Issa Kassoum est enseignant de carrière. Ancien Secrétaire Général du SNEN, membre fondateur de la CDTN, premier Président de la Coordination Démocratique de la Société Civile Nigérienne (CDDCN), premier Président de la Coalition ASO/EPT, ancien SGA du Ministère des Enseignements Secondaires, Membre du Think Tank pour l’analyse des politiques éducatives en Afrique au sein de ANCEFA. Président du Comité d’organisation de la journée de l’enseignant au Niger et actuellement membre de la cellule Histoire Géographie de L’Institut National de Documentation, de la Recherche et de l’Animation Pédagogique (INDRAP). Cet expert en éducation qui a bien voulu accepter d’analyser les problèmes qui assaillent l’école nigérienne.
Niger Inter : En tant que qu’ancien leader du syndicat National des Enseignants du Niger (SNEN) quelle est votre perception de l’école nigérienne aujourd’hui ?
Issa Kassoum : Je vous remercie de me donner une opportunité de partager mes sentiments sur l’Ecole Nigérienne. Ma perception de l’école nigérienne d’hier et d’aujourd’hui n’a pas changé d’un iota. Je me suis engagé depuis les années 80 dans la lutte syndicale pour entre autres la défense et la promotion d’un système éducatif de qualité et accessible à tous. Je me réjouis de constater que cette perception que nous avions partagée avec nos anciens, reste encore plus de trente ans après le pilier central des Objectifs mondiaux pour l’Education. Cela est perceptible depuis La conférence mondiale sur l’éducation tenue à Jomtien en Thaïlande du 5 au 9 mars 1990 à l’issue de laquelle fut adoptée la déclaration dite « déclaration mondiale sur l’éducation pour tous et cadre d’action pour répondre aux besoins éducatifs », en passant par le forum de Dakar au Sénégal du 26 au 28 avril 2000 pour non seulement faire le bilan des réalisations sur les Objectifs du Millénaire pour le Développement relativement à l’Education Pour Tous (EPT) et au dernier forum mondial sur l’éducation à Incheon en Corée du Sud tenu en mai 2015 où toutes les nations ont pris l’engagement de construire des systèmes éducatifs solidement intégrés dans le processus de développement durable à travers une philosophie dénommée : « cadre d’action pour l’éducation 2030 ».
Cette perception à la limite de l’idéal, pose cependant un problème délicat tant dans la planification, la mise en œuvre de la Réforme, le management du système, le financement que dans son évaluation. S’il est vrai que la question du droit à l’éducation est plus qu’une exigence démocratique, cette dernière ne peut aussi s’accommoder avec des résultats médiocres. Personnellement, je reste convaincu que nous pouvions réussir le pari de l’accès, combiné à une offre éducative de qualité garantie par un meilleur management du système.
Niger Inter : Comment expliquez-vous les résultats catastrophiques du BEPC et du BAC cette année ?
Issa Kassoum : Permettez au moins de ne pas répondre à cette question dans sa forme. Les différents taux variant de 20 à 37% ne sont pas les plus faibles de la période mais aussi ne sont pas à la hauteur de l’investissement qui est fait dans le secteur de l’Education. La réforme éducative en cours dans notre pays qui a muté du PDDE au PSEF consacre une vision holistique du système éducatif et conséquemment, cloisonner son évaluation nous amènerait à faire une appréciation étriquée ou peu crédible de ses résultats. Même si le CFEPD en tant que diplôme n’existe plus par l’adoption de la base élargie, il reste que la transition du cycle primaire au Collège est toujours évaluée. Ne pas s’appesantir sur cette première évaluation nous empêcherait de voir les tares qui, une fois trainées au Collège, condamnent à l’avance l’élève à une situation d’échec à une proportion importante et impacterait sur les taux d’échec au BEPC. Il faut apprécier les résultats en prenant les cohortes sur le nombre d’élèves inscrits en première année du CI et comparer à celle qui arrive en classe de sixième et de la même façon prendre la cohorte de sixième sur le nombre d’élèves qui arrive en seconde du lycée et aussi prendre la cohorte de la seconde du lycée et celle qui admet au Baccalauréat. Aucun nigérien ne peut se satisfaire des résultats actuels aux examens du BEPC et Baccalauréat, mais le plus important reste de s’engager à chercher les causes profondes, à s’engager de façon individuelle et collective à jouer chacun sa partition pour améliorer ces résultats et mettre fin à cette façon de jeter l’argent par la fenêtre.
