Sédiko Douka est Commissaire de la Cedeao chargé de l’Energie et des Mines. Titulaire d’un diplôme d’ingénieur électromécanicien, sa carrière a débuté à la Nigelec durant 11 ans, à l’Asecna, aux Nations Unies puis présentement à la CEDEAO. Dans l’entretien qui suit, il parle du code minier de l’espace CEDEAO en élaboration et des défis et enjeux des secteurs minier et pétrolier de cette Communauté.
Niger Inter : Vous venez d’organiser un atelier sur le code minier pour les Etats membres de la CEDEAO. Quel est l’objet de cette initiative ?
Commissaire Sédikou Douka : Le rôle la CEDEAO en tant que Communauté Economique Régionale est d’harmoniser les politiques sectorielles en faisant adopter des textes régionaux. C’est ce qui se passe actuellement dans le domaine minier ou cette Institution est en train d’élaborer un Code minier régional. Ceci passe par des concertations et échanges entre les experts, les ministres voire même les Chefs d’Etat et de Gouvernement. La réunion de Niamey entre dans le cadre d’une revue d’un projet de code minier régional par les Experts des Etats membres.
Le présent projet de code minier est articulé autour des points suivants : les structures institutionnelles, les licences et les permis ; le régime fiscal (mode de taxations, mesures incitatives) ; la gouvernance générale pour une exploitation minière durable ; le contenu local, la problématique du genre ; la stratégie de mise en œuvre ; les dispositions générales et finales. En substance, l’objet de cette initiative est d’avoir un modèle de Code commun et chacun des Etats est astreint d’adapter son propre Code par rapport à ce modèle.
Quels sont les défis dans le secteur minier dans l’espace CEDEAO?
Commissaire Sédikou Douka : Le secteur minier régional enregistre des défis importants dont on peut citer principalement : un faible niveau de contenu local et une insuffisante implication des opérateurs économiques locaux dans la production des biens et services ; une faible contribution à la richesse nationale, une répartition non équitable des revenus, une fiscalité non incitative, un développement local et régional pas forcement garanti ; une insuffisance des ressources humaines particulièrement pour les négociations des contrats complexes ; une faible rentabilité et viabilité des sociétés minières locales du fait de la non maitrise des couts de facteurs de production ; les activités minières sont dominées par l’extraction et l’exportation de minerais brut avec une faible transformation des produits localement ; des difficultés d’organisation, d’encadrement et de règlementation des exploitations minières artisanales et semi-mécanisées entrainant des risques socio-environnementaux ; la pratique des activités minières illégales ; une insuffisance de la cartographie géologique, ce qui engendre des méconnaissances par les Etats de leurs propres ressources ou ils sont obligés de s’aligner ou de se contenter des données des grands groupes internationaux ; les sites miniers sont en général situés dans des zones lointaines qui manquent des infrastructures (transport, énergie, télécoms, eau). Mais parmi ces défis, les plus frappants sont naturellement ceux relatifs à la valeur ajoutée, à la distribution des richesses et les effets des dividendes miniers sur la vie des populations.
Justement comment faire en sorte que les populations locales profitent effectivement des ressources minières dans nos pays?
Commissaire Sédikou Douka : Je dois dire que la question minière et/ou pétrolière est très sensible pour les Etats. Raisons pour lesquelles, pour certains, des dispositions constitutionnelles sont déjà prévues pour cadrer ces secteurs. Des gardes fous/provisions sont à prendre dans les codes miniers ou pétroliers sur les aspects sur comment assurer une valeur ajoutée substantielle dans la chaine des valeurs. Les responsabilités sociétales des entreprises (RSE) sont un aspect auxquels les autorités doivent y veiller pour ne pas laisser les populations riveraines en marge des richesses qui sont exploitées chez elles ; richesses qui doivent être vues d’abord comme nationales et non locales. L’implication de la société civile et des ONGs est nécessaire pour constituer une sorte de veille afin de ne pas laisser la population locale seule contre l’Etat et les sociétés opératrices. Aussi, la population locale doit avoir à l’esprit qu’elle ne doit pas dépendre exclusivement des rentes minières car le jour où ces ressources vont tarir, il peut avoir des problèmes de reconversion.
Quel est votre message à l’endroit des Etats membres de la CEDEAO en tant Commissaire aux mines et à l’énergie de cette Communauté ?
Commissaire Sédikou Douka : Les Etats membres doivent faire confiance à la CEDEAO dans toutes ses composantes et voir cette Institution comme un ensemble homogène pour atteindre ou assurer l’intégration régionale. Des progrès substantiels ont été faits dans divers domaines particulièrement la libre circulation des personnes, des biens et des services, l’adoption et la mise en œuvre du tarif extérieur commun(TEC), la paix, la sécurité, la promotion de la bonne gouvernance et la mise en œuvre des programmes intégrateurs.
Concernant justement les programmes, divers projets ont été exécutés dans le domaine spécifique de l’énergie. Sur ce, les Chefs d’Etat et de Gouvernement viennent d’adopter le Plan Directeur de développement des moyens régionaux de production et de transport d’énergie électrique 2019-2033. Ce plan vise à produire 16 000 MW et construire 23 000 km de lignes d’interconnexion avec une prépondérance de l’utilisation des énergies renouvelables à hauteur de 70% de la production totale. 75 projets régionaux sont concernés pour un cout total de 36 milliards USD.
Dans le domaine de l’énergie, une trentaine de textes régionaux ont été adoptés par les Etats. Dans celui des Mines et du Pétrole, les textes adoptés ou en discussions sont : la politique de développement des ressources minérales de la CEDEAO ; la Directive sur l’harmonisation des principes directeurs et des politiques dans le secteur minier ; la formulation d’un Code minier de la CEDEAO en discussion; la politique de développement des hydrocarbures en discussion; la création de l’Observatoire et du système cadastral du secteur géo-extractif de la CEDEAO ; l’Elaboration de la base de données géo-extractives et le cadre d’information statistique de la CEDEAO ; et la création de la Fédération des Chambres des Mines de la CEDEAO depuis 2016.
Interview réalisée par Elh. M. Souleymane