Marchés publics : comprendre la surfacturation dans les marchés passés par entente directe

La surfacturation, c’est-à-dire, le fait de « gonfler » artificiellement le prix d’une prestation est un phénomène particulièrement difficile à cerner dans les marchés publics et son appréhension nécessite beaucoup de lucidité.

Dans les marchés passés par appel d’offre ouvert, c’est la loi du marché qui est de rigueur et en l’absence de tout référentiel des prix actualisé, l’on ne peut formellement parler de marge bénéficiaire licite ou illicite. L’autorité peut, certes, demander au soumissionnaire des éclaircissements sur les éléments de son offre financière mais pas dans le sens de faire diminuer le prix ; l’offre étant intangible.  Aussi, le risque de surfacturation est-il moindre en raison de l’étendue de la concurrence qui place l’autorité contractante dans les dispositions de comparer et de choisir la meilleure offre financière.

Tel n’est pas le cas des marchés passés par entente directe dans lesquels, il est permis à l’autorité contractante d’engager directement des discussions avec un ou plusieurs candidats et d’attribuer les marchés au candidat qu’elle a retenue. Tout se passe sans mise en concurrence réelle, sans publicité et sans aucune formalité, vraiment gênante.

C’est pour minimiser le risque d’abus, de collusion et éventuellement de surfacturation qu’il est prévu, dans les marchés passés selon cette procédure, l’inscription obligatoire de clauses relatives au contrôle spécifique des prix de revient ou la transmission obligatoire des informations financières et comptables.

Au Niger, une telle précaution est mentionnée à l’article 12 du décret n°2013-570/PRN/PM du 20 décembre 2013 portant modalités particulières de passation des marchés de travaux, d’équipements, de fournitures et de services concernant les besoins de défense et de sécurité nationales. Cet article dispose, en effet,  que « les marchés publics objet du présent décret ne peuvent être passés qu’avec des entrepreneurs, fournisseurs ou prestataires de services qui acceptent de se soumettre à un contrôle des prix spécifiques durant l’exécution des prestations. Le marché précise les obligations auxquelles le titulaire du marché sera soumis et notamment l’obligation de présenter tous documents de nature à permettre de vérifier la sincérité des prix ».

La mise en œuvre effective de cette disposition pourrait permettre de combattre ou de minimiser l’ampleur des surfacturations dans ces marchés dont les négociations portent sur la qualité de la prestation, le prix et le délai de livraison (art.32 du décret).

En cas de surfacturations constatées après exécution de ces marchés, il est indispensable d’investiguer dans deux directions :

  • Du côté des personnes publiques

La présentation, par le titulaire du marché, de tous documents de nature à permettre la vérification de la sincérité des prix fait partie des mentions obligatoires d’un contrat (article 34 du décret). Mieux, si le soumissionnaire a été choisi, c’est parce qu’il a formellement accepté de se soumettre à ce contrôle spécifique de prix durant l’exécution du marché.

Ainsi, en cas de soupçon de surfacturation, on doit chercher à savoir si, d’une part, la personne responsable des marchés s’est assurée, preuve à l’appui, de l’acceptation du candidat de se soumettre à ce contrôle de prix et, d’autre part, si une telle clause (obligatoire) a été effectivement insérée au contrat.

Dans l’affirmative, l’on doit chercher à savoir si cette personne responsable des marchés s’était réellement donnée le moyen de vérifier la sincérité des prix communiqués par le co-contractant. Quels sont documents vérifiés ? Est- ce que les documents ainsi présentés et indiquant les prix sont authentiques ? Est-ce que le prix figurant sur ce document est sincère ?  Pour cela, l’autorité s’emploie à vérifier l’authenticité du reçu délivré à l’achat, les différents frais, l’ampleur de la marge bénéficiaire. La complexité de l’exercice doit pousser l’autorité à se faire assister par des hommes de l’art.

Dans l’hypothèse où l’autorité s’abstient de procéder au contrôle nécessaire tel qu’il est requis par le décret et qu’elle accepte de payer ou de faire payer le prix manifestement « exagéré », elle s’expose à des poursuites devant la Cour des comptes pour faute de gestion.  Il s’agit, en effet, d’un cas de négligence ou de carence prévu à l’article 75 de la loi organique sur la Cour des comptes.

Dans le cas où le document effectivement soumis à la vérification de l’autorité est un faux et que celle-ci a eu connaissance de son caractère frauduleux, elle s’expose à des poursuites pour complicité (art.48 et 49 du Code pénal) de faux (art. 152 et suivants du code pénal) et usage de faux (art. 156 du code pénal) rendant possible l’escroquerie sur les deniers publics.

  • Du côté du soumissionnaire ou titulaire des marchés

Choisi intuitu personae pour engager une négociation par entente directe, le candidat doit, au préalable et formellement, accepter de se soumettre à un contrôle des prix spécifiques durant l’exécution des prestations. Le contrat doit formaliser cet engagement en précisant les documents de nature à permettre à l’autorité de vérifier la sincérité des prix.

En général, les documents produits pour justifier cette sincérité des prix sont le reçu délivré à l’achat des fournitures ou des éléments nécessaires à l’exécution des travaux et les documents indiquant les différents frais supportés ; la marge bénéficiaire faisant généralement l’objet de négociation.

Lorsqu’une surfacturation est constatée,  deux cas de figure se présentent :

Si après contrôle, l’on se rend compte que ces documents présentés par l’opérateur économique pour le besoin de vérification n’ont subi aucune altération frauduleuse et que le prix indiqué sur la facture a été délibérément accepté par la personne responsable des marchés,  sans collusion, sans corruption, sans trafic d’influence et ce, malgré son  caractère « exagéré », aucune poursuite pénale ne peut être envisagée à l’encontre du bénéficiaire d’un tel paiement.

En revanche, si l’on constate que les documents présentés par l’opérateur économique et ayant servi à la vérification de la sincérité des prix sont faux, celui-ci s’expose à des poursuites pour faux et usage de faux. Il s’agit de la situation dans laquelle un faux est fourni en vue  d’obtenir ou de tenter d’obtenir, frauduleusement, des sommes d’argent ou des avantages matériels indus. C’est en cela que l’usage de faux pourrait constituer un support du délit d’escroquerie (art. 333 du code pénal). Celui-ci renvoie à  toute tromperie conduisant l’Etat ou une collectivité publique à se dépouiller de fonds ou de biens matériels. De ce point de vue, la  poursuite suppose l’existence d’un acte matériel de tromperie à savoir un faux document. L’élément intentionnel s’appuie sur la conscience de tromper en vue d’obtenir le paiement d’une certaine somme d’argent.

  Adamou ISSOUFOU