L’opposition politique nigérienne, à travers une déclaration rendue publique le lundi 23 janvier 2019, a annoncé qu’elle n’allait pas participer à la réunion du Conseil National de Dialogue Politique (CNDP). Elle poursuit, avec tambours et trompettes, sa politique de chaise vide malgré la prédisposition de la majorité au pouvoir à rétablir le dialogue entre les différents acteurs de la classe politique de notre pays. Les groupes des partis de la majorité présidentielle et des partis politiques non-affiliés, fidèles à l’esprit de dialogue, ont tenu la réunion du CNDP du 24 janvier 2019. Les griefs qui motivent le boycott du dialogue politique par les principaux partis de l’opposition, faut-il le rappeler, sont, pour l’essentiel, la composition de la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI), la composition du bureau de vote et l’inscription sur le fichier électoral quoique la polémique au sujet de ce dernier s’est considérablement affaiblie, car la plupart des politiques de l’opposition se rendent de plus en plus compte de son caractère individuel et personnalisé.
Et pourtant notre code électoral et la CENI qui en est issue figurent parmi les organes de gestion des élections les plus ouverts donc les plus progressistes de la sous-région. Jetons donc un regard comparatif sur la configuration des commissions électorales des pays de la région qui, à tort ou à raison, passent pour être des démocraties modèles. Nous allons mettre surtout l’accent sur le nombre des représentants de la majorité et de l’opposition.
Aperçu du processus électoral dans la sous-région
Au Mali, la CENI comprend quinze (15) membres dont dix (10) sont désignés par les partis politiques avec une répartition équitable entre la majorité et l’opposition. Les cinq (5) places restantes sont occupées par les confessions religieuses, le syndicat autonome de la magistrature, le conseil de l’ordre des avocats, les associations de défense des droits de l’homme et la coordination des associations féminines en raison d’un représentant par structure. Au Mali, la CENI et ses démembrements ne veillent qu’à la régularité des élections à travers la supervision et le suivi des opérations ; l’élaboration et la gestion du fichier électoral sont faites par le ministère de l’intérieur à travers la Délégation Générale aux Elections (DGE).
Au Burkina Faso, la commission électorale comporte quinze (15) membres avec une parité entre les représentants de la majorité, de l’opposition et des organisations de la société civile. Ici, la CENI dispose d’une administration permanente dirigée par un Secrétaire Général ; le président, les vices présidents sont nommés pour un mandat de cinq (5) ans et les autres membres pour un mandat d’un (an) renouvelables une fois.
Au Togo, la CENI comporte dix (17) membres dont cinq (5) de la majorité, cinq (5) de l’opposition, trois (3) des partis extraparlementaires, trois (3) des organisations de la société civile et un (1) de l’administration. Leur mandat est d’un (1) an renouvelable.
En Côte d’Ivoire, la commission électorale indépendante (CEI) est composée de dix-sept (17) membres. Les groupements des partis politiques de la majorité, des partis politiques de l’opposition et des organisations de la société civile disposent de quatre (4) représentants chacun. Le Président de la République, le Président de l’Assemblée Nationale, le Ministre chargé de l’Administration du Territoire, le Ministre chargé de l’Economie et des Finances, le Conseil supérieur de la Magistrature désignent chacun un représentant
Quant aux pays qui ne font pas appel à la dichotomie majorité-opposition, les membres des organes de la gestion des élections (OGE) sont désignés par les pouvoirs exécutif ou législatif avec consultation des organes juridictionnels. Dans la plupart de ces pays, les OGE comportent aussi des représentants des institutions tels que la présidence de République, le parlement, les ministères
Au Nigeria, les treize (13) membres de la commission électorale (CE) sont désignés par le chef de l’Etat après consultation du conseil d’Etat. Au Ghana les sept (7) membres de la commission électorale sont désignés unilatéralement par le Président de la république après avis du conseil d’Etat. Au Sénégal par contre, les douze (12) personnalités qui composent la Commission électorale Nationale Autonome (CENA) sont désignées par le chef d’Etat sans aucune consultation. Ici la CENA est uniquement chargée du contrôle et de la supervision du processus électoral. Les élections sont organisées par le ministère de l’intérieur à travers la Direction Générale aux Elections (DGE) et la Direction de l’Autonomisation du fichier (DAF).
