Abdoul Azizou Garba, Directeur Adjoint du CNESS

Abdoul Azizou Garba, Directeur Adjoint du CNESS décrypte la crise sécuritaire au Sahel

Monsieur Garba Abdoul Azizou est Directeur Adjoint du Centre National d’Etudes Stratégiques et de Sécurité (CNESS) depuis décembre 2016. Membre du Centre de Recherche sur les Crises et les Conflits Internationaux (CECRI) de l’Université Catholique de Louvain de Belgique depuis 2015, il fut Conseiller à la Cellule d’Etudes Prospectives et d’Analyse (CEPA) du Ministère des Affaires Etrangères, de la Coopération, de l’Intégration Africaine et des Nigériens à l’Extérieur de 2013 à 2016. Politiste de formation, Monsieur Azizou est titulaire d’un Bachelor of science (Bsc) en sciences politiques, obtenu à l’Université Ahmadu Bello de Zaria au (Nigeria), d’un Master II en sciences politiques, option approfondie et d’un Master II en sciences politiques, spécialisé en conseil politique, communication, marketing, lobbying et opinion publique, tous obtenus à l’Université Catholique de Louvain en Belgique. Parallèlement, il prépare une thèse de doctorat qui porte sur « les effets du terrorisme sur la construction de l’Etat au Niger ». 

 

Niger Inter : Le problème sécuritaire s’aggrave de plus en plus dans notre pays, notamment avec la perte de 71 de nos soldats dans l’attaque du Camps d’Inatès le 10 décembre dernier. Quel commentaire vous suscite le contexte actuel ?

Abdoul Azizou Garba: Merci de m’avoir donné l’occasion de m’exprimer sur la situation sécuritaire dans notre pays et dans la sous-région de manière générale. Avant de répondre à votre question, je voudrais d’abord m’incliner devant la mémoire et le courage de nos héros tombés au champ d’honneur en défendant la République, la souveraineté et l’intégrité de notre territoire. Que les âmes de ces braves soldats reposent en paix.

Pour aborder votre question, je voudrais juste rappeler que ce n’est pas la première fois que le Niger a subi une telle perte dans les rangs des FDS face à l’ennemi. Souvenez de l’attaque de Karamga qui a fait plus ou moins 74 morts en Avril 2015, l’attaque de Bosso avec une trentaine de morts en 2016 et tout récemment les deux attaques d’Inates. Si l’on doit faire un décompte des pertes en vie humaine, civiles et militaires, depuis l’émergence du phénomène terroriste dans nos pays, le bilan est très lourd car il faut aussi penser aux familles des victimes. C’est des milliers d’orphelins et de veuves qui sont aussi victimes. Il faut dont reconnaitre que le Niger et son armée ont beaucoup perdu dans cette guerre contre le terrorisme. C’est pourquoi, il faut saluer l’engagement et la détermination du gouvernement dans la protection des populations et aussi celle de l’intégrité de notre territoire. Malgré, le lourd tribut et les foyers de tension qui l’entourent de part et d’autre de ses frontières avec le Burkina faso, la Libye, le Mali et le Nigeria, notre pays a su préserver son intégrité territoriale. Il est rare qu’un pays aux moyens limités puisse tenir dans un tel contexte. D’ailleurs, on observe un net recul du terrorisme dans le bassin du lac Tchad contrairement à la zone du Liptako Gourma où les attaques se multiplient ces derniers temps. La dégradation sécuritaire est donc située à ce niveau, elle est localisée dans cette zone du Liptako.

 Pour y remédier dans le cadre d’un complexe régional de sécurité, il faudra accélérer la montée en puissance de la force conjointe du G5 Sahel dans cette zone que partage les trois pays du Liptako à savoir le Burkina, le Mali et le Niger. Au plan national, il faudra évaluer la situation et revisiter nos stratégies opérationnelles face à l’ennemi. Il est sans doute de notre intérêt de développer une capacité militaire pour faire face aux menaces internes et d’endiguer celles qui peuvent venir de l’extérieur. Le développement de ces capacités passe par l’acquisition de moyens et la formation d’unités spéciales. Il faut réadapter la tactique militaire au terrain puisqu’il ne s’agit pas d’une guerre de type conventionnelle. Il est aussi temps que le Niger élabore    sa politique nationale de sécurité et de défense. L’attaque d’Inatès doit interpeler nos autorités sur la nécessité de disposer d’une telle politique dans les meilleurs délais. Le processus a été enclenché par le CNESS, mais faute de ressources il n’arrive pas à évoluer. J’insiste là-dessus, il nous faut disposer d’une Politique Nationale de Défense et de Sécurité et ce n’est pas au-dessus des moyens de l’Etat. De l’autre côté, les terroristes n’attendent pas, ils ne sont pas dans des bureaux, on doit alors être les plus rapides et les plus forts. Notre efficacité dépend aussi de notre capacité à mettre en œuvre nos propres stratégies.

