MOHAMED IBN CHAMBAS : « Nous sommes contents que le candidat Hama Amadou puisse se présenter même s’il est en prison dans le cadre d’une affaire légale liée à une accusation criminelle »

Alors que des élections sont prévues cette année dans plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest, le Représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies pour cette région, Mohamed Ibn Chambas, rappelle que les Nations Unies soutiennent partout des scrutins inclusifs.

M. Chambas a été nommé à son poste par le Secrétaire général le 12 septembre 2014. Ressortissant du Ghana, il connaît bien la région. Il a servi comme Président de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) de 2007 à 2010.

Avant de prendre la tête de l’UNOWA, il a été le Représentant spécial conjoint de l’Union africaine et des Nations Unies au Darfour. Au Ghana, il a été membre du Parlement, vice-ministre de l’éducation chargé de l’enseignement supérieur et ministre adjoint des affaires étrangères.

Lors d’une récente visite à New York, M. Chambas a rencontré la Radio des Nations Unies et leCentre d’actualités de l’ONU et a discuté des élections à venir dans plusieurs pays de l’Afrique de l’Ouest, notamment des élections passées au Burkina Faso et à venir au Niger, de la lutte contre Boko Haram, des migrations et de la lutte contre la piraterie dans le golfe de Guinée.

Centre d’actualités de l’ONU : Vous vous êtes rendu récemment au Niger. Comment voyez-vous le déroulement des élections du 21 février, sachant que l’une des figures de l’opposition, candidat à l’élection, est toujours en prison ?

Mohamed Ibn Chambas : Nous avons une situation au Niger où tout d’abord nous sommes contents que la CENI (Commission électorale nationale indépendante) ait pu trouver un consensus autour des fichiers électoraux. C’était vraiment un grand défi, mais je crois que la CENI a montré son indépendance en demandant à l’Organisation internationale de la Francophonie d’envoyer des experts qui ont d’ailleurs fait un très bon travail et ont réussi à créer un consensus sur les fichiers. C’est une grande étape pour des élections crédibles. Il y a également le problème du candidat Hama Amadou. Je suis content que la Cour constitutionnelle ait autorisé la candidature d’Hama Amadou, car il y avait une inquiétude qu’il puisse être disqualifié. Aux Nations Unies, nous sommes toujours pour des élections inclusives. Nous sommes contents que le candidat Hama Amadou puisse se présenter. Mais il est toujours en prison à cause d’accusations liées à des allégations de trafic de bébés. C’est délicat car c’est une chose qui concerne la criminalité. C’est difficile pour les Nations Unies de s’ingérer dans une affaire légale liée à une accusation criminelle.

Centre d’actualités de l’ONU : En théorie, M. Amadou peut se présenter aux élections ?

Mohamed Ibn Chambas : Tout à fait. La Cour a décidé qu’il pouvait se présenter et il est un candidat pour les présidentielles. Nous souhaitons que le parti de Hama Amadou puisse faire la campagne dans la liberté et puisse circuler partout dans le pays et mobiliser les gens pour lui. En ce qui nous concerne, les Nations Unies, nous voulons juste insister pour que l’échéance se déroule sans violence, soit crédible et transparente. J’espère que le vote sera pacifique. Le Niger a une tradition de scrutins crédibles non-violents et il dispose d’institutions de gestion des élections très fortes.

Centre d’actualités de l’ONU : S’agissant des élections dans d’autres pays de la région, votre bureau a joué un rôle au Burkina Faso, est-ce que vous pourriez nous expliquer quel a été le rôle de l’UNOWA et votre rôle pour éviter que le pays ne sombre dans le chaos à la chute de Blaise Compaoré en octobre 2014 ?

Mohamed Ibn Chambas : Cela a été une préoccupation pour moi et pour les Nations Unies. Dès le début on a senti qu’il fallait une réponse rapide, pro-active, aller travailler avec les Burkinabés, pour éviter le chaos. C’était une situation d’insurrection. Dans une situation comme cela, on ne peut pas tout gérer précisément. Mais ce qui est important c’est de faire des efforts pour canaliser les frustrations, les espoirs des forces vives. C’est cela qu’on a tenté de faire au Burkina Faso.

Centre d’actualités de l’ONU : Est-ce que le fait d’être l’ancien chef de la CEDEAO vous a aidé, puisque vous connaissez très bien la sous-région ? Vous êtes vous-mêmes de la sous-région.

