Présidentielle au Niger, à l’ombre de Barkhane

« Toute complaisance envers des élections truquées aboutirait à une situation interne dommageable »

Hama Amadou, candidat à l’élection présidentielle au Niger

Mardi 15 septembre 2015, dans un restaurant du 8° arrondisement

Une élection présidentielle est prévu en février 2016 au Niger, durant laquelle le chef de l’État sortant Mahamadou Issoufou remettra son mandat en jeu. Face à lui se dresse Hama Amadou, un homme d’État expérimenté qui a réussi à rassembler de nombreux partis d’opposition autour de son nom. Son investiture le 13 septembre 2015 à Zinder a rassemblé plusieurs milliers de personnes.

Trois fois premier ministre (1995-1996, 1999-2004, 2004-2007), ce fils de berger Peul, arrivé aux avants-postes par une carrière dans l’administration civile, revendique une filiation social-démocrate. Il se veut surtout réformiste et se fixe comme priorité le développement économique de son pays, l’un des plus pauvres du monde, impliqué dans l’opération antiterroriste Barkhane. Il a développé ses idées lors d’un entretien que j’ai eu avec lui le mardi 15 septembre au bar du Fouquet’s, à Paris.

« 70% de la population a moins de 25 ans »

« Au Niger, 52% de la population a moins de 15 ans; 70% a moins de 25 ans », souligne-t-il. « Ces jeunes veulent prendre leur destin en mains. Quand vous êtes dirigeant et que vous voyez cette marée, il faut nager dans son sens, et ne pas chercher à résister ».

« Créer les conditions d’un développement économique »

« Que faire »? interroge-t-il. « La priorité est de créer les conditions d’un développement économique. Il faut à la fois réfréner la croissance démographique, lutter contre le djihadisme qui peut compromettre jusqu’à l’existence même du pays, et hausser le niveau d’éducation ce qui permettra d’attirer les investissements étrangers ».

« Les politiques de régulation des naissances ne servent à rien »

« On dit souvent qu’une trop forte natalité augmente la pauvreté et c’est pourquoi des politiques de régulation des naissances ont été menées depuis 30 ans par la Banque mondiale. Mais ça ne sert à rien », estime Hama Amadou, qui a été également président du parlement. « C’est en sens inverse qu’il faut penser : si la pauvreté continue de monter, c’est sûr que la démographie va suivre. C’est trivial, mais là, où il n’y a pas d’électricité ni aucune distraction, à 20 heures tout le monde va se coucher et l’homme s’occupe de sa femme. En revanche, si les conditions de vie changent, il va penser à autre chose. C’est donc par une évolution économique positive que l’on créera les conditions d’inversion du taux de croissance démographique ».

« Renforcer l’attractivité du Niger »

« Ce développement doit être assuré en agissant sur plusieurs leviers », poursuit-il. « D’abord, il faut accepter que l’État ne peut pas tout faire. Il doit se concentrer sur les infrastructures, l’éducation, la formation professionnelle : c’est ce qui va renforcer l’attractivité du Niger pour les entreprises qui cherchent à se délocaliser, qui ont besoin d’espace et de main d’œuvre et qui mettent les pays du monde entier en concurrence les uns contre les autres. Dans tous les autres domaines, il faut résister à la tentation du saupoudrage et créer les conditions pour que les gens puissent se prendre en charge et investir à leur échelle ».

« Sortir de l’économie informelle »

« Au Niger, 80% de la population vit en zone rurale grâce à l’agriculture : il faut créer les conditions pour qu’elles assurent pleinement leur subsistance », développe l’ancien premier ministre. « L’eau et l’énergie sont des ressources fondamentales : il faut les maitriser. L’énergie solaire est un atout, beaucoup plus que l’éolien. Il faut améliorer les rendements des cultures, l’amendement des sols, la conservation et la commercialisation de la production, pour éviter que tout arrive sur les marchés en même temps. Les engrais doivent être produits par les paysans eux-mêmes car ils n’ont pas les moyens d’acheter les engrais importés. Il faut une réforme foncière, des banques adaptées au milieu agricole, des micro-crédits pour l’émancipation des femmes. Cela conduira à sortir de l’économie informelle ».

« Nous sommes des riches en haillons »

« Le Niger a par ailleurs des ressources naturelles largement sous-exploitées », reprend-il. « Nous sommes des gens très riches qui survivons en haillons. Il faut que les sociétés qui viennent exploiter nos richesses le fassent dans un esprit de partage en nous considérant comme des partenaires économiques. Je ne veux pas me donner des maux de tête en reconsidérant les accords récemment signés avec Areva. Je préfère changer l’approche. J’avais fait modifier le code minier en 2006 dans un sens qui pose le principe du partage de la production. Au lieu de nous déchirer sur les prix, il est plus judicieux d’élargir l’assiette économique et d’appliquer les mêmes règles quel que soit le partenaire. Les Chinois ont déjà des sites de production, les Russes ont des permis, les Coréens et les Émiratis se montrent intéressés… Ce qui manque jusqu’ici, c’est de créer les mêmes conditions pour tous les partenaires ».

« Aujourd’hui, on n’attrape que 5% des corrompus »

« Les investisseurs étrangers ont aussi besoin d’un bon climat des affaires, donc d’une administration et d’une justice efficaces », souligne Hama Amadou. « Aujourd’hui, on n’attrape que 5% des corrompus! Cela n’a rien de dissuasif. La corruption est notamment générée par un trop grand nombre de textes qui donnent beaucoup de pouvoir à l’administration. Il faut en extirper toutes les autorisations et tous les verrous inutiles qui permettent à trop de fonctionnaires de se financer. Ne pas infliger un parcours du combattant à l’entreprise qui veut s’installer et qui va créer des emplois. Les jeunes ont besoin de travailler. C’est la priorité ».

