« Comme dans plusieurs pays africains, les médias nigériens ont été pendant longtemps ‘’des espaces masculins’’, avec quelques présences féminines », déclare Abdourahamane Ousmane
ABDOURAHAMANE OUSMANE EST ANCIEN PRESIDENT DU CSC DU NIGER, ANCIEN PRESIDENT DU RIARC. Dans cette interview à DISBOOK MAGAZINE, il a largement abordé la question de la femme dans les médias et notamment ce qu’a fait le CSC dans ce domaine sous son administration.
Vous êtes un précurseur de la défense des intérêts des femmes et de leur représentation équitable dans les médias. Pourquoi êtes-vous devenu le porte-parole des femmes? Est-ce un sujet qui vous préoccupe depuis toujours? Comment est née cette “vocation”?
Je suis plus qu’un porte-parole des femmes ; je suis un défenseur des droits des femmes, parce que les droits des femmes sont des droits humains. Les femmes sont des êtres humains au même titre que les hommes ; il n’existe pas des droits masculins d’un côté et des droits féminins de l’autre. Par conséquent, il n’existe que des droits inhérents à la personne humaine, sans distinction de sexe.
Cette vocation est née depuis bientôt un quart de siècle, quand j’ai décidé d’embrasser le métier de journaliste, en 1994. Jeunes diplômés sortis de l’université de Niamey, nous avions décidé de créer un journal au titre assez évocateur : Alternative.
Notre objectif de départ est de contribuer à consolider le processus démocratique entamé au Niger, en 1990. En tant que journaliste débutant, je m’occupais de tous les sujets d’actualité – politique, société, sport, culture, économie etc. Mais chemin faisant, je me suis davantage intéressé aux questions sociales, notamment les luttes des travailleurs, des étudiants et des femmes pour la défense de leurs droits. S’agissant spécifiquement des organisations féminines, les revendications portaient sur leur plus grande représentation dans les postes électifs (Parlement) et nominatifs (Gouvernement et administration centrale). L’idée était d’instituer, à travers un texte, un quota de postes électifs et nominatifs réservés aux femmes, afin d’assurer leur représentation a minima dans les sphères de décision, alors qu’elles constituent plus de la moitié de la population nigérienne.
En 1996, j’ai participé à un séminaire sur les droits de l’Homme dans les pays africains en transition démocratique, organisé par le Centre Danois des Droits de l’Homme et l’Association Nigérienne de Défense des Droits de l’Homme. Ce séminaire a renforcé ma conviction que les journalistes ont un rôle important à jouer dans la promotion et la protection des droits humains fondamentaux en général et dans la lutte contre les discriminations en particulier, notamment celles basées sur le sexe. Cette conviction s’est traduite par la création, en 1998, du Réseau des Journalistes pour les Droits de l’Homme dont j’assurais la présidence. Pendant une décennie, ce Réseau a contribué à renforcer les capacités des journalistes nigériens et africains en matière de droits humains, à travers les formations, les publications, les productions et le plaidoyer.
En 2010, arrivé à la tête de l’instance de régulation des médias du Niger, j’étais déjà suffisamment outillé et engagé pour aborder la question de la représentation des femmes dans les médias suivant une approche basée sur les droits. En 2013, mon élection à la présidence du Réseau des Instances Africaines de Régulation de la Communication (RIARC) a donné une échelle continentale à ce combat.
Dans votre vie professionnelle, avez-vous eu souvent l’occasion de travailler avec des femmes à responsabilité? Quelles sont les femmes dans les médias qui vous ont le plus marqué?
En tant que journaliste, j’ai travaillé exclusivement sous la responsabilité des hommes. Les femmes n’occupaient pas des postes de responsabilité, surtout au niveau du secteur privé des médias.
En revanche, au niveau de la régulation des médias j’ai connu des femmes, présidentes d’instances dans plusieurs pays africains. A commencer par Mme Mariama KEITA, élue dès 2003 présidente du Conseil Supérieur de la Communication (CSC) du Niger. J’ai également eu l’occasion de travailler avec Mme Nancy N’GOM, ancienne présidente du CNRA du Sénégal ; Mme Béatrice DAMIBA, ancienne présidente du CSC du Burkina Faso ; Mme TOGOLA, ancienne présidente du CSC du Mali ; Mme Margaret MUYAGI, ancienne présidente de la TCRA de Tanzanie ; Mme Martine CONDE, actuelle présidente de la HAC de Guinée-Conakry ; Mme Amina LEMRINI, actuelle présidente de la HACA du Maroc ; Mme Nathalie SOME, actuelle présidente du CSC du Burkina Faso. Toutes ces femmes m’ont marqué par leurs convictions et leurs engagements pour l’égalité Homme/Femme dans et à travers les médias.
Quelle place accorde-t-on aux femmes dans les médias au Niger? Voyez-vous la situation évoluer?
