L’imagerie populaire a longtemps assimilé à tort l’Afrique à un continent rural, évoluant dans un archaïsme qui aurait conditionné son état de sous-développement relatif. Mais l’urbanisation accrue à un taux de 4% par an qui représentera plus de 60% de la population (en 2030) loin d’être un modèle entraine des difficultés comme la surpopulation, la pollution, l’anarchie foncière et la criminalité. En l’absence des plans de développement urbain, le moment est venu au Niger, de nous interroger sur la place de la ville dans la transformation de nos sociétés et d’inventer quelles villes nous voulons vivre dans les années à venir, à l’horizon 2050.
Du village à la ville
La ville tire à l’origine son essence de la volonté des hommes et femmes de vivre en commun, de partager un ensemble territorialisé afin de faire un projet politique (au sens de politis, Cité). Le destin de la plupart des villes actuelles en raison de leur étalement et de leur peuplement va se transformer immanquablement en un processus de métropolisation, de cité-monde.
Cependant, le Niger (malgré un noyau ancien des cités-Etats) reste un pays encore sous-urbanisé (19.3%), dont l’insuffisance compromet la naissance d’une classe moyenne nécessaire pour un développement soutenu. Après avoir été préféré à Zinder par le gouverneur Jules Brévié en 1926, Niamey outre son fulgurant accroissement a subi de profondes mutations : le petit village fondé en 1901 rassemblait une population hétérogène dont le site (excentré géographiquement et situé sur un cours d’eau) favorisait les fonctions d’une nouvelle capitale de la nouvelle colonie du Niger avec un rôle économique plus accru dont la population, de 1 640 habitants seulement en 1930, s’établit à 11 800 en 1952 pour atteindre 33 000 habitants à l’indépendance. Comparée aux autres capitales des pays de l’AOF, Niamey fait pale figure malgré les plans d’urbanisme établis avant 1930, qui procéda à la disjonction ségrégative duale de la ville entre cité européenne et cantonnement indigène séparées par le talweg de Gunti Yena, sorte de « tampon sanitaire » ; plus tard entre 1930-37, les plans des grands travaux ont permis de développer les infrastructures de la colonie avec le palais du gouverneur (future Présidence), les administrations, les logements des fonctionnaires et les prémisses de la future Ceinture verte tout en prévoyant une future gare ferroviaire (quartier Terminus). Ainsi, les Européens s’établissent sur les hauteurs de la ville (Plateau), beaucoup plus « saines » tandis que les indigènes peuplent les quartiers historiques de Gaweye, Maourey.
Aujourd’hui avec plus de 1,4 million d’habitants étalés sur 260 km2 la ville de Niamey ne peut que s’insérer dans une dynamique de croissance et constituer un pole de régulateur économique et social du pays. Mais cet état de fait crée forcement une macrocéphalie urbaine et peut-être économique autour de la capitale au détriment de l’arrière-pays : il ne peut qu’y avoir un déséquilibre en matière d’aménagement du territoire où les pôles historiques de Zinder (500 000 hbts) ou Maradi (400 000) sont malgré tout relégués loin du niveau démographique de Niamey et n’arrivent pas encore à imprimer une dynamique et un effet d’entrainement dans leur région hormis dans leur cercle urbain respectif.
Mais qu’on ne s’y méprenne pas, Niamey « ne représente » que 6.5% de la population nigérienne et selon un récent rapport de la Banque Mondiale intitulé « les défis de l’urbanisation en Afrique de l’Ouest », contribue (tout comme Conakry d’ailleurs) à 27% du PIB du Niger derrière Bamako pour le Mali (34%) [1]. Mais l’institution de Bretton Woods pointe comme facteur limitant (pour Niamey) que « la productivité du travail, calculée en tant que valeur ajoutée brute par habitant, reste faible et n’a pas augmenté au cours des quinze dernières années, contrairement à la moyenne de 15 autres villes d’Afrique subsaharienne. » Conséquences : Niamey (et les 3 capitales citées) n’est pas encore, malgré le poids économique et urbain relatif, un véritable pôle moteur de croissance et de prestations de services efficaces pour le pays.
Fort de ce constat pour le moins défavorable, il est en effet plus qu’urgent de réfléchir sur les voies et moyens de développer les opportunités en procédant à un aménagement rationnel l’espace urbain pour amener Niamey à jouer son rôle de locomotive du Niger.
Pour une métropolisation de Niamey
Malgré la rapide croissance démographique de la nouvelle capitale dont la population avait multiplié en 4 en 16 ans seulement à partir de 1972 (de 107 000 habitants à 398 000) et doublant son aire spatiale (passant de 2300 à 4800 ha), les pouvoirs publics n’avaient pas suffisamment pris en compte, durant les vingt ans qui suivaient l’indépendance, de l’importance de restructurer la ville qui s’est développée de manière anarchique. Bien que débutée en 1905 avec la première planification urbaine, il n’aura fallu qu’en 1984 pour mettre en place à Niamey un véritable schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme (SDAU) : ce document d’urbanisme visait à planifier l’utilisation et l’affectation du foncier par zonage jusqu’en 1996 et qui ont juste permis de découper la ville en 5 districts (communes) et la dénomination de communauté urbaine en 1989, dotée d’une autonomie financière avec l’instauration d’un préfet-maire. Le SDAU qui a montré ses limites, malgré son rôle pionnier sera remplacé par de nouvelles restructurations en 1996 suivie par la Loi de décentralisation de 2001 et le Plan Urbain de Référence (PUR) de 2009.