 

Niger Inter : L’attaque d’Inatès vient de mettre en évidence le changement tactique des terroristes et aussi la puissance de leurs moyens qui rend leurs assauts plus efficaces et très violents face à nos armées. Le temps a-t-il joué en faveur des terroristes ?

 Abdoul Azizou Garba : Je disais que la guerre contre le terrorisme n’est pas de type conventionnel, mais comme vous l’avez si bien décrit, on constate malheureusement que les attaques de l’ennemi évoluent avec des caractéristiques conventionnelles, il s’agit là d’un tournant à considérer avec la plus grande lucidité.

Le temps a-t-il joué en faveur des terroristes dans l’attaque d’Inatès ? Je ne saurais commenter cette question réservée aux praticiens de la chose militaire. Seul un militaire peut rentrer dans les détails pour expliquer les pours et les contres dans l’attaque d’Inatès.

Mais, c’est aussi l’occasion pour les chefs militaires d’évaluer très objectivement les faiblesses de nos positions militaires en vue de les corriger. Il y’a beaucoup de travail à faire à ce niveau, que ça soit en termes de formation, de renseignement militaire, de planification des opérations, de communication etc. La dimension sociale compte beaucoup au Niger, il faudra donc explorer les voies et moyens de la prise en charge des familles des soldats tombés au champ d’honneur. C’est important que le soldat sache qu’il est le défenseur de la République et que s’il meure dans l’exercice de son devoir, cette République ne va jamais l’oublier. La défense de la République est une cause qu’il faudra opposer à celle du terrorisme. L’Etat doit donc tout mettre en œuvre pour cultiver cet esprit chez le soldat, tout en mettant ce dernier dans les conditions d’accomplir sa mission.    

L’attaque d’Inatès montre que l’ennemi est venu pour un seul objectif, celui de faire le maximum de dégâts susceptibles d’avoir des effets politiques. Il ne faut surtout pas qu’on tombe dans ce piège. Les nigériens doivent faire bloc derrière le gouvernement et ses alliés. L’unité nationale ne doit pas être ébranlée par un acte terroriste quelle que soit sa gravité. Avant tout, les nigériens sont les seuls acteurs de leur propre sécurité. En ayant conscience de cela, nous ne devrons compter que sur notre unité nationale et notre volonté commune de protéger notre pays. Dans ce sens, la présence des alliés doit être perçue simplement comme une opportunité à saisir pour reformer complétement le secteur de la sécurité dans notre pays.   

 

Niger Inter : Quelles sont vos recommandations pour faire face plus efficacement au terrorisme au Sahel et au Niger en particulier ?

