir des soutiens des forces extérieures engagées dans « une guerre de positionnement », ce qui ne facilite pas la reconstitution d’un Etat minimal capable de « pacifier » le pays et d’organiser des élections générales consensuelles. Par conséquent, nous ne sommes pas encore à l’abri des trafiquants d’armes, de drogues qui continuent à alimenter les GANE.
Au demeurant, l’expansion récente des attaques terroristes aux territoires du Bénin et de la Côte d’Ivoire, incline à penser à la constitution d’une sorte « d’Internationale Djihadiste », avec toujours les mêmes modes opératoires, les mêmes tactiques et stratégies de combat, tels que décrits par le Chef de l’Etat au forum international de Dakar de 2021, où il a caractérisé la situation par ce qu’il a appelé « un phénomène concomitant de djihadisation du banditisme et de banditisation du Djihad ». En fait, les groupes djihadistes, parce que justement ils ne sont ni une organisation politique digne du nom, ni un Etat, ne peuvent survivre et prospérer que dans et grâce au banditisme. Tandis le banditisme, en tant que tel, a une existence propre, particulièrement dans la région de Maradi (Madarounfa, Guidan Roumdji). Dans ces localités, les bandits armés ne revendiquent aucune valeur (religieuse ou culturelle) et ne pensent pas à la création d’un Etat ; ils se nourrissent de vols de bétails, de kidnappings, de prise d’otages contre rançons et en font un métier en soi.
Niger Inter : En tant que promoteur de la paix et de la sécurité, comment pensez-vous que nous pouvons y mettre fin ?
Aminou LALOUALI : Dans la mesure où le problème est multidimensionnel, incluant des aspects militaires, politiques, socioéconomiques et de gouvernance, il faut logiquement une approche multidimensionnelle de solutions.
Premièrement, sur le plan militaire, les forces armées nigériennes (FAN) étaient traditionnellement dédiées à la défense de l’intégrité du territoire contre des menaces éventuelles venant de l’extérieur, qu’elles sont préparées à contrer avec des véhicules blindés, des chars et des armes lourdes. En temps de paix, elles sont engagées dans des actions communautaires de développement. Leurs expériences de lutte contre l’insurrection se limitent à la lutte contre les rebellions armées qui ont vu le jour dans le Nord et l’Est du Niger. Or, les rebellions étaient animées essentiellement par des Nigériens, elles avaient des leaders connus et des revendications claires, fournissant une base de négociation. Tandis que les groupes terroristes attaquent à motos, semblent avoir des « informateurs » qui se dissolvent au sein des populations, puis se réfugient dans des espaces non-gouvernés, difficiles d’accès pour les chars et les véhicules blindés. Il faut donc reformer les forces armées, d’abord en termes de doctrine qui ne doit plus être « la défense », mais également, en termes de moyens et de tactiques de combat.
Dans ce sens, je partage entièrement la position dégagée par le Chef de l’Etat au forum international de Dakar de 2021, qui appelle à la mise sur pied d’une « une stratégie militaire adaptée aux défis, consistant dans le recours à des techniques et des moyens de nature à rendre la guerre la moins asymétrique possible… » et qui invite les partenaires à « un soutien plus adapté axé sur le renseignement, l’appui aérien et le renforcement des capacités (des) armées (nationales)». A cet égard et dans la limite de ce qui peut être dit dans une interview, je pense que le succès de notre politique de renseignement dépendra largement de la définition et de la mise en œuvre d’une stratégie systématique d’infiltration à différents niveaux.
Enfin, j’estime que, plutôt que les opérations spéciales (Almahaou, Faraoutar Buchiya) qui peinent à montrer des résultats tangibles, il vaut mieux mettre l’accent sur la formation et le déploiement des forces spéciales, telles que les compagnies-amphibie des FAN, dont la première a été engagée dans le lit du Lac Tchad et la deuxième récemment déployée dans la zone du fleuve Niger (Gaya, Ayerou).
Sur le plan économique et social, je pense que l’option annoncée par le Chef de l’Etat dans son discours du 17 décembre 2022, à l’occasion du 64ème anniversaire de la proclamation de la République, est bonne. En effet, a-t-il indiqué, « le Gouvernement, en relation avec nos partenaires humanitaires et de développement, a conçu et met en œuvre un programme de retour et de réinstallation des populations, dans des conditions dignes grâce notamment à la restauration de l’autorité de l’Etat, un maillage sécuritaire conséquent, la délivrance des services sociaux de base et la reconstitution des facteurs de production ».
Toutefois, on ne pourra obtenir des résultats durables contre les groupes armés non-étatiques et leur capacité à enrôler les jeunes, sans le renforcement d’une gestion équitable des ressources naturelles, sans une lutte résolue contre la corruption à tous les niveaux, sans la création des opportunités économiques pour les jeunes, sans la mise en œuvre d’activités de cohésion sociale qui valorisent les brassages interculturels et intercommunautaires.
Interview réalisée par EMS et Mahamadou Diallo