Tribune : Mahamadou Issoufou : le coronavirus, un cercle vicieux de souffrances au Sahel

La pandémie de Covid-19 nous apporte la preuve que les maladies infectieuses représentent une terrible menace pour la sécurité mondiale. Cette pandémie est plus dévastatrice que n’importe quel conflit, acte de terrorisme ou urgence sanitaire d’ampleur jamais survenu dans l’histoire récente de l’humanité. C’est une menace pour la vie, pour la subsistance et pour l’économie de milliards de personnes à travers le monde. Mais pour ceux qui vivent dans la région du Sahel, ce nouveau coronavirus présente de plus un risque supplémentaire pour la sécurité, en menaçant de déstabiliser davantage toute la région.

Le terrorisme, les conflits et le crime organisé sont depuis longtemps sources de souffrances indicibles au Sahel. Ils sont à l’origine de la crise humanitaire qui frappe toute la région. Les restrictions, les difficultés et les pertes entraînées par le Covid-19 vont sans aucun doute augmenter encore la vulnérabilité de millions de personnes, et créer ainsi de nouvelles opportunités pour ceux qui n’hésitent pas à profiter de la situation.

Si nous sommes impuissants à les protéger, la pandémie pourrait créer un cercle vicieux de souffrances qui aggraveraient encore plus l’insécurité de la région, et rendraient la pandémie encore plus difficile à combattre et à contrôler.

Systèmes de santé fragiles

Pour mon pays, le Niger, riche en ressources naturelles, ce serait une tragédie. Malgré les problèmes rencontrés, nous avons fait des progrès substantiels. La santé de nos concitoyens s’est améliorée et leur niveau de vie s’est élevé grâce à l’augmentation des dépenses de santé, à un meilleur accès aux services de santé essentiels et notamment à la vaccination. Ainsi, le nombre d’enfants vaccinés en routine contre des maladies meurtrières fréquentes a doublé. Ce développement a non seulement stimulé notre croissance économique, mais nous a également permis de renforcer nos soins de santé essentiels.

Mais avec la propagation du Covid-19 sur le continent, ce cercle vertueux est en péril, car cette fois-ci, ce sont nos systèmes de santé qui sont mis à l’épreuve. Si le nombre de cas de coronavirus commence à exploser, nos systèmes de santé, encore très fragiles, pourraient être complètement submergés. Et si de plus les programmes de vaccination de routine sont perturbés par la pandémie, la couverture vaccinale pourrait s’effondrer significativement. Cela veut dire que nous pourrions avoir à affronter non seulement le Covid-19, mais aussi d’autres épidémies de maladies hautement évitables par la vaccination, telles que la rougeole, la poliomyélite et la fièvre jaune. Cela aurait des conséquences désastreuses pour le Niger : si le pays est fragilisé, c’est la sécurité de toute la région qui est menacée.

Gestes barrières

En l’absence de vaccin contre le Covid-19, notre meilleure défense actuelle contre la propagation du virus consiste à respecter un confinement partiel, à encourager la distanciation physique et le lavage régulier des mains. Mais ces mesures se heurtent à de graves difficultés, au Niger comme dans de nombreux pays d’Afrique. Au Niger, le défi que nous avons à relever est encore plus grand, sachant que nous sommes déjà confrontés à de graves problèmes de sécurité depuis quelques années avec environ 200 000 personnes déplacées et donc dans une situation de très grande vulnérabilité et de précarité.

Nous sommes toutefois prêts et déterminés à relever ce défi et prenons les mesures nécessaires pour renforcer nos systèmes de santé, en mettant à la disposition des agents de santé des équipements de protection individuelle et des diagnostics, tout en assurant leur formation.
Et avec le soutien d’organisations comme Gavi, l’Alliance du Vaccin, nous maintenons les séances de vaccination systématique durant la pandémie, en les organisant dans des lieux fixes et en respectant les directives internationales en matière d’hygiène et de distanciation physique, de façon à éviter la propagation du Covid-19. Sans savoir si ces mesures resteront en place.

Importance de la vaccination

Nous ignorons également combien de personnes pourraient être touchées par le Covid-19, et combien de vies seront perdues mais ce que nous savons, c’est que la pandémie pourrait avoir des conséquences directes et indirectes tout aussi dévastatrices et de longue durée, et pas seulement au Niger, mais dans toute la sous-région sahélienne et au-delà. C’est pourquoi la vaccination et l’aide d’organisations comme Gavi sont d’une importance cruciale. Parce que sans elles, nous risquons de nous enfermer dans un cercle vicieux qui pourrait entraîner toute la région et dévaster la vie de millions de personnes pendant de nombreuses années à venir.

Plus que jamais, la communauté internationale se doit d’être plus solidaire.

Plus que jamais, nous avons besoin d’une meilleure gouvernance politique et économique mondiale, qui mettrait l’accent sur les valeurs de la dignité, de l’égalité, de la justice et de la solidarité.

Plus que jamais, les engagements de la communauté internationale pour les Objectifs de développement durable à l’horizon 2030 et l’Agenda 2063 de l’Union africaine, ont vu leur pertinence renforcée.

La gestion de l’après Covid-19 est l’occasion de donner l’effectivité qu’il faut à ces engagements, de protéger les populations les plus vulnérables à travers des organisations comme Gavi, pour éradiquer durablement la pandémie.

Mahamadou Issoufou