« Pour moi, il est temps de converger vers un cinéma qui instruit, inquiète, pour qu’enfin s’amorce un changement de mentalité », déclare Aicha Macky
Arrivée dans le domaine du 7ème art il y a juste cinq ans, la jeune réalisatrice nigérienne, Aicha Macky est en train de s’affirmer sur la scène cinématographique, grâce à la qualité et l’originalité de ses œuvres. Le 11 juin dernier elle était sur la première marche du podium de l’Africa Movie Academy Awards, à Port Harcourt, avec son film « l’arbre sans fruit », consacré meilleur documentaire africain de l’année 2016. Dans cette interview la « briseuse de tabous » répond sans langue de bois aux questions de Niger Inter.
Niger Inter : Présentez-vous à nos lecteurs et internautes.
Aicha Macky : Je réponds au nom d’Aicha Macky. Je suis née le 8 janvier 1982 à Zinder, où j’ai fréquenté l’école jusqu’à l’obtention du baccalauréat en 2004. Ensuite j’ai poursuivi mes études supérieures à l’Université Abdou Moumouni de Niamey, où j’ai obtenu une maitrise en sociologie option rurale plus précisément sur les questions de conflit foncier et immigration. Je suis également titulaire d’un master I en audiovisuel et réalisation obtenu à l’Institut de Formation en Technique de l’Information et de la Communication(IFTIC) de Niamey, et d’un master II Réalisation Documentaire de Création obtenu à l’université Gaston Berger du Sénégal.
Présentement je suis vacataire à l’IFTIC où j’enseigne les étudiants du master I Réalisation. Parallèlement, je suis formatrice des jeunes en facilitation du cinéma mobile pour la résilience communautaire pour un changement de mentalité et transformation des conflits au niveau du PDEV II qui est un programme de l’USAID.
Je suis présidente d’un jeune réseau dénommé réseau régional des jeunes leaders pour la paix et le développement dans le Sahel. C’est un réseau qui regroupe des jeunes activistes du Niger, du Burkina Faso et du Tchad.
Niger Inter : Qu’est-ce qui a marqué votre enfance et votre scolarité ?
Aicha Macky : Issue d’une famille de leaders religieux de Zinder, je suis petite fille de Alkali Malam Kidy, mon enfance était partagée entre la cour familiale et l’école coranique que j’ai fréquentée dès ma tendre enfance, et jusqu’à la fin de mon cycle au lycée.
Je viens d’une famille polygame. Enfant, mon jeu favori était le défilé de mode. J’imitais la démarche de toutes les copines de mes mamans, qui venaient à la maison. Il y en a qui s’amusaient à me faire venir chez elles pour montrer à leurs époux comment elles marchent. J’ai cultivé la passion de l’imitation, tout le long de mon cursus scolaire. De l’école primaire filles, au Lycée Kouran Daga de Zinder, en passant par le CEGII, je faisais partie des meilleurs élèves et des plus perturbateurs aussi. J’ai toujours évolué dans le milieu des garçons depuis ma famille, puisque j’ai des frères et des cousins avec lesquels je passais plus de temps. À l’école, nous avions des cliques, et nous nous amusions à taquiner tous nos enseignants ou à perturber les cours qu’on détestait comme les mathématiques à l’époque. Mais, cela ne m’a pas empêché de garder de très bonnes relations avec quelques enseignants dont je m’inspire et je garde de très bons souvenirs.
Niger Inter : Comment était né votre rêve de devenir cinéaste ?
Aicha Macky : Avant de devenir cinéaste, j’ai évolué dans le milieu culturel depuis ma tendre enfance. Déjà, en classe de CE1 quand j’avais 8 ans, j’ai eu l’honneur de représenter mon école à la fête scolaire inter écoles qu’organisaient les autorités à l’époque. J’avais eu le privilège d’être la cantatrice de la chanson que l’enseignant Feu Issa Chérif avait composée pour la région de Zinder.
Depuis, j’ai pris gout à la culture en générale et j’ai continué sur cette voie jusqu’au lycée Kouran Daga où je faisais partie des animateurs du club de théâtre dudit lycée.
