L’information se précise de plus en plus : le Mouvement National pour la Société de Développement (MNSD) de Seini Oumarou va rejoindre la majorité présidentielle. Dans les rangs du MNSD comme du Parti Nigérien pour la Démocratie et le Socialisme (PNDS), on en parle. Pour les plus optimistes, ce n‘est qu’une question de temps, les détails seraient déjà réglés. Il est vrai que l’information n’est, pour l’instant, ni officielle ni officialisée. Elle sera officielle le jour où le MNSD publiera une déclaration, conformément à la loi, pour se désaffilier de l’opposition et proclamer son appartenance à la mouvance présidentielle.
En attendant, les débats vont bon train. Les questions fusent. Assisterons-nous au remake du rapprochement PNDS-MNSD de 1995 qui a enfanté la cohabitation ? Qu’est-ce qui a changé, entre août 2013 lorsque le président Issoufou Mahamadou a tendu sa main pour un gouvernement d’union nationale et maintenant ? En août 2013, se rappelle-t-on, le secrétaire général du MNSD, Albadé Abouba, et ses camarades dont la moitié des députés MNSD ont rallié le régime conformément à la délibération du bureau politique national du parti, décision remise en cause par Seini Oumarou et certains de ses lieutenants. Par cet acte, Albadé et ses camarades ont contribué à stabiliser la majorité parlementaire et déjouer les manœuvres visant à forcer Issoufou Mahamadou à une cohabitation qui aurait pu être transformée en crise politique. Une telle crise aurait été porteuse de graves périls pour le pays. Pourquoi alors Seini accepte-t-il aujourd’hui ce qu’il a catégoriquement refusé hier ? Issoufou est-il plus fréquentable aujourd’hui plus qu’hier ? Est-il convaincu du bilan flatteur de la Renaissance ?
C’est peut-être la realpolitik qui le conduit à cette option. Viendra-t-il avec son allié Mahamane Ousmane dont on sait la rancune tenace vis-à-vis de Issoufou ?
Il est vrai que depuis 2013, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts : Seini Oumarou n’est plus le chef de file de l’opposition, et la campagne électorale de février dernier a sans doute ruiné son portefeuille ainsi que celui de ses partisans. En rejoignant le pouvoir, il créé les conditions de positionner les cadres du MNSD dans le sérail du pouvoir en leur faisant bénéficier de quelques strapontins. Il pourra renouer avec les arcanes de l’Etat dans la perspective de l’élection présidentielle de 2021, ce qui pourrait lui permettre de prendre une longueur d’avance sur son rival intime Hama Amadou. Il pourra ainsi rendre à Hama la monnaie de sa pièce de 2011 lorsque ce dernier, pourtant initiateur de l’Alliance pour la Réconciliation Nationale (ARN), l’a abandonné au profit de Issoufou. Pour le PNDS, c’est peut-être une occasion qu’il mettrait à profit pour réduire les ardeurs d’un challenger potentiel tout en espérant que l’âge de Seini (71 ans en 2021) pourrait le dissuader de toute ambition présidentielle.
En outre, avec le ralliement du MNSD, l’opposition sera sans nul doute fragilisée. Du reste, ce ralliement ne sera pas sans conséquence pour le PNDS, la majorité actuelle et le processus démocratique en cours dans notre pays.
L’accroissement des frustrations au sein du PNDS
Il n’est pas rare d’entendre des militants historiques du PNDS se plaindre de la marginalisation dont ils font l’objet depuis que leur parti est au pouvoir. Il n’est pas rare de les entendre décrier la gouvernance du parti qui ne se réunit plus comme lorsqu’il était à l’opposition, qui est absent des grands débats nationaux, qui se prononce rarement sur des questions d’intérêt général, qui fait plus de places aux militants de la 25è heure c’est-à-dire ceux qui ont pris le train à l’une de ses escales. C’est pourquoi, il est courant d’entendre distinguer les militants du PNDS entre « Tarayyistes » c’est-à-dire ceux qui étaient au charbon, qui ont mené durement les luttes pour la conquête du pouvoir, et « Guristes », ceux-là qui ont regagné le PNDS lorsqu’il est arrivé au pouvoir, et qui font partie de ceux qui comptent.