Au Benin, la CENA est composée d’onze (11) membres dont neuf (9) issus des partis politiques proportionnellement désignés en fonction de la configuration politique de l’Assemblée nationale. Le Président de la République et les Organisations de la société civile désignent chacun un représentant (loi modifiée en 2018). Au Cap Vert la Commission nationale des élections (CNE) est composée de cinq (5) membres élus par le parlement. Seuls le président et le secrétaire général sont permanents. En Sierra Leone, la Commission nationale des élections est constituée de cinq (5) membres nommés par le Président de la République. Voilà brièvement les compositions des CENI permanentes en Afrique.
La démarche qui a abouti au processus électoral actuel
Au Niger, c’est un rappel, la nécessité d’améliorer notre code électoral s’est imposée dès le lendemain des élections législatives et présidentielles de 2016. Le Niger a donc volontiers fait appel à certains partenaires techniques et financiers, notamment le National Democratic Institute (NDI) et l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) pour l’aider à assurer une meilleure gestion des processus électoraux. C’était à ce titre que le Directeur Afrique du National Democratic Institute (NDI), M. Christopher Fomunioh a effectué une mission au Niger au cours de laquelle il a rencontré le Président de la république S.E.M. Issoufou Mahamadou. Au sortir de cette audience, le Directeur Afrique du NDI a rappelé que les activités du NDI «vont dans le sens d’accompagner le Niger dans la consolidation de la paix, de la démocratie et de la bonne gouvernance ». Dans le même cadre, au nom de l’OIF, M. Robert Dossou a fait plusieurs séjours au Niger au cours desquels il a rencontré les autorités de notre pays, les groupes des partis politiques de la majorité et de l’opposition en vue d’aider notre pays à mieux organiser les élections générales prévues en 2020 et 2021.
Donc du lendemain des élections de 2016 à aujourd’hui, les autorités nigériennes s’évertuent à créer de bonnes conditions pour la tenue des prochaines élections. C’est ainsi à travers que le président du Conseil National de dialogue Politique (CNDP) a mis en place un comité ad ’hoc chargé de proposer des amendements du code électoral et le règlement intérieur du CNDP. Ce comité ad ‘hoc qui a travaillé pendant un mois a transmis les conclusions de ses travaux au Président du CNDP S.E.M. Brigi Rafini qui, à son tour, a convoqué une session extraordinaire qui s’est tenue le 24 janvier 2019 à l’ordre du jour de laquelle est inscrit l’examen et adoption des travaux du comité ad ‘hoc chargé de réfléchir sur le code électoral et règlement intérieur du CNDP. Malgré le boycott de l’opposition un consensus s’est dégagé entre la majorité et les partis politiques non affiliés sur la quasi-totalité des articles du code électoral y compris les articles 8, 12, 80 et 81 où le Comité ad hoc n’a pas trouvé de consensus. A partir de session du CNDP du 24 janvier 2019, le Niger est revenu à son ancien code électoral comme bonus une CENI permanente et un fichier biométrique en élaboration.
La CENI comprendra dix-neuf (19) membres nommés par décret du Président de la République, dont : un(e) Président(e), un(e) Vice-président(e) ; cinq (5) membres issus des partis politiques de la majorité ; cinq (5) membres issus des partis politiques de l’opposition ; deux (2) membres issus des partis politiques non affiliés ; trois (3) cadres du niveau supérieur ayant des compétences avérées en matière de statistiques, de finances publiques et d’administration désignés par l’Administration Publique sans voix délibérative ; deux (2) représentant(e)s de la société civile désignés par leurs pairs, (un (1) représentant des collectifs des Associations de Défense des Droits de l’Homme et de promotion de la Démocratie légalement reconnues et une (1) représentante des Collectifs des Associations Féminines légalement reconnues).