Arrivée à l’Université Abdou Moumouni, j’ai continué au niveau de la Commission Affaires Culturelles où j’ai aussi marqué mon passage à travers des activités culturelles notamment lors des soirées culturelles dédiées aux martyrs du 9 février ou lors des semaines culturelles organisées par ma faculté et que j’ai eu l’honneur de présider à plusieurs reprises.
Je peux dire que déjà j’étais prédisposée, du moins ‘’conditionnée’’, à embrasser une carrière dans le cinéma.
Pour ce qui est du rêve de devenir cinéaste, à proprement parler, il est né de mon expérience de terrain. Sociologue, je faisais des enquêtes avec des cabinets comme le CRAMS et avec des chercheurs du LASDEL et autres organismes privés.
J’ai participé à des recherches sur des thématiques taboues et j’ai trouvé les résultats inquiétants.
Vu que la majorité de la population du Niger est analphabète, ça m’a fait réfléchir quant à la destination des ouvrages qui sont pour la plupart en français.
J’ai saisi l’occasion d’intégrer le Forum Africain de Film Documentaire de son excellence Inoussa Ousseini l’ambassadeur du Niger auprès de l’UNESCO après un test organisé par le Ministère de la promotion de la femme en 2008. C’était mon premier contact avec le cinéma, et j’ai fini par tomber amoureuse de ce fabuleux art qui me permet de m’exprimer autrement.
Niger Inter : Parlez-nous brièvement de votre filmographie.
Aicha Macky : De mon début en 2011 à l’IFTIC avec mon film d’école » Moi et ma maigreur », j’ai aujourd’hui 6 films à mon actif dont 3 films d’auteur que j’ai écrits et réalisés et 3 films de commande. Il s’agit pour l’année 2016 de » L’arbre sans fruit », 52′ ; » Les rêves de Hadjo », 13′ ; en 2015 « Normes pour qui? « ,13′ ; « Le dilemme de Binta », 20′ ; 2013, « Savoir faire le lit », 26′ et 2011 « Moi et ma maigreur », 13’.
Niger Inter : Comment expliquez-vous le succès de votre œuvre « l’arbre sans fruit », qui vous a fait connaître la consécration avec l’African Movie Academy Awards (AMAA 2016) le 11 juin dernier à Port Harcourt ?
Aicha Macky : Je pense que pour les AMAA c’est juste des efforts jumelés, un travail bien fait qui a été récompensé. Je me suis consacré à l’écriture du projet pendant 2 ans. Les maisons de production qui m’ont accompagnée, à savoir Les films de Balibari France et Maggia Images Niger se sont battues pour trouver du financement. J’ai eu la chance d’avoir des techniciens très doués chacun dans son domaine. Tous ont apporté leurs savoir faire, ce qui a permis à l’œuvre d’avoir une certaine qualité.
Niger Inter : Est-ce le caractère sensible du sujet qui a ému le jury ou la valeur de l’œuvre ?
Aicha Macky : L’émotion a bel et bien joué, puisque le sujet parle de l’humain, de quelque chose de douloureux. Avant la délibération, le jury a résumé les différents films en compétition au niveau de chaque catégorie. Il a beaucoup mis l’accent sur le caractère touchant, tabou, humain et universel du film lauréat de la catégorie documentaire, ce qui a amené un collègue Béninois à me dire de me préparer pour aller récupérer le trophée. Ce qui s’est concrétisé. Mais je crois que la qualité de l’œuvre a beaucoup joué.
Niger Inter : Vos œuvres ont la spécificité de porter sur des sujets classés tabous dans notre société d’où votre sobriquet de« briseuse de tabous » que vous a donné un confrère. Pourquoi votre prédilection au sensationnel ?
Aicha Macky : Pour moi, de la même manière que nous faisons le cinéma du beau, celui qui fait rire, qui distrait, nous devons faire le cinéma du « laid » aussi.