Niamey est naturellement appelée à s‘étendre de manière accélérée par une emprise foncière due à une demande en logements de la population active motivée par un croît naturel et par les affectations des aires publiques. En 2050, Niamey comptera, dans sa constitution actuelle, environ 7 millions d’habitants pour un pays de 70 millions d’âmes. Aujourd’hui circonscrite sur un espace de près de 300 km2, l’aire urbaine triplera probablement avec tous les problèmes d’aménagement et d’urbanisme que connaissent les grandes métropoles du monde. A ce sujet la question de l’extension de l’espace urbain doit se poser dès maintenant pour éviter les questions de ghettoïsations, d’insalubrité, de promiscuité favorables à toutes les dérives criminelles et de relâchement social. La métropolisation est conçue comme « un processus de transformation qualitative, à la fois fonctionnel et morphologique des très grandes villes » avec des enjeux à la fois dans les appareils de commandement et de contrôle, foyers de l’innovation, accessibilités aux réseaux de communication virtuels ou physiques, attractivité et poids culturels. En bref tout ce qui fait les caractéristiques d’une ville-monde ouverte vers l’extérieur comme le sont les grandes métropoles asiatiques ou occidentales qui joue un rôle d’entrainement de tout un pays. Il va s’en dire que les limites actuelles seront largement dépassées pour marquer un poids dans l’arrière-pays qu’il domine : au sud au-delà de Guesselbodi et Kollo, Hamdallaye à l’Est et aux encablures de Karma au Nord feraient partie de ce grand ensemble métropolitain qui compterait plus de 8,5 millions d’habitants (selon les projections). A condition que toutes les modalités de consentement et d’implication de la population et des villages sollicités (par enquête publique et referendum) soient réunies pour ne pas subir les refus d’adhésion constatés en d’autres temps [2].
Créer la ville de demain
Les projections urbaines et démographiques en 2050 requièrent une attention soutenue par la recherche d’innovations et des stratégies d’aménagement au risque d’avoir une mégalopole qui échapperait au contrôle de l’administration et des pouvoirs publics : ainsi avec 8 à 9 millions d’habitants, Niamey se doit de mettre en place des infrastructures sociales, économiques et de liaison (routes, école, santé, hydraulique urbaine, industries…) de toute l’aire métropolitaine pour susciter la croissance et le progrès pour le nouvel arrière-pays urbain.
La métropole de demain doit s’appuyer sur un schéma de ville « écologiquement durable », de ville verte qui agrémentera le cadre de vie d’une ville continentale aux températures élevées. La réhabilitation de la ceinture verte, mise en place dès 1965 est une urgence absolue qui a servi de barrière naturelle à l’avancée du désert et à recréer un micro-climat en filtrant les violents vents du Nord-Est. Il faudra aussi multiplier les barrières ligneuses à l’est de Sagagorou (au delà de Niamey 2000) jusqu’à Gorou Beri (au dela de Foulani kwara) près d’un ancien affluent du fleuve Niger pour une double protection du Nord-est de la ville. Cette écologisation de l’espace urbain pourrait être répétée à souhait à l’ouest (route Torodi) et Nord (route Ouallam). Il restera toutefois l’épineuse question de l’insalubrité et de la gestion des déchets même si les autorités municipales ne feront pas, à l’avenir, l’économie de l’implantation d’une déchèterie permettant de recycler et de produire de l’énergie. En anticipant la viabilisation de certaines ZAU (zones à urbaniser), les pouvoirs publics résoudront l’épineux problème d’assainissement par les caniveaux (ouverts ou à ciels fermés) : ce qui permettrait d’éviter les zones d’épandage ou de ruissellement constatées dans certains quartiers et qui rendant impossibles la circulation.
