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Du passage du CFA à l’ECO : 3 questions à l’économiste Tassiou Almadjir

L’adoption à Paris de la loi en Conseil des Ministres, actant le désengagement de la France à propos du CFA, le 20 mai dernier, constitue en réalité, un tournant décisif vers la nouvelle monnaie : l’ECO. Sont concernés  par cette décision, les huit pays de l’UEMOA. L’économiste Tassiou Almadjir décrypte la fin du franc CFA et la transition vers l’ECO, la nouvelle monnaie.

 

Le Républicain :  Quels sont les avantages et les intérêts liés à la nouvelle monnaie l’ECO ?

Monsieur Tassiou Almadjir : Le mercredi 20 mai 2020, la France a entériné officiellement la fin du franc CFA qui devrait dorénavant s’appeler l’éco. En vertu de cet acte, la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), selon Paris, « n’aura, à l’avenir, plus d’obligation particulière concernant le placement de la moitié de ses réserves de change auprès du Trésor français, elle sera libre de placer ses avoirs dans les actifs de son choix ».

 Il convient de noter que ces réserves de change peuvent avoisiner l’équivalent d’environ 10 000 milliards de francs CFA, ou 15,2 milliards d’euros; autant de ressources financières dévoyées du système de financement de l’économie des pays membres, frappés pourtant par une pauvreté endémique avec des besoins énormes en termes d’éducation et de santé.

Paris se retire des instances de gouvernance dans lesquelles elle était présente (avant cette réforme, le Ministre des Finances et le Gouverneur de la Banque de France participaient aux deux réunions annuelles, dont l’une se déroulait à Paris).

Ainsi, grâce à cet acte, les Etats concernés mettent fin à ce que certains économistes estiment comme une dépendance humiliante vis-à-vis de la France.

Pour l’économiste Felwine Sarr, même si la réforme « n’est pas la rupture ou le grand bouleversement attendu, le fait que le compte d’opération revienne en Afrique permet d’avoir des ressources en liquidités à investir dans la zone et de se défaire, en partie, de la tutelle de Paris ».

La réforme offre donc des marges de manœuvres de ces économies en termes de politique monétaire ; c’est dans ce sens que le processus de création de l’ECO apparaît comme un véritable test de crédibilité de la vision et de la gouvernance ouest-africaines.

La réforme est également une occasion de lever des symboles historiques, permettant de dépasser un clivage entre francophones et anglophones, en particulier l’acronyme CFA qui renvoie aux colonies françaises d’Afrique ou le compte d’opérations qui illustre une tutelle française. Une telle initiative donnerait aux Etats membres de l’UEMOA une pleine capacité de négociation vis-à-vis des partenaires de la CEDEAO.

À plus long terme, c’est l’un des meilleurs moyens d’impulser les échanges intra régionaux qui créeront progressivement une synchronisation des cycles économiques au sein de la zone CEDEAO.

Ainsi, comme l’a souligné le Président ghanéen à l’Elysée, «le Ghana pense qu’il est essentiel que nous ayons cette monnaie unique afin de mieux organiser les échanges économiques et commerciaux dans une zone qui rassemble350 millions d’habitants». Il a ensuite ajouté « On doit garder la part de stabilité qu’apporte le Franc CFA, mais on doit permettre à toute la région de s’intégrer pleinement dans un espace monétaire ».

Cette position rejoint celle du Nigeria qui exigeait qu’une monnaie commune ouest-africaine soit déconnectée du Trésor français.

Cependant, force est de constater que cette réforme du FCFA continue de susciter des débats contradictoires : certains y voient une « semi-révolution », « une avancée réelle », d’autres, au contraire dénoncent « une réforme cosmétique », la « continuité d’une servitude monétaire », voire « une arnaque politique ».

Le Républicain : Comment est-on arrivé que dans l’ancienne monnaie, la France soit le garant de 50% des avoirs africains au Trésor français ?

Monsieur Tassiou Almadjir : Créé officiellement le 26 décembre 1945 par la France du Général de Gaulle, le franc CFA (franc des colonies françaises d’Afrique) était la dernière monnaie coloniale ayant cours. Bien qu’il ait évolué après les indépendances des années 1960 pour devenir « franc de la Communauté financière africaine », son nom demeurait, malgré tout, perçu comme un symbole postcolonial. À la veille de sa disparition, quatorze pays africains l’utilisaient toujours et étaient tenus de verser 50% de leurs recettes d’exportation à la Banque de France dans des comptes d’opérations ouverts au Trésor français.

 Il s’agit là d’une obligation pour que la France assure la garantie ou la convertibilité du FCFA. En d’autres termes, si la BCEAO fait face à un manque de disponibilités pour couvrir ses engagements en devises, elle pourra se procurer les francs français (dans le temps) ou les euros nécessaires auprès de la France.

Cette garantie est fondée sur le principe de la stabilité du système en théorie et en pratique. Toutefois, tandis que le solde du compte d’opérations a historiquement toujours été positif, en 1993, sa baisse forte et rapide s’est traduite par un déficit global intenable. La France a alors « contraint » les pays de la zone à accepter la dévaluation en 1994, pour ne pas avoir à être mise à contribution.

Le Républicain : Quelles sont les perspectives de l’ECO aux économies des pays concernés ?

 

Monsieur Tassiou Almadjir : Si l’objectif ultime est bien la création d’une monnaie pour l’ensemble des Etats concernés, les économistes entrevoient plusieurs schémas de transition du franc CFA vers l’éco (en supposant que la présente réforme n’est qu’un processus visant, à terme, une monnaie unique, version ECO CEDEAO). Pour ce faire, il s’agira : de revisiter les grands principes de l’actuel système monétaire et adopter un élargissement progressif de l’UEMOA à la CEDEAO selon un calendrier prospectif de court et moyen terme.

Introduire une flexibilité monétaire encadrée en définissant un régime de change qui concilie stabilité et flexibilité ; revisiter le dispositif actuel de convergence qui peut être fondé soit sur la révision, l’amélioration et le respect des critères nominaux de convergence, soit sur la convergence réelle, celle du PIB par tête ; privilégier la production tout en desserrant les seuils actuels du taux d’inflation et du déficit budgétaire afin de prôner de véritables politiques de relance économique et amener les États à prendre leurs responsabilités dans un monde en crise et enfin envisager l’intégration des pays pour lesquels l’Union monétaire pourrait se faire avec un gain économique immédiat et un coût politique acceptable, constituant ainsi un embryon de la future zone monétaire CEDEAO. Ensuite élargir cette zone monétaire ouest-africaine à l’ensemble des pays de la CEDEAO.

Cependant, il convient de noter que la volonté politique est indispensable pour garantir la réussite de la réforme. Selon certains observateurs, c’est la condition la plus difficile à remplir.

 Interview réalisée par Koami Agbetiafa