Bien de « Tarrayistes » attendent encore. Il y en a qui, même bénéficiaires des décrets ou arrêtés, vivent difficilement, dans leur chair, la marginalisation dont ils font l’objet. Nombreux d’entre eux sont convaincus que ceux qui viennent d’arriver dans le système ont facilement droit au chapitre plus qu’eux. C’est pourquoi, des militants du MNSD qui rejoindront la mouvance présidentielle pourraient leur ravir la vedette comme ça a été le cas avec les alliés actuels. Il est évident que des militants du PNDS vont perdre leurs positions administratives ou institutionnelles actuelles au profit de ceux du MNSD.
On assistera à un véritable cocktail si la fracture gagne les partis alliés du PNDS dont le MPR Jamhuriya avec comme conséquence la redistribution des cartes qui préfigure une nouvelle recomposition du paysage politique nigérien.
Les ressentiments des partis alliés
Sans doute, l’arrivée du MNSD va obliger à casser et recomposer le gouvernement actuel. Ce qui implique que les parts de certains partis vont diminuer. On assistera à un rééquilibrage des forces. Mais c’est le Mouvement Patriotique pour la République (MPR Jamhuriya) qui ferait les frais de cette alliance. Le MPR est issu du MNSD. Le MPR s’est créé sur la base de la délégitimation de la direction actuelle du MNSD. Sans aucun doute, on assistera à des règlements de comptes surtout que le MNSD va détrôner le MPR de sa place de 2è force de la majorité présidentielle.
Beaucoup de militants du MPR n’ont pas encore digéré le fait que le perchoir de l’Assemblée nationale n’est pas revenu dans l’escarcelle de leur parti au nom d’une certaine géopolitique locale. Le président du MPR, qui était pressenti pour occuper ce poste, a dû se contenter du poste de ministre d’Etat, ministre de l’Agriculture et de l’Elevage. Au total, le MPR a pu décrocher 6 postes ministériels.
Depuis que l’information sur l’alliance probable PNDS-MNSD est sur la place publique, on constate une fronde sourde au sein du MPR menée par des responsables que certains jugent proches du MNSD. Ceux-là contestent de plus en plus le leadership du président du parti, Albadé Abouba. On n’exclut pas l’hypothèse selon laquelle certains milieux politiques cherchent à fragiliser Albadé, à l’occuper avec une crise interne factice et à l’éloigner le plus loin possible du président Issoufou. En sourdine, il y a une querelle de positionnement et d’affirmation du leadership dans la perspective des élections locales de janvier 2017 et de la présidentielle de 2021. Un Albadé intact est une véritable foudre de guerre qui pourrait gêner bien d’intérêts politiques.
A force de vouloir rassembler, on risque de créer une crise politique qui pourrait déboucher sur une cohabitation qu’on a évitée de justesse en 2013 tant les connexions politiciennes sont impénétrables.
Toutes ces velléités auront aussi pour conséquence de fragiliser le processus démocratique.
La fragilisation du processus démocratique
Il n’y a rien à faire, le MNSD gagne mais le processus démocratique perd. Les militants de ce parti seront nommés dans le gouvernement, les représentations diplomatiques, l’administration centrale et déconcentrée de l’Etat. Ils auront des moyens, et accéderont à l’information. A la veille des élections de 2021, ils pourraient tranquillement quitter la mouvance présidentielle comme ils sont venus pour aller battre campagne.
Le processus démocratique va perdre parce que l’opposition sera diminuée de sa force la plus emblématique, la plus enracinée dans les terroirs en raison de l’héritage du parti Etat. Que vaut un processus démocratique sans une opposition qui se pose en contre-pouvoir mais aussi en alternative crédible au régime en place ? C’est ce que le PNDS a fait entre 1999 et 2011 en se préparant à conquérir le pouvoir démocratiquement, sur la base d’un projet de société inspiré de sa connaissance du terrain.
Il faut se préoccuper de l’image que cette situation peut donner des acteurs politiques nigériens mais aussi de la perception qu’on peut finalement avoir du pouvoir comme d’un râtelier où il faut absolument y être. Il ne faut pas que les acteurs politiques passent pour des gens qui ne préfèrent que la proximité avec le pouvoir. Il faut un gouvernement qui gouverne et une opposition qui s’oppose. C’est cela la règle du jeu démocratique.
Au fond, la question qu’on ne peut pas éluder est celle de savoir qui sera comptable de quoi à l’heure du bilan ?
O. Sanda (Le Républicain No 2089)