Comme dans plusieurs pays africains, les médias nigériens ont été pendant longtemps « des espaces masculins, avec quelques présences féminines. » Les femmes ne sont pas très nombreuses au sein des rédactions, a fortiori au niveau des directions des médias. A titre illustratif, sur treize télévisions privées, une seule a pour promotrice une femme. Sur la quarantaine des journaux de la presse écrite qui paraissent régulièrement, un seul a une Directrice de publication. Aucune femme n’a été Directrice Générale de l’Office de Radio et Télévision du Niger (ORTN), de l’Office Nigérien d’Edition et de Presse (ONEP) ou de l’Agence Nigérienne de Presse (ANP).
Un récent rapport de monitoring sur l’équité de genre dans les médias au Niger, publié par l’Association des Professionnelles Africaines de la Communication (APAC-Niger), en collaboration avec l’Observatoire Nigérien Indépendant des Médias pour l’Ethique et la Déontologie (ONIMED) et le Conseil Supérieur de la Communication a fait ressortir les constats généraux suivants :
- La femme est objet et non sujet dans l’information : même sur les questions la concernant directement, l’homme a plus voix au chapitre que la femme ;
- L’image de la femme est dévalorisée, en la présentant comme une actrice secondaire, voire une éternelle assistée incapable de se prendre en charge elle-même ;
- La femme ne fait pas autorité en tant que source d’information ou experte ;
- La femme est absente ou très faiblement représentée dans les grands débats de société.
Cette situation va certainement évoluer de manière positive, car le même rapport fait ressortir que certains médias se détachent du lot par les places qu’occupent les femmes journalistes dans le personnel d’encadrement ; par le temps et l’espace accordés aux questions sur la femme et par le nombre de femmes invités au cours des débats.
Quels rôles jouent les médias auprès du grand public pour faire évoluer la situation des femmes dans la société?
Dans le contexte africain, la radio a une très forte influence sur le grand public du fait d’une part, de la tradition dominante de l’oralité et d’autre part de la facilité de transmettre des messages aux citoyens, y compris dans les zones rurales, dans leurs langues. En outre, l’acquisition d’un poste radio n’est pas onéreuse et les batteries servant de source d’énergie à la radio sont disponibles partout et à moindre coût également. A titre illustratif, au Niger, 95% des ménages disposent d’au moins un poste radio.
Pour moi, le développement de la radio et l’accessibilité de ce média constituent une opportunité pour faire évoluer la situation de la femme dans les sociétés africaines. Mais à deux conditions : premièrement la radio doit cesser d’être, à travers ses programmes, un instrument de reproduction des préjugés et stéréotypes défavorables à la femme. Deuxièmement, la radio doit être un moteur de changement social à travers la lutte contre ces préjugés et la promotion d’une nouvelle culture plus sensible au genre.
Toutefois, l’importance de la radio ne doit pas exclure les autres médias – presse écrite, télévision, réseaux sociaux – dans le combat pour le changement de la situation de la femme. C’est un mouvement d’ensemble pour l’instauration d’une nouvelle culture médiatique favorable à l’égalité Homme/Femme. Dans ce mouvement, les professionnels des médias et les instances de régulation ont un rôle important à jouer.
Au sein du Conseil Supérieur de la Communication du Niger, quelles sont les mesures prises pour assurer une représentation équitable des femmes dans les médias ?
De par ses attributions constitutionnelles, le CSC doit veiller au respect de l’accès équitable et effectif des citoyens aux médias publics et au respect de l’expression pluraliste des opinions dans les médias privés. Il doit aussi veiller à la protection des groupes sociaux vulnérables, notamment les enfants, les adolescents et les femmes.
Dans ce cadre, le CSC a adopté trois délibérations : la première pour déterminer les conditions d’accès des partis politiques, des syndicats, des associations et des citoyens aux médias publics ; la deuxième pour garantir les principes de pluralisme dans les médias privés ; et la troisième pour assurer la protection du jeune public.
La direction du pluralisme, de la déontologie et de la publicité du CSC est chargée de veiller au respect strict de ces délibérations par les médias. Pour ce faire, elle produit un rapport semestriel de monitoring à l’intention du collège des Conseillers. Ce dernier utilise ce rapport, notamment dans sa partie relative à l’accès équitable des femmes aux médias, dans le cadre de la répartition de l’aide publique à la presse. Il s’agit pour le CSC, à travers cette émulation, de favoriser une plus grande représentation des femmes dans les médias au Niger.
Etes-vous satisfait du travail accompli? Quelles sont les prochaines étapes?
Oui, le travail accompli par le CSC est satisfaisant, puisque des changements qualitatifs commencent à s’observer dans les médias nigériens, aussi bien sur le plan de la gouvernance que de la programmation. Les femmes journalistes commencent à assumer des responsabilités managériales et éditoriales ; les contenus sont de plus en plus diversifiés ; une prise de conscience sur la nécessité d’aller vers l’égalité prend forme.
Dans les années à venir, il faut consolider les acquis et se fixer de nouveaux défis. Dans tous les cas, l’égalité Homme/Femme dans et à travers les médias est un travail de longue haleine. Elle ne se décrète pas et elle ne s’obtiendra pas comme on prépare du café instantané.