Mohamed Ibn Chambas : C’est clair, comme je suis de la région, je connais bien les chefs d’Etat, les principaux acteurs politiques de la région, même au Burkina. Cela a beaucoup aidé pour créer la confiance avec toutes les parties prenantes. Et j’ai pu travailler très étroitement avec la CEDEAO, l’Union européenne, la France, les Etats-Unis, qui étaient aussi vraiment actifs sur le terrain pour aider à éviter le chaos au Burkina Faso. Il s’agissait d’une insurrection et dans ce genre de situations, les conséquences peuvent être imprévisibles. Il faut donc des contre-mesures dès le début pour canaliser la colère, la frustration dans une direction positive et constructive. Voici ce que nous avons cherché à faire et je suis heureux que nous ayons réussi à le faire, à canaliser très rapidement la colère dans un régime transitoire où les jeunes et les femmes, la société civile, qui se rebellaient, ont vu que leurs aspirations et griefs pouvaient trouver une réponse dans ces nouvelles institutions où ils avaient un rôle à jouer pour construire le nouveau Burkina Faso qu’ils voulaient. Au final, nous avons constaté que cette transition a été confrontée à des défis mais a réussi à créer un nouvel ordre politique au Burkina Faso répondant à certains des besoins immédiats de la population, comme la garantie qu’il y aurait une durée limite pour le mandat présidentiel inscrite dans la nouvelle Constitution afin que cela ne puisse pas être manipulé par de futurs présidents. Les principaux griefs ont été entendus et un espace plus démocratique a été créé dans lequel le discours politique n’est pas monopolisé. Nous sommes fiers du rôle joué par l’ONU avec d’autres partenaires.

Centre d’actualités de l’ONU : Boko Haram continue d’être une menace dans les pays du bassin du lac Tchad. Quels moyens avez-vous pour lutter contre le fléau qu’il représente ?

Mohamed Ibn Chambas : Boko Haram aujourd’hui est une menace pour la communauté internationale, parce que c’est un groupe terroriste lié à Daech. Il faut être clair, c’est un mouvement terroriste qui pose un problème non seulement pour le Nigéria, le Cameroun, le Tchad, le Niger, mais pour bien sûr l’Afrique de l’Ouest, l’Afrique centrale et le monde entier. C’est pourquoi il est urgent de travailler avec les pays du bassin du lac Tchad pour une opérationnalisation rapide de la Force mixte contre Boko Haram. En tant que Nations Unies, nous avons très bien travaillé avec l’Union africaine, avec le secrétariat des pays du bassin du lac Tchad pour leur donner la capacité de mise en œuvre de cette force mixte. Boko Haram reste l’une des principales menaces à la sécurité en Afrique de l’Ouest et plus particulièrement dans les pays du bassin du lac Tchad. Il s’agit d’un groupe terroriste ayant des liens terroristes internationaux. Voilà pourquoi nous sommes heureux de voir les pays du bassin du lac Tchad travailler en étroite collaboration avec l’Union africaine et avec le soutien de la communauté internationale, notamment les Nations Unies, pour mettre en place la Force multinationale mixte. C’est un concept qui permettra d’améliorer la coordination des opérations conjointes des quatre pays concernés afin de démanteler et d’éliminer véritablement Boko Haram des zones où il opère.

Centre d’actualités de l’ONU : Cette force mixte, on en parle beaucoup mais elle n’existe toujours pas. Pourquoi ce retard ?

Mohamed Ibn Chambas : Elle existe et elle a commencé même à lutter contre Boko Haram, mais on peut mieux faire. Je pense que c’est nécessaire maintenant de redynamiser les consultations entre les pays concernés. A mon avis, il est nécessaire d’avoir des réunions au niveau technique, au niveau ministériel, même au sommet pour redéfinir la stratégie dans la lutte contre Boko Haram. Avec mon collègue de l’Afrique centrale, Abdoulaye Bathily (Représentant spécial du Secrétaire général pour l’Afrique centrale), nous allons effectuer des visites conjointes dans les pays affectés pour discuter un rétablissement des consultations au niveau technique, au niveau ministériel et un sommet sur Boko Haram. Nous voulons voir une interaction plus active entre, notamment, les pays du bassin du lac Tchad. Nous allons délivrer ce message et les encourager à relancer ces réunions, faire en sorte que les ministres de la défense et des affaires étrangères se rencontrent, qu’il y ait un sommet des pays du bassin du lac Tchad, et pourquoi pas laisser le Nigéria prendre l’initiative d’une telle réunion, si cela apporte plus de dynamisme dans cette lutte contre Boko Haram.

L’atmosphère politique est beaucoup plus propice maintenant pour une telle collaboration, parce que comme vous le savez le Président nigérian nouvellement élu bénéficie non seulement de la forte confiance de son peuple, mais aussi de l’énorme bonne volonté énorme des voisins. Parce que l’une des premières choses qu’il a faite a été de visiter tous les voisins, le Niger, le Tchad, le Cameroun. Une suite logique de cela serait, à mon avis, de convoquer cette réunion des ministres de la défense et des ministres des affaires étrangères, et puis le sommet des chefs d’Etat pour adopter une stratégie commune pour intensifier la lutte contre Boko Haram.

