L’ancien chef rebelle s’exprime sur les élections au Niger, la situation dans la région d’Agadez et sur la menace djihadiste au Sahel. Entretien.
Le premier tour de l’élection présidentielle a livré son verdict. Mahamadou Issoufou est largement en tête mais devra aller au second contre Hama Amadou. Qu’en pensez-vous ?
Rhissa Ag Boula : « Pour nous du Nord, c’est fondamental que le président soit réélu, pas seulement en tête. C’est une question de paix et de stabilité dans le pays. Issoufou a jouée un rôle important dans l’espace sahélo-saharien depuis 2011. »
Qu’a-t-il apporté au Nord du Niger ?
Rhissa Ag Boula : « D’abord, il a nommé un Premier ministre touareg. Brigi Rafini est né à Iferouāne, dans cette région montagneuse qui a été le berceau de toutes les rébellions au Niger. Cela ne s’était jamais fait auparavant. Nous avons pris les armes et nous n’avons rien eu pendant des années. C’était un signal très fort pour les leaders d’opinion du Nord. Nous nous sommes donc beaucoup impliqués pour la consolidation de la paix. Avec ce qui s’est passé en Libye et au Mali, la contagion au Niger était inévitable. Heureusement, le président Issoufou a pris des décisions importantes qui ont sauve le Niger. »
Quelle est la situation économique de la région d’Agadez ?
Rhissa Ag Boula : « C’est une situation préoccupante. L’économie locale est basée sur les activités minières et sur le tourisme. Depuis 2011 et Fukushima, le cours de l’uranium a chuté. Les sociétés qui n’ont pas fermé, ont dû licencier de nombreux employés. Quant au tourisme, il a aussi chuté depuis les premières incursions djihadistes sur le territoire nigérien. Les deux mamelles économiques d’Agadez se sont donc effondrées. Heureusement, on a découvert de l’or. »
Agadez est donc devenu un nouvel eldorado ?
Rhissa Ag Boula : « Tous les jeunes licenciés des sociétés minières sont partis cherchés de l’or. Cet or a été trouvé dans le désert du Ténéré. Moi, lorsque j’étais guide touristique dans les années 1980, je n’en ai jamais trouvé. Des frères tchadiens ont découvert de l’or dans le Tibesti. Ils sont venus chez nous avec leurs appareils. C’est dans le désert du Ténéré, le plus aride où il n’y a rien dans le Djado. On trouve de l’or à fleur de sol depuis un an et demi mais pour le moment c’est encore très artisanal. »
Agadez est aussi un passage obligé pour les migrants qui souhaitent gagner l’Europe via la Libye.
Rhissa Ag Boula : « Agadez est un carrefour historique dans le Sahara. Il n’est pas étonnant que la route des migrants aujourd’hui passe par Agadez. Ce sont les Touaregs et les Toubous qui assurent le transport des migrants vers la Libye. Cela rapporte beaucoup d’argent mais si les Européens n’aiment pas cette réalité. Ils doivent créer les conditions de reprise du tourisme s’ils veulent que les jeunes d’Agadez quittent ce trafic des migrants. »
La diplomatie française a placé en zone rouge la zone d’Agadez en matière d’insécurité. Regrettez-vous ce choix ?
Rhissa Ag Boula : « C’est une humiliation. C’est une façon d’asphyxier le Niger. En Egypte et en Tunisie, des bombes sautent tous les matins mais ces deux pays ne sont pas en rouge sur le site du Quai d’Orsay. »
Pourquoi les djihadistes n’ont pas encore réussi à s’installer durablement au Niger ?
Rhissa Ag Boula : « Les Touaregs reconnaissent comme religion, la liberté. C’est fondamental. Nous avons un islam modéré qui se marie avec notre liberté. Si les djihadistes ont pu s’implanter au Mali, c’est que des Touaregs ont été complices. Nous, au Niger, nous avons refusés d’être des complices. Nous n’acceptons pas cette idéologie qui n’est pas l’Islam. Ce sont les Touaregs qui ont évité cette propagation djihadiste et non les forces françaises ou américaines au Niger. »
Que pensez-vous d’Iyad Ag Ahly ?
Rhissa Ag Boula : « C’est un exemple édifiant. C’est un leader touareg avec lequel nous avons déclenché ensemble les rébellions des années 1990 au Niger et au Mali. C’est un ami. Mais, en 2012, je lui ai dit d’arrêter son aventure djihadiste. Voiler les femmes touaregs, ce n’est pas possible. »
Propos recueillis par Nicolas Pinault
VOA Afrique