Le cinéma du laid c’est celui-là qui met à nu un certain nombre de comportements et de cultures néfastes que nous avons dans notre société. C’est celui-là, qui quand il est fait, ne laisse personne indifférent et amène à réfléchir. C’est un cinéma utile qui, au-delà de la distraction pose le débat pour que s’amorce un changement dans nos comportements de tous les jours. Pour moi il est temps de converger vers un genre de cinéma qui instruit, inquiète pour qu’enfin s’amorce un changement de mentalité.
Niger Inter : Votre film « L’arbre sans fruit » est une œuvre autobiographique. Qu’est-ce qui vous a le plus motivée à briser ce tabou qu’est l’infertilité féminine au Niger ?
Aicha Macky : Il faut rappeler que le film est un parallélisme entre l’histoire de ma mère morte en donnant la vie et ma propre histoire, femme mariée, sans enfant.
Pour dire qu’au Niger, en donnant la vie, on peut la perdre comme le montre le chiffre élevé de décès maternel. Mais aussi, il y a une certaine mort morale et sociale en ne donnant pas cette vie. C’est le rejet social dont sont victimes beaucoup de femmes, mais c’est surtout le sentiment d’être inutile, différente.
L’idée du film est née suite à des rencontres dans des salles d’attente au niveau des différentes cliniques que je parcourais par désir de maternité. Les quelques femmes que j’ai croisées et avec lesquelles j’ai discutées le temps d’attente m’ont raconté des histoires à propos de leurs vécus, leurs relations, leurs entourages et surtout de comment elles font pour surmonter leurs douleurs.
Pour le commun de mortel, une grossesse va de soi. Ne pas tomber enceinte est une situation « hors-norme » dans mon pays, le Niger, où le statut marital somme le couple d’enfanter le plus tôt possible, et où la femme a en moyenne 7,6 enfants. Le taux le plus élevé de natalité au monde. Comment comprendre que d’autres femmes n’arrivent pas à avoir un enfant dans ce contexte?
Le désir de maternité est tellement douloureux que pour le comprendre, il faut le vivre dans sa chair et son esprit. Le retard de maternité crée un trouble intime qui questionne à la fois la place de la femme dans sa propre famille mais aussi sa place dans la société.
Ce sont toutes ces histoires qui m’ont poussée à faire le film pour aider ces femmes à libérer la parole. La parole, elle fait de la thérapie surtout quand on a jamais l’occasion de discuter pour dépasser sa peur, ses crainte et ses incertitudes.
Niger Inter : Vous dites en parlant de votre film « Savoir faire le lit », une œuvre d’école, que les femmes sénégalaises vous ont fait découvrir l’art de la séduction au féminin. Pouvez-vous partager ces recettes avec nos lecteurs ?
Aicha Macky : Lorsque je faisais mon master à Saint-Louis réputée ville des » Diryanké » (séductrices), l’attitude des sénégalaises a vite attiré mon attention.
Je me suis intégrée dans la société. Les femmes qui s’occupaient de l’espace vert de l’université beaucoup plus âgées me taquinaient toujours quand je partais en salle des cours.
Croyant que je suis sénégalaise d’origine de part mon nom de famille et mon teint, elles s’indignaient de me voir marcher comme un soldat qui part en guerre disaient-elles. Je me souviens de Astou avec laquelle je suis devenue très proche. Elle me disait ceci: » Aicha si tu ne fais pas le « jaagar jaagar » (marcher en se déhanchant pour attirer l’attention) ton mari va te prendre une coépouse.
A chaque occasion, j’arrachais un mot de toute celle que je croise en train d’arroser les fleurs.
Comme elles se débrouillent pour parler le français pour la plupart, on communiquaient par des gestuelles souvent.
Je capte les mots qu’elles utilisent et je les fais traduire par mes camarades sénégalais. C’est ainsi que j’ai écrit mon projet « savoir faire le lit » dont vous trouverez les astuces dedans.
Niger Inter : Vous avez fait l’éloge de l’audiovisuel sur l’écrit en raison de l’analphabétisme de la majorité des populations. Pourtant votre langue de travail à savoir le français reste également inaccessible au grand public nigérien. Avez-vous des projets de film en langues nationales?