Niger Inter : Ailleurs avec un tel taux d’échec, les formateurs sont également mis en cause alors qu’ici on a tendance à accuser l’Etat comme unique responsable. Avez-vous un commentaire ?
Issa Kassoum : En effet, pour apprécier le niveau de responsabilité des intervenants de l’Ecole sur les résultats scolaires et surtout ceux des examens, il faut questionner les effets induits par ces différents intervenants. Pour une meilleure qualité des interventions pour les acquis scolaires, il faut lister l’enseignant, la santé de l’enfant, le curriculum, l’environnement pédagogique, les infrastructures, le mobilier, l’alimentation, la gestion du temps scolaire, l’encadrement, le management de l’école, l’intervention de la communauté…
Il est donc indéniable que la responsabilité de l’enseignant est grande dans les résultats scolaires et académiques du fait que rien ne peut remplacer son effet et sa vocation sur les acquisitions scolaires. Quelles que soient les ressources injectées dans le système éducatif, tant que l’enseignant ne prend pas conscience de sa responsabilité et de son incontournable investissement personnel, les efforts resteront vains. Aujourd’hui, il faut reconnaitre que l’Etat a investi plus de ressources dans le système que jamais, les infrastructures sont construites et gérées de façon efficace et efficiente. Les fournitures et les manuels sont fournis gracieusement aux élèves. Pour la promotion de l’enseignement scientifique et la culture de la lecture, les laboratoires scolaires sont repris et équipés, les bibliothèques aussi avec un accompagnement de la formation pour ces derniers. La formation des enseignants a repris dans toutes les ENI et toutes les régions ont été dotées de structures de formation des maîtres et la formation des enseignants du secondaire interrompue depuis 1996 a repris avec l’ENS et le Centre de formation pour le franco Arabe Amir Sultan. Les pouls d’encadreurs sont renforcés et multipliés avec du matériel roulant (Voiture et motos) pour le suivi terrain des enseignants. Un premier curriculum consacrant l’entrée par nos langues nationales est actuellement en expérimentation. Toutes ces initiatives que l’Etat met en œuvre sont censées renforcer les capacités et les compétences des enseignants pour un meilleur rendement scolaire. Si les résultats escomptés ne sont pas au rendez vous, je pense qu’il y a lieu de nous questionner sur le diagnostique que nous avions fait en 2012 au cours du Forum National sur le Système Educatif Nigérien qui a orienté l’investissement de l’Etat dans le secteur de l’Education à ce que nous avions présenté comme urgent et impératif. Voilà, pourquoi, je ne serai pas d’accord avec la litanie habituelle qui veut qu’à chaque tournant on se débine et renvoie tout à la responsabilité de l’Etat et ne pas nous questionner sur ce qui devrait être notre partition jouée ou pas.
Niger Inter : Selon vous qu’est ce qui explique la descente aux enfers de l’école nigérienne ?
Issa Kassoum : Avec tout ce que j’ai développé ci haut, il est clair que les enseignants ont démissionné de leur fonction régalienne qui a toujours caractérisé l’harmonie, la cohésion, l’efficacité et l’engagement collectif pour la réussite de l’établissement. Il suffit pour s’en convaincre de lire les instructions officielles sur la responsabilité de l’enseignant, celle du responsable de classe, celle du surveillant, celle du directeur, celle du censeur, celle du laborantin, celle du bibliothécaire, celle du responsable de CAPéd ou de l’UP. Le dispositif de veille citoyenne et de gestion démocratique de l’Ecole (COGES/CGDES) ne satisfait pas aux objectifs pour lesquels il est mis en place. Pour certains cas il devient l’anti chambre d’un business illégal dénoncé et décrié maintes fois par les élèves, les enseignants, l’administration, l’APE et l’AME selon la position que les uns et les autres occupent dans la gestion des ressources mobilisées. La réussite du système éducatif se définit d’abord par la réussite de l’école au niveau micro. Cette fuite en avant a fait que les élèves ont pris le dessus de la gestion des écoles sur ceux qui ont la responsabilité de l’assumer. Ce chaos installé a fait gaspiller un temps scolaire important des années de suite. Les programmes ne sont jamais exécutés dans le temps imparti. Les enseignants ont installé un système de raquette (cours de rattrapage payant) qui prend de l’ampleur et ce phénomène met beaucoup d’élèves en situation d’échec. Du fait qu’une masse critique d’enfants se sait en situation d’échec, cela augmente au degré de violence en milieu scolaire qui va de la dégradation des biens scolaires à la violence verbale et souvent physique. Il y a rarement des sanctions et à tort ou à raison l’on attribue cela à la forte politisation du système.