Avez-vous des exemples de situations qui vous ont paru particulièrement choquantes, en termes de traitement des femmes dans les médias?
Plusieurs situations m’ont choqué durant ma carrière de journaliste et de régulateur des médias. Mais la plus choquante a été le buzz provoqué sur les médias et les réseaux sociaux par les propos du Président Mahamadou Bohari du Nigeria, qui a soutenu dans une interview que « la place de son épouse est à la cuisine. » Cette phrase a été prononcée par le Président nigérian en réaction à la mise en garde publique que son épouse lui a faite sur la nécessité de tenir sa promesse électorale en matière de lutte contre la corruption, s’il veut briguer un 2ème mandat. En termes clairs, ces propos signifient : « la place de la femme est au foyer et son rôle est de préparer à manger pour la famille ; et non dans la sphère publique où elle n’a pas droit à la parole sur les questions politiques. » C’est dommage de constater que plusieurs médias classiques et en ligne ont reproduit à l’identique ce stéréotype sexiste, malheureusement très vivace en Afrique. La leçon à tirer, c’est que même avec l’avènement des nouveaux médias, les défis restent anciens en matière de traitement des femmes.
En Afrique francophone, y-a-t-il selon vous un pays plus en avancé que les autres sur le plan du traitement équitable des femmes dans les médias?
Le Maroc a fait des avancées par rapport aux autres pays africains francophones. De mon point de vue, cette situation n’est pas étrangère à la politique de « modernisation sociale » mise en œuvre dans ce pays ces dernières années, qui garantit plus de droits aux femmes à travers le Code du Statut Personnel. Elle est aussi due au travail remarquable accompli par la Haute Autorité de la Communication Audiovisuelle (HACA). En la matière, la HACA du Maroc a servi de locomotive aux autres instances africaines de régulation des médias. Personnellement, je reconnais l’engagement et la détermination de Mme Amina LEMRINI EL OUAHABI, Présidente de la HACA, dans l’élaboration et l’adoption par le RIARC, de la Déclaration de Cotonou relative à l’égalité Homme/ Femme dans et à travers les médias en Afrique.
En mars dernier, vous avez participé à la 62ème session de la Commission sur le Statut des Femmes (CSW) au siège des Nations Unies à New York. Quelle a été votre contribution ?
Pendant la 62ème CSW, cinq Réseaux d’instances de régulation des médias (RIARC, RIRM, REFRAM, PRAI et Plateforme UEMOA) ont organisé, en partenariat avec l’OIF et la GAMAG, un side-event sur le thème : « Liberté de la communication et Egalité Homme/Femme. » L’objectif poursuivi est de questionner les concepts, les approches, les outils d’analyse et d’action pour une meilleure compréhension de la question de l’Egalité Homme/Femme, appliquée au domaine particulier des médias en pleines mutations à cause des évolutions technologiques. Il s’agit aussi pour nous, de partager nos réflexions et nos expériences, en tant que régulateurs des médias provenant de zones géographiques et culturelles différentes, en vue de promouvoir la culture de l’égalité.
Cet événement a été un grand succès, au vu du nombre de régulateurs, de ministres, d’ambassadeurs, de journalistes et d’activistes des droits des femmes qui ont pris part. Il a été aussi l’occasion pour les Réseaux de régulateurs des médias de rendre publique une déclaration dans laquelle ils ont appelé les Etats membres des Nations-Unies à : (1) mettre en place des lois et mécanismes consacrant le principe de l’égalité entre les hommes et les femmes dans et à travers les médias et veiller à leur effectivité, parallèlement au respect de la liberté d’expression et de l’indépendance des opérateurs ; (2) garantir une représentation équilibrée des hommes et des femmes dans les processus de nomination/élection des organismes médiatiques, y compris les diffuseurs et les régulateurs ; (3) inscrire l’égalité de genre dans et à travers les médias dans le cadre des politiques globales et intégrées ciblant la lutte contre les stéréotypes sexistes, les discriminations et les violences fondées sur le genre, ainsi que la promotion de l’égalité en tant que culture et pratique.
Les jeunes femmes qui veulent travailler dans les médias en Afrique francophone doivent-elles être optimistes selon vous, quant à leurs chances de réussite?
Absolument ! Il existe des raisons d’être optimiste, car la prise de conscience est générale, tant au niveau du politique, des professionnels que de la formation. Au Niger, depuis 2010, six ministres de la communication se sont succédé dont trois hommes et trois femmes. L’Institut de Formation aux Techniques de l’Information et de la Communication (IFTIC) du Niger est dirigé par une femme. C’est le cas aussi du CESTI de Dakar au Sénégal, l’une des plus anciennes et prestigieuses écoles de formation en journalisme de l’Afrique francophone. Des cours et des modules sur le genre sont enseignés aux étudiants en journalisme. De plus en plus de filles intègrent les écoles de journalisme, partout en Afrique francophone. Je suis certain qu’elles vont contribuer à changer la culture et la pratique journalistique dans les prochaines années.
Source : www.disbookmagazine.com