Aicha Macky : En dehors de » savoir faire le lit » que j’ai fait en wolof et français au Sénégal dans le cadre de mes études, tous mes films sont en langues nationales.
Faire un film documentaire en français dans mon pays pour moi c’est comme prêcher dans le désert. À moins que je l’adresse à une cible particulière.
C’est comme l’a dit Nelson Mandela: » si vous parlez à un peuple dans une langue, il vous écoutera. Mais si vous lui parlez dans sa langue, il vous comprendra ».
Je reste convaincu que nos langues sont les voies qui nous mènent vers nos cibles.
Niger Inter : Pourquoi ne pas traduire aussi vos productions en langues nationales puisqu’elles sont censées briser des tabous au niveau des masses ?
Aicha Macky : On a plusieurs langues au Niger. Traduire un film c’est de l’argent.
Je fais les films dans les deux langues majoritairement parlées: Haousa et Zarma. Mais, si mon personnage se trouve par exemple à Agadez et qu’il ne parle que le tamachek, je fais le film en tamachek alors. Pour vous dire que le milieu est aussi décisif. On s’adapte aux langues des personnages.
Niger Inter : En tant que cinéaste vous avez une puissante arme pour faire avancer la condition féminine. Quelles sont vos perspectives pour booster le leadership féminin ?
Aicha Macky : À la différence d’autres femmes qui ont choisi d’autres moyens pour se faire entendre à travers des marches et autres, moi j’ai fait le choix de l’audiovisuel. C’est un outil fabuleux qui me permet de m’exprimer en tant que femme et mieux, de parler aux femmes urbaines comme rurales, même celles qui sont tenues enfermées entre un toit et quatre mur.
Un film, quand il est diffusé, il trouve les nigériens dans leurs salons, leurs chambres, leurs cases. Je construis mes films avec une sensualité mêlée de poésie. Je respecte la pudeur, tantôt avec humour et dérision, mais toujours avec l’espoir de casser ces tabous afin de contribuer à libérer la parole, de la femme dans mon pays. Pour moi, c’est une lutte douce qui a plus d’impacts que les manifestations et les revendications de rues, de plus en plus récupérées par les politiciens et qui tournent aux émeutes dans certains cas. Mon cinéma ne dicte pas, il montre, il émeut. Mon cinéma crée de débats dans les salons, dans les salles de cinémas ou de spectacles. Il incite à une révolution de mentalité qui s’opérera à partir des chambres pour sortir dans les rues en passant par les familles, les écoles et mêmes les lieux de culte. N’est-ce pas là une façon de booster le leadership, en créant le débat autour des thématiques qui touchent la condition féminine?
Niger Inter : Justement en tant que jeune leader, le fait d’être femme, est-ce un avantage ou un obstacle pour le leadership, au Niger, en Afrique ?
Aicha Macky : Pour moi, toute femme est leader. Qu’elle soit instruite ou non puisque gérer une famille, éduquer les enfants, guider l’époux dans ses choix et décisions, c’est une autre forme de leadership. Il y a des femmes qui ont eu plus de chance que les autres. Ce sont les femmes qui ont été à l’école.
Pour moi, il n’y a pas pire obstacle que celui que la femme crée elle-même. Cet obstacle, c’est quand la femme pense qu’elle n’est pas capable de tel ou tel autre travail. C’est quand elle croit que les postes stratégiques devraient revenir aux hommes.
Avec tous les concepts et opportunités (ségrégation positive, quotas puisqu’on le conjugue au féminin désormais, promotion de la femme…) créés pour aider la femme à aller de l’avant, je me dis on a plus d’avantage. Il y a certes des slogans des ONG et organismes qui mettent l’accent sur la femme pour chercher de financement. Ce qui fait croire que c’est toujours le statut quo. Reculez de 10 ans juste, vous vous rendrez compte qu’il y a une avancée significative par rapport au leadership féminin.