L’importance des routes et des moyens de transport innovants sont des facteurs structurants de la croissance : les déplacements intra et extra-urbains permettent les mises en relation personnelle et favorisent les échanges commerciaux nécessaires à créer des climats d’affaire prospères. Les perspectives de contournements de la ville (boulevards périphériques) et les récents échangeurs, composant un réseau bitumé de plus de 270 km linéaires, permettent de fluidifier d’une circulation déjà largement encombrante au centre-ville où se concentrent à tort les principaux pôles de commerce (marchés, supermarchés…). Les efforts du président de la république et des autorités municipales pour doter la ville d’infrastructures de communication (voies rapides, échangeurs routiers) va rendre la ville viable, moderne ; et les déplacements seront facilités et fluidifiés avec le projet de reprise des routes intra-urbaines. Il en va aussi du désenclavement de la commune 5, longtemps écartée du réseau urbain central malgré les institutions (campus, hôpital Lamordé, instituts de recherche..) : l’enjambement du fleuve par le 3e pont marquera l’inclusivité de cette partie de la ville (appelée à un fort développement) à l’ensemble métropolitain ; de plus, une future gare ferroviaire finira de relier cette commune à l’hinterland voisin et au Burkina voire au-delà. D’autres voies périphériques pourraient relier d’autres pôles urbains sans passer forcement par le noyau urbain central. Ces aménagements ne seront possibles que grâce à la révision du schéma d’aménagement prospectif à long terme (2050).
Une simple photo aérienne ou une simple ballade sur le terrain permettent de souligner l’hétérogénéité de l’habitat de Niamey, faite de juxtaposition d’horizontalité (surtout) et de verticalité des ensembles immobiliers : les maisons à étages –longtemps apanage des administrations- alternent avec les concessions (maisons basses) même dans l’hypercentre ville. Une charte d’architecture et d’urbanisme doit compenser cette singularité en donnant un cachet et un charme à la ville (qualité qui lui est encore déniée) tout en valorisation nos styles architecturaux néo-soudanais qui font la fierté de certaines de nos villes de province ; pour cela, il conviendra d’homogénéiser les habitats de certains quartiers à venir et donner ce style à nos immeubles administratifs.
Dans le même registre, le prochain schéma d’urbanisme aura pour mission d’affirmer la vision que nous aurons de la ville à l’horizon 2050, voire au-delà : quelle ville voulons-nous, avec quels moyens et pour qui ? En procédant à une affectation, un zonage selon les spécificités sociales et économiques, la ville de Niamey aura une lisibilité certaine, contrairement à l’éclatement et au « désordre urbain » actuels. Ainsi les friches militaires (sous réserve des réaffectations des camps militaires à l’extérieur de la ville) pourraient à termes, idéalement constituer un centre d’affaires international, proche de l’aéroport, hôtels, banques, administrations… De même, de nouvelles zones industrielles pourraient à cette échéance, voir le jour à Sorey (proximité de l’aéroport et Sonidep) pour développer de nouvelles opportunités d’activités économiques et d’emplois. Il en va de nouvelles cités administratives pour déconcentrer un centre-ville saturé qui renferme déjà l’essentiel des activités tertiaires ; et l’adressage des rues, (cette arlésienne !), peut fluidifier les relations économiques et sociales avec un gain de temps et d’argent certains, mais aussi une opportunité pour la Poste Niger dans sa mission de service public de proximité.
Nous vivons dans une société ouverte, fusionnelle où les rapports sociaux et humains sont prégnants. La citadinité vient bouleverser cet ordre, cette sociabilité nous retranchant dans une sorte de repli : il faudrait pour cela recréer les liens sociaux naguère symbolisés par les MJC, les cinémas, les stades (maintenant en déshérence)… par la réappropriation des territoires. Les tiers-lieux, conceptualisés par le sociologue urbain américain Ray Oldenburg en 1989, sont ces lieux qui ne sont ni la maison (1er lieu) ou le lieu de travail (2è) mais « un lieu où l’on prend plaisir à se rassembler, où l’on tient des conversations, où l’on échange. Une sorte d’agora, publique ou privée ». Ils peuvent être les espaces de coworking, les infolabs (où l’on vient s’informer), des lieux d’innovations, espace publics numériques, des cafés de démocratie… [3] Ainsi les prochaines planifications urbaines mettront en avant ces lieux pour préserver le tissu social, favoriser les brassages entre classes afin de partager les expériences entrepreneuriales par exemple…
Il est heureux que constater que les parlementaires viennent d’adopter, ce 5 octobre, la Loi d’Orientation de la Politique Nationale d’Aménagement du Territoire censée «établir un équilibre entre les régions en corrigeant les disparités et parvenir ainsi à un développement national harmonieux et équilibré » et se rendent compte qu’il ne peut y avoir productivité, croissance et développement avec les déséquilibres territoriaux : en même temps, il faudra songer aux futurs pôles de croissance en contrebalançant la macrocéphalie naissante de Niamey.
In fine, la prospective de la métropolisation de Niamey dans un Agenda 2050, (relayée ici par quelques idées qui pourraient être élargies), doit à présent interpeller les pouvoirs publics afin d’anticiper les problématiques rencontrées par ailleurs dans les grandes mégalopoles africaines : Lagos (17 millions d’habitants) ou Kinshasa (11 millions) par exemple, sont déjà des concentrés des difficultés contemporaines des villes qui se sont développées d’abord anarchiquement échappant au contrôle de l’urbanisme, du cadre de vie et de sa sécurisation.
Aboubakar LALO
Aménagiste
-France-
|1] Les défis de l’urbanisation en Afrique de l’Ouest, Banque Mondiale, Juin 2018