Toutefois, en période électorale, les candidats des partis politiques ou des candidat(e)s indépendant(e)s aux élections présidentielles envoient leurs représentants avec voix délibérative à partir de la validation des candidatures et y siégeront jusqu’à la remise du rapport général. Les membres de la CENI sont choisis parmi les personnalités de nationalité nigérienne, de niveau supérieur, connues pour leur intégrité morale, leur honnêteté intellectuelle, leur compétence et leur probité.
Si nous appliquons la formule du Benin, le PNDS-Tarayya, lui seul, allait se retrouver avec quatre (4) représentants sur les neuf (9). La question que l’on peut se poser est en quoi la composition de notre CENI issue des travaux du comité ad ‘hoc et de la dernière réunion du CNDP est-elle non conforme au droit ? En quoi est-elle anti démocratique ? En rien du tout. Il est donc important de mettre fin aux débats et polémiques stériles et d’œuvrer chacun en ce qui le concerne à la promotion d’un jeu démocratique fondé sur les valeurs républicaines.
Le processus électoral nigérien, un des plus ouverts et progressistes en Afrique
Les propositions d’amendement du comité ad ’hoc entérinées par la session extraordinaire du CNDP rendent désormais inadéquates et inopportunes les polémiques et les postures va-t-en-guerre des partis de l’opposition. En tout cas, il n’y a plus de raisons objectives de s’opposer à un code qui ambitionne d’être l’un des plus ouverts de la région selon les données issues du tableau comparatif des organes des élections en Afrique. Il est donc possible que les discordances, les divergences inter et intra fronts de l’opposition s’exacerbent et contribuent à anéantir sinon ses marges de manœuvre du moins réduire de manière sensible ses capacités de nuisance pour reprendre les termes de celui qui clamait, il y a plus d’une décennie, qu’il est plus nuisible lorsqu’il est à l’opposition que quand il est au pouvoir ; même si jusqu’à présent rien ne supporte une telle affirmation, en tout cas pas la victimisation et autres récits fallacieux.
Les ressentiments, ruminations et autres maladresses ont souvent enveloppé les prises de position et les stratégies politiques de l’opposition depuis l’avènement de la septième république. Et pourtant, le radicalisme et la promotion des contre valeurs, ici ou ailleurs, aboutiront inéluctablement à des résultats, somme toute, désastreux. L’opposition togolaise ne dira pas le contraire elle qui venait de faire les frais de sa rigidité et continuera à en faire pendant une longue période. Le boycott des réunions du CNDP et le refus obstiné de siéger à la CENI sont stratégiquement contre productifs et vont contribuer à affaiblir davantage une opposition presque sous perfusion et qui plus est, ne semble pas mesurer la gravité et les implications possibles de ses choix. Le vrai débat aujourd’hui est de savoir quel autre prétexte l’opposition politique trouvera-t-elle pour justifier sa stratégie du pourrissement de la situation. En effet, on l’aura compris, l’opposition nigérienne en mal d’inspiration a cru bon de prendre en otage le processus électoral en le boycottant. Le résultat escompté consiste à ne pas s’engager pour les élections en attendant la fin du second mandat du président Issoufou pour profiter du vide juridique éventuel et profiter de la chienlit qui en résulterait. Mais au regard de la détermination du président de la République à passer le témoin à un autre nigérien choisi par le peule, ces velléités ne sauraient prospérer. Il est fort à parier que les plus lucides et enclins à la realpolitik au sein de l’opposition rejoindront le rail en se démarquant de l’impasse et la déraison. Les chants de sirène tendant à dévoyer le processus électoral actuel ne font plus recettes. Il va falloir, ‘’faire contre mauvaise fortune bon cœur’’. Plus qu’un sacerdoce, à l’épreuve des faits les uns et les autres doivent comprendre que l’opposition politique est un art. Vouloir persévérer dans l’erreur est tout aussi contreproductif que de prêcher dans le désert. Un secret de polichinelle.
Tahirou Ibrahim Garka