Niger Inter : Vous venez de participer au YALI, l’initiative du président Obama pour les jeunes leaders africains. Quelles sont vos impressions sur cette rencontre ?
Aicha Macky : Le programme Mandela Washington Fellows est un programme initié par le président Obama en faveur des jeunes leaders africains (Young African Leaders Initiative, YALI). Le but de ce programme c’est d’identifier des futures leaders Africains, les former pour que chacun investisse pour un meilleur avenir de l’Afrique. Les 1.000 jeunes YALI 2016 sont inscrits dans 3 domaines (monde des affaires et de l’entreprise, engagement citoyen et administration publique) repartis dans les universités les plus prestigieuses des Etats Unis. À Wagner College Staten Island/New York où je suis inscrite, 25 jeunes activistes venant des 23 pays de l’Afrique de l’ouest, l’Afrique centrale et l’Afrique du Sud suivent des cours dans le domaine de l’engagement citoyen. Ces jeunes œuvrent dans divers domaines( l’art, la santé, l’éducation, le droit de l’homme, l’émancipation de la femme…). En dehors du programme commun, il y’a les ateliers et le mentorat qui permet à chacun dans son domaine d’avoir des contacts avec d’éminentes personnalités. Le programme finit par un sommet de 3 jours à Washington suivit de la rencontre des 1.000 jeunes avec le président OBAMA.
Le YALI c’est la plus belle rencontre à laquelle j’ai assisté jusque là. C’est un rendez-vous du donner et de recevoir.
Comme l’a dit Amadou Hampaté Bâ « De même que la beauté d’un tapis tient à la variété de ses couleurs, la diversité des hommes, des cultures et des civilisations fait la beauté et la richesse du monde. Combien ennuyeux et monotone serait un monde uniforme où tous les hommes, calqués sur un même modèle, penseraient et vivraient de la même façon ! N’ayant plus rien à découvrir chez les autres, comment s’enrichirait-on soi-même ? »
Niger Inter : Quel appel avez-vous à l’endroit des jeunes nigériens surtout, habités par le doute quant à l’avenir, ou même gagnés par le découragement ?
Aicha Macky : Je vais juste dire aux jeunes de suivre leurs passions, de savoir transformer les obstacles en opportunités. Il y’a certes des difficultés d’emplois mais l’Etat n’est pas le seul employeur. Nous pouvons être nos propres employeurs et employer d’autres jeunes si nous nous mettons au travail. Je suis convaincue qu’ » À cœur vaillant rien d’impossible » , et seul le travail paye.
Niger Inter : Si vous n’avez qu’un seul film à réaliser ce serait lequel parmi vos œuvres ?
Aicha Macky : » L’arbre sans fruit » évidement. Je m’intéresse aux tabous et aux non dits. Ce film touche plusieurs thèmatiques tabous imbriquées. Il parle de la question de donner la vie donc forcement il parle de beaucoup de choses même si c’est de manière indirecte comme la question de la sexualité, le manque de dialogue au sein d’une famille: entre parents et enfants, entre époux et épouse…
Niger Inter : Quel est votre meilleur film produit par les autres cinéastes d’ici ou d’ailleurs ?
Aicha Macky : Mes meilleurs films restent les documentaires qui parlent des conflits dans le monde. La plupart sont tournés sur le territoire cambodgien, congolais, rwandais… Ces films me parlent, pas parce qu’ils parlent des misères mais juste parce qu’Ils racontent des vécus, des histoires troublantes et touchantes. Des histoires humaines.
Un de ces film est le documentaire site 2 du réalisateur cambodgien Rithy Panh tourné dans un site de refugié. C’est un réalisateur dont les œuvres me touchent et me parlent beaucoup. Je suis sensible à la question de l’immigration parce que c’est une situation que je ne souhaite pas vivre un jour. Aller sur une terre qui ne m’accueille jamais. Manquer d’intimité en partageant des toilettes avec des centaines de personnes ou ne pas du tout en avoir…
Ces films me parlent et m’encouragent à m’investir d’avantage dans le volontariat dans le domaine de la consolidation de la paix.