« Les institutions sont fortes quand elles s’imposent à tous »

« La sécurité juridique doit être apportée par des juges spécialisés dans le droit des affaires », précise-t-il. « Sans une justice au service de l’équité, on ne peut pas avoir une économie qui fonctionne correctement. Il faut une refondation des institutions au service des citoyens. Les institutions sont fortes quand elles s’imposent à tous, et non pas quand elles sont au service d’un homme fort. Sans doute faudra-t-il enclencher une certaine décentralisation. Notre législation est en grande partie héritée de la colonisation, et elle reflète un projet et un esprit centralisateurs ».

« Donner un contenu réel à l’idée de codéveloppement »

« Les Européens, et notamment la France, peuvent nous aider en donnant un contenu réel à l’idée de codéveloppement », glisse l’ancien premier ministre. « Ils y ont intérêt. Qu’est-ce qui met en mouvement tant de migrants vers l’Europe? C’est la pauvreté et l’absence de perspectives dans nos pays. On leur dit : l’Eldorado est en Europe et ils y partent, malgré les risques ».

« En réduisant la pauvreté au sud, l’Europe vivra mieux »

« L’Europe connait, elle, une hausse du chômage, de la pauvreté, de la précarité », note-t-il. « Notamment parce qu’elle n’a pas assez de marchés sur lesquels écouler ses produits. Les Européens vendent entre eux : ça ne suffit pas. Il faut que d’autres parties du monde leur achète des produits, notamment l’Afrique. Mais pour cela, il faut que nous disposions de revenus. En réduisant la pauvreté au sud, on permettra au nord de vivre mieux. Il faudrait revenir à plus d’humanisme pour redonner à l’économie sa finalité : que chacun vive mieux ».

« A la racine du djihadisme, il y a la pauvreté »

« Si on n’y arrive pas, alors l’immigration augmentera, ainsi que le djihadisme », prévient Hama Amadou. « A la racine de ces problèmes, il y a la pauvreté. Le djihadisme représente une menace très sérieuse. Regardez le Mali, il a failli disparaitre en tant qu’État. Le Niger n’est pas à l’abri et ce danger guette tous les pays d’Afrique de l’Ouest. Ce sont des mouvements venus d’ailleurs et qui essaient de s’enraciner parmi les populations locales. Quand on gagne 100.000 CFA par an et qu’on vous propose 300.000 CFA par mois pour faire des opérations, que votre niveau d’éducation est à ras de terre, il est difficile de résister. C’est ce que fait Boko Haram ».

« Un tiraillement entre la Tidjnaniya et le salafisme »

« Il y a actuellement un tiraillement à l’intérieur de l’Islam d’Afrique de l’Ouest entre la Tidjnaniya et le salafisme », indique-t-il. « L’erreur des gouvernements antérieurs a été d’envoyer massivement des jeunes étudier la théologie en Égypte, en Arabie saoudite, dans les émirats du golfe persique. Quand ils revenaient, ils construisaient des mosquées et des médersas salafistes. On s’est rendu compte trop tard de la déstabilisation en cours, le mal était fait. Aujourd’hui, ils sont là. Sous couvert d’aide humanitaire, notamment dans des orphelinats, ils forment des jeunes, ils contribuent à renforcer le radicalisme alors que nos traditions n’avaient rien à voir avec les femmes en burqa. La Tidjaniya résiste mais les autres ont beaucoup plus de moyens et d’argent ».

« Il faut à la France un partenaire modeste et responsable »

« Le Niger joue son rôle dans l’opération Barkhane de sécurisation de la bande sahélienne », se félicite l’ancien premier ministre. « Cette participation est une nécessité vitale pour la sécurité du pays, qui ne pourrait pas se défendre seul contre des groupes si puissamment armés. Il faut en même temps rester réaliste sur nos capacités. Faire la guerre suppose des ressources financières importantes, des armements, des capacités logistiques… Or Mohammadou Issoufou s’engage beaucoup sans en avoir forcément les moyens. Cela risque de fragiliser le pays. Le premier devoir du Niger vis-à-vis de Barkhane, c’est d’assurer sa propre stabilité. On est condamné à être dans la coalition mais il faut correctement évaluer ce que l’on peut faire seul et ce que l’on doit faire ensemble. Il faut à la France un partenaire modeste et responsable ».

> Lire « La lutte contre le terrorisme, c’est notre quotidien », interview du général Jean-Pierre Palasset, publiée sur le site de La Croix le 18 février 2015.

« Issoufou joue les bons élèves »

« Le fait qu’Issoufou joue les bons élèves, très obéissant et réactif, peut-il entrainer de la bienveillance de la France à son égard, au moment des élections? », interroge Hama Amadou. « Toute complaisance envers des élections truquées aboutirait à une situation interne dommageable. Car il s’est mis la population à dos du fait de sa gouvernance économique et politique. C’est ce que l’on a vu lors des attaques des églises et des bars après les attentats de Paris en janvier. Il a déclenché l’étincelle en affirmant à Paris qu’il était Charlie et que tout le Niger était Charlie. Mais l’exaspération était déjà là ».

« L’attente d’un peuple ne peut pas être mise de côté »

« Aujourd’hui, l’attente d’un peuple ne peut pas être mise de côté », conclut-il. « La relation entre les États et les peuples doit dépasser le cas des personnes. Aider Issoufou à se maintenir serait une erreur pour la France ».

JEAN-CHRISTOPHE PLOQUIN LE 27 SEPTEMBRE 2015

La croix.com