Niger Inter : Que faire pour inverser la tendance en termes de baisse de niveau et de la qualité du système éducatif nigérien ?
Issa Kassoum : Pour inverser la tendance, il y a lieu d’assumer notre curriculum. L’Etat doit investir et s’investir pour le développement de ce curriculum afin que la langue d’enseignement qui reste un handicap majeur dans l’enseignement soit enfin maîtrisée. Aucun partenaire ne le fera à la place de l’Etat car c’est une question de souveraineté nationale et une option qui restaurerait notre identité, notre culture et la facilité d’acquérir des compétences scientifiques à nos enfants. Il faudrait hâter sa mise en œuvre généralisée et poursuivre la formation initiale et continue des enseignants et formateurs en renforçant l’encadrement de proximité et de qualité. Il faut que l’évaluation des élèves débouche sur une auto évaluation de l’enseignant lui-même. La vision d’apprentissage tout au long de la vie créerait des possibilités aux enfants nigériens de ne pas se retrouver exclus du système mais plutôt d’emprunter des passerelles vers la formation professionnelle et technique dès le bas âge et se retrouver dans tous les niveaux et formes d’enseignements (formel, non formel, informel). Le temps scolaire doit être bien géré et la discipline restaurée dans nos établissements. L’école doit être une préoccupation de tous et les médias à sensation qui divulguent les mauvais comportements pour notre jeunesse doivent prendre conscience de leur responsabilité sur cette situation de baisse de qualité et de niveau de l’éducation de nos enfants.
Niger Inter : Quelle lecture faites-vous aujourd’hui avec le recul, des réformes imposées par les bailleurs de fonds au système éducatif en Afrique et au Niger en particulier ?
Issa Kassoum : Je pense que nous devrions dissocier les rencontres d’échanges au niveau mondiale et les choix et options faciles de certaines politiques qui acceptent des coupes sombres sur les budgets des secteurs sociaux de base dont celui de l’éducation comme raccourcis à faire face aux encours des dettes. Dans mon introduction à la première question, j’ai rappelé les différents forums mondiaux sur l’éducation qui ne sont que des tribunes pour discuter, échanger et partager le souci sur la préservation et la défense du droit à l’éducation des enfants dans le monde. Cela n’a rien de mauvais et je pense que les OSC comme les états et les PTF partagent tous ces soucis de voir ce droit promu dans le monde. Cependant, nous avons vu tout récemment, malgré les recommandations du RESEN en 2012 qui n’étaient pas favorables, le gouvernement a estimé mieux d’augmenter les revenus des enseignants, à recruter davantage des enseignants et formateurs tant à titre contractuel que dans la fonction publique et d’y porter des grands investissements… de ce fait, je pense que chaque pays est libre de faire ses options de politique éducative si tant soit peu qu’il accepte de faire un arbitrage en faveur du secteur. La seule inquiétude, reste : est ce que nous soutenons nos gouvernements dans leurs options politiques en faveur des secteurs sociaux de base dont l’éducation, ne serait ce qu’à travers une mobilisation sociale soutenue, permanente pour une meilleure gestion des ressources injectées ?
Niger Inter : Quel est votre dernier mot ?
Issa Kassoum : Tout le monde constate que des mesures sont prises tant dans le redéploiement des enseignants, dans leur évaluation, dans l’assainissement de l’environnement scolaire et dans l’évaluation et le suivi des acquis scolaires. Cela a fait grincer des dents mais le plus important est que la sérénité revient de plus en plus dans le secteur avec moins de perturbations durant toute l’année. Il faut que du pré scolaire à l’université, chacun se dise que je suis d’abord le premier responsable de mon destin et de part le comportement individuel de chacun dépendra la réussite de toute l’école nigérienne. L’école est une institution et conséquemment, les textes créés pour son bon fonctionnement doivent se faire valoir en lieu et place de l’à peu près et des spéculations stériles.
Interview réalisée par Elh. M. Souleymane