Niger Inter : Peut-on avoir une idée de la gestion de votre temps dans votre vie de tous les jours ?
Aicha Macky : En dehors de ma vie familiale, je passe mon temps sur les réseaux sociaux qui restent ma meilleure source d’information et d’inspiration. Les réseaux sociaux m’informent de tout ce qui se passe dans le monde en temps réel.
Niger Inter : Selon vous le succès est-ce avoir un mentor ou avoir du talent?
Aicha Macky : Seul, c’est possible de faire du chemin mais ça sera toujours un bout de chemin comme on le dit. Il y’a des gens qui arrivent à faire le cinéma seul. Ce sont les gens » All in one », qui font tout à la fois.
Niger Inter : Pourtant, on découvre toujours un talent à travers un mentor.
Aicha Macky : Si je n’avais pas eu une équipe qui m’a accompagné sur mon projet je ne ferrais jamais de film toute seule. Et si le film est en train d’aller loin c’est grâce à des gens qui l’accompagnent. Ce sont les journaux qui parlent du film, ce sont les festivals qui le montrent, ce sont les télés qui le diffusent. Pour moi, tous ces gens réunis constituent les mentors de mon film. C’est pour dire que l’un ne va pas sans l’autre. Autant un réalisateur est important pour un producteur, autant le producteur l’est pour le réalisateur et, tous les deux ont besoin de l’accompagnement des medias, des diffuseurs, des distributeurs…
Niger Inter : À qui avez-vous dédié votre meilleur film ?
Aicha Macky : Je l’ai dédié à toutes les femmes sans distinction de statut.
Niger Inter : Comment entrevoyez-vous l’avenir du 7ème art au Niger ?
Aicha Macky : Si Oumarou Ganda a remporté l’étalon de Yennenga à la première édition du FESPACO, ce n’est pas un effet de hasard. Le Niger regorge des talents qui ont besoin juste d’un coup de pousse pour éclorer ou se réveiller pour les talents qui dorment. On a un territoire vierge, plein d’histoire à conter, des belles comme des mauvaises. Le 7ème art deviendra un métier et nourrira son homme au Niger.
Niger Inter : Qu’attendez-vous du ministère de la renaissance culturelle en tant qu’artiste ?
Aicha Macky : Pour qu’une œuvre d’art et surtout de qualité voit le jour il faut un investissement.
Le Niger n’a pas de fond dédié à la culture même si dans le temps quelques modestes sommes ont été allouées aux différents maillons de la culture à savoir le cinéma, la musique, le théâtre etc.
C’était de l’argent dont les acteurs de la culture se demandaient réellement à qui on les donnait et comment on procédait. Vous vous souvenez certainement de « Djagol » culture à propos.
Le mois passé, le Ministre de la renaissance culturelle, des arts et de la modernisation sociale Mr Asoumana malam Issa avait réuni les artistes au CFPM Taya. On avait parlé de l’attente des artistes. Pour certains, quand on parle de la participation de l’Etat il faut forcément avoir de l’argent liquide alors qu’il ne s’agit pas de cela seulement à mon avis.
Puisqu’il y a une certaine méfiance entre nos institutions et nous, la solution serait d’accompagner tout artiste qui fait ses preuves. Je m’explique: quand un artiste gagne une compétition internationale ou nationale, l’Etat l’accompagne sur son prochain projet. L’accompagnement c’est lui louer du matériel, c’est lui faciliter des contacts auprès des sociétés privées et publiques pour un partenariat, c’est l’encourager en rendant public ses œuvres…
C’est en ce sens seulement que le Niger peut produire des œuvres de qualité.
Le ministère de la renaissance culturelle doit coordonner les actions des artistes, leur donner de la valeur et les intensifier. Il faut aussi que le Ministère veille à ce que les artistes ne soient plus exploités en cadrant le partenariat entre nos artistes et les sociétés étrangères surtout.
Dans tous les maillons il y a une grille de paye de prestation. Il faut qu’elle soit respectée pour que les artistes vivent décemment de leurs talents, afin qu’aucun d’eux ne finisse sa carrière, voire ne meurt en « misérable ex célébrité ».