Abdoul Azizou Garba: Le Niger va commencer son mandat au Conseil de Sécurité de l’ONU le 1er janvier 2020. En effet, le Niger doit saisir cette opportunité pour plaider la cause du Sahel et du Niger en particulier. Il faudra surtout sensibiliser les membres permanents du CS à s’intéresser davantage à la situation sécuritaire au Sahel et à prendre les décisions nécessaires pour éradiquer le terrorisme dans cette région. C’est le lieu de poser et reposer très clairement la question de la réadaptation du mandat de la MINUSMA. Le contexte actuel au Sahel et la situation au nord Mali exigent une révision de ce mandat qui doit être offensif. Le second problème à régler est celui du statut de Kidal. Il ne peut pas y avoir un État dans un État au Mali sous le regard impuissant de l’Union Africaine, de la CEDEAO et du G5 Sahel. Ce problème doit être posé au Conseil de Sécurité afin d’une résolution claire et définitive sur la mise en œuvre des accords de paix au Mali. La situation de la Libye est également un enjeu sécuritaire majeur à aborder au CS. Tant que la Libye restera balkanisée et sans État, les efforts que mènent les États du Sahel ne donneront pas les effets escomptés. La stabilisation de la Libye est une priorité qu’il faut prendre en charge. La question de l’investissement dans les secteurs de développement dans la région du Liptako Gourma et du bassin du Lac Tchad, constitue également une priorité à poser au Conseil de Sécurité. C’est également le lieu de plaider pour un renforcement de la force mixte multinationale du bassin et le financement effectif de la force conjointe. Le Niger a ainsi un grand rôle à jouer au sein de cette institution décisionnelle mondiale en matière de paix et de sécurité. Et pour mieux jouer ce rôle, le Niger doit se donner les moyens de marquer son mandat à travers des recommandations concrètes, réalistes et réalisables pour faire avancer la paix et la sécurité dans toute la sous-région. 

 Au plan régional, il faut plus de solidarité et d’engagement de la part des États. Le terrorisme ne concerne pas seulement les États sahéliens et ceux du G5 Sahel, il concerne tous les États de l’Afrique de l’Ouest. Dans le cadre de la CEDEAO, il est temps de penser à la mise en place d’une opération militaire en appui à la force conjointe et la force mixte multinationale. Les autres États de la sous-région doivent se sentir concernés par la problématique et agir en conséquence. Ils doivent soutenir les pays sahéliens dans cette lutte contre le terrorisme. Il faudra plus d’action que de réunion au niveau des instances régionales. 

Au plan national, il est nécessaire d’évaluer la gouvernance du secteur de la sécurité et de prendre les mesures utiles qui s’imposent. S’il y’a lieu d’assainir, il faudra le faire sans état d’âme. Il faudra renforcer la cohésion sociale et la participation des populations dans la recherche de solutions durables. Dans les États fragiles comme le nôtre, le terrorisme se nourrit de la pauvreté et de la corruption, il faut s’attaquer donc à ces deux phénomènes de manière efficace. Au niveau stratégique, le Niger doit élaborer sa propre politique de défense et de sécurité. Ce processus est déjà enclenché au niveau du CNESS, mais faute des ressources, il n’arrive pas à évoluer. Le CNESS a également formulé un projet de mise en place d’un observatoire national des risques sécuritaires qui a pour objectifs de suivre en temps réel l’évolution des différentes formes d’insécurités, alerter les autorités à temps sur les risques de conflits et proposer des solutions structurelles et ponctuelles pour endiguer les menaces. La mise en œuvre de ce projet permettra de prévenir des crises et menaces susceptibles d’émergées par manque de prévision. Enfin, le CNESS est en train d’élaborer une stratégie de lutte contre la radicalisation et l’extrémisme violent qui nécessitera une implication accrue de l’État dans la mise en œuvre. Au niveau tactique et opérationnel, il faut former des unités spéciales capables de s’adapter à la stratégie de l’ennemie et limité ses mouvements. Il faut protéger et rendre inaccessibles les coordonnées GPS de nos bases à toutes personne étrangère à l’armée. Il est tout à fait possible à un État de demander à Google de ne pas afficher les images de ces coordonnées stratégiques. Il faut renforcer le renseignement humain en créant une relation de confiance entre les populations et les FDS. Dans cet esprit, il faut recruter des agents de renseignements parmi les populations et les doter de matériels adéquats de communication, notamment des téléphones satellitaires et des moyens de déplacement. Il faut multiplier les opérations offensives sur le terrain. L’occupation des espaces par les FDS crée de l’insécurité à l’ennemi.. La réduction des mouvements des terroristes crée de l’insécurité à ces derniers. C’est seulement dans ces conditions qu’on va gagner sur le terrain. Certes, nous avons un territoire très vaste avec des frontières poreuses et faute d’avoir les moyens de contrôle, les terroristes circulent librement. L’enjeu est de préserver l’intégrité de notre territoire, ce qui équivaut à limiter considérablement les mouvements des terroristes. Enfin au niveau humanitaire, il faut mettre en place un mécanisme efficace de prise en charge des victimes du terrorisme.

  

Interview réalisée par Elh. M. Souleymane