Niger Inter : Êtes-vous optimiste pour le changement des mentalités prôné par la renaissance culturelle ?
Aicha Macky : Quand on parle de renaissance, il y’a forcement eu « mort ».
En créant un ministère dénommé ministère de la renaissance culturelle, l’Etat reconnait qu’il y a des failles qu’il faut palier. Cette faille c’est d’abord le changement de mentalité au niveau des institutions étatiques et au plus haut degré. Si certains fonctionnaires utilisent les véhicules de l’Etat pour des courses hors du cadre du service, si certains politiciens, leurs femmes et leurs enfants exhibent leurs richesses en jetant de l’argent par terre lors des mariages et autres cérémonies sous le regard hagard des nécessiteux, comment pensez-vous convaincre ces gens à être positifs ? Pour moi, la renaissance culturelle devrait commencer au niveau de nos familles. Que les parents condamnent, voire punissent leurs enfants quand ils cassent le bien public. Il faut que les parents fassent comprendre aux enfants que le bien public n’est rien d’autre que les impôts qu’ils payent. Que le bien public appartient à la population, les personnes passent mais le cadre demeure.
Pour moi, la renaissance culturelle réside surtout dans la bonne gouvernance. Elle réside dans le respect de nos institutions. Je ne peux pas comprendre par exemple que le ministre de la santé se soigne à Paris pour des maux de tête alors qu’on a des médecins qualifiés. Que les enfants du ministre des enseignements supérieurs étudient en Europe…. En faisant cela, ils ne rendent pas crédibles les institutions qu’ils dirigent. Je crois à ce changement de mentalité mais il va falloir conjuguer les efforts et mettre l’intérêt du Niger au devant de tout intérêt personnel. Cela passe par la dépolitisation et la décentralisation de nos institutions, mais surtout par la mise en valeur de la jeunesse en l’intégrant dans les affaires de l’Etat.
Niger Inter : Comment les artistes peuvent contribuer à l’attente de cet objectif ?
Aicha Macky : Nous sommes un pays consommateur des images et du son. Ailleurs, les gens ont compris très tôt le rôle de la culture dans l’éveil des consciences et de rehaussement de l’économie aussi.
La renaissance culturelle veut dire aussi que chaque artiste doit œuvrer pour que la culture Nigérienne renaisse de plus belle et aussi contribue au changement de comportement. L’objectif de la renaissance culturelle ne veut pas dire produire plus de musique, plus de théâtre, plus de films… L’objectif c’est l’utilité et la qualité de nos œuvres. Comment nos œuvres peuvent aider à conscientiser nos populations? Comment nos œuvres peuvent êtres utiles à notre société, utiles au développement socio économique de notre pays? Comment nos œuvres peuvent refléter l’image de notre pays et le défendre en face du monde?
C’est un exercice auquel tous les artistes devraient s’atteler pour atteindre ces objectifs. Cela ne veut pas dire produire des œuvres qui font l’éloge de x et insulte y. Cela ne veut pas dire se laisser manipuler ou utiliser son art contre son propre pays. Cela passe par la production des œuvres critiques qui posent des vrais débats de société. Au Ministère de veiller à ce que chaque maillon soit considéré et impliqué pour l’atteinte de ces objectifs fixés.
Niger Inter : Peut-on savoir sur quoi vous travaillez pour votre prochain film ?
Aicha Macky : Actuellement je travaille sur trois projets qui sont en chantier.
Je ne sais pas encore lequel sera réalisé en premier puisque je suis à la phase d’écriture et la recherche des partenaires.
Le premier porte sur des personnes vivant avec les maladies incurables comme le diabète et le problème rénal qui a comme titre « les faux compagnons ».
Le second, porte sur la question sécuritaire à travers le phénomène du « Palais » à Zinder. Il est sans titre pour le moment. Enfin, le troisième projet qui est « La voix de l’eau », porte sur le problème d’eau à Zinder.
Interview réalisée par Elh. M. Souleymane et Souley Moutari