Centre d’actualités de l’ONU : Est-ce l’un des objectifs de cette année ?

Mohamed Ibn Chambas : Sans aucun doute. Nous devons faire en sorte que cela se fasse dans les mois à venir.

Centre d’actualités de l’ONU : S’agissant du trafic de migrants, que fait l’UNOWA et que font les pays d’Afrique de l’Ouest pour éviter que la jeunesse continue de partir vers l’Europe ou les Etats-Unis au lieu de rester sur place ?

Mohamed Ibn Chambas : Moi, je suis content qu’il y ait eu le sommet de La Valette sur les migrations. Cela a donné une opportunité de continuer le dialogue entre l’Europe et l’Afrique sur cette question des migrations. Les migrations sont un problème avec plusieurs causes mais je pense qu’il faut comprendre aussi qu’il y a un aspect structurel à ce problème et c’est lié aux économies des pays africains qui sont toujours fondées sur l’exportation de produits bruts. A la suite d’initiatives pour le développement, on a vu une grande expansion de l’éducation pour la jeunesse. Aujourd’hui les jeunes, y compris les jeunes femmes, sont scolarisés mais sans emploi. Le problème structurel est de voir comment nous pouvons transformer l’économie des pays d’origine pour qu’on commence à transformer les produits bruts, créer une industrie et des emplois pour la jeunesse.

La question des migrations est vraiment en ce moment au centre des préoccupations politiques et de sécurité de l’Afrique de l’Ouest. Mais elle est aussi au cœur du partenariat et des relations entre l’Afrique et l’Europe. Et à cet égard, le sommet de La Valette était le bienvenu, l’occasion de discuter des causes profondes de la nature du problème et comment le traiter. Il n’y aura pas de réponse simple à la question des migrations. Il existe de nombreux facteurs d’incitation qui doivent être traités sur le côté africain. Il existe de nombreux facteurs d’attraction en Europe qui suscite la migration. Il y a un aspect criminel, la migration organisée, qui doit être traitée frontalement par les deux parties s’efforçant d’éliminer cette traite pernicieuse des personnes.

Centre d’actualités de l’ONU : Une des raisons poussant les jeunes à émigrer c’est le chômage. Quels sont vos conseils aux pays de la région pour faire en sorte qu’il y ait des emplois pour la jeunesse alors que la population augmente ?

Mohamed Ibn Chambas : Tant que les pays africains continueront d’exporter leurs emplois à travers les exportations de leurs matières premières, il y aura une pénurie en termes de création d’emplois pour les importantes populations hautement qualifiées qui ont maintenant accès à l’éducation et aux compétences. Il faut donc une transformation du côté africain des structures économiques afin d’ajouter plus de valeur aux produits; un processus d’enrichissement qui crée davantage d’emplois et des emplois mieux rémunérés. Du côté européen, il faut comprendre que peut-être certains des emplois peu qualifiés en Europe doivent être exportés pour maintenir les emplois en Afrique afin que ceux qui autrement émigreraient restent chez eux. Il doit y avoir une restructuration fondamentale dans la relation. Mais tant que les aspects structurels du problème ne sont pas abordés, nous aurons beaucoup de réunions, de nombreuses conférences, mais le problème persistera.pirates le 24 juillet 2011 au Bénin. Photo: IRIN/Daniel Hayduk (archives)

Centre d’actualités de l’ONU : Il y a aussi la lutte contre la piraterie dans le golfe de Guinée. Où en est cette lutte et pourriez-vous nous en dire plus sur ce sommet prévu au Togo dans quelques mois sur ce sujet ?

Mohamed Ibn Chambas : Je pense que le sommet au Togo sur la piraterie et sur la sécurité maritime en Afrique est une bonne initiative et j’espère qu’on va avoir plusieurs chefs d’Etat africains, mais aussi des partenaires qui participent à cette discussion qui est importante car la piraterie aujourd’hui pose un vrai problème pour les pays du golfe de Guinée et il est temps d’avoir une réponse forte des pays de l’Afrique de l’Ouest mais aussi une réponse soutenue par les partenaires de développement.

L’effort régional est là. Les pays ouest-africains se sont rencontrés. Ils ont identifié la piraterie comme une menace pour leur sécurité, mais aussi pour leur développement économique. La liberté du commerce en Afrique de l’Ouest est déjà très élevée et la piraterie entraîne une augmentation des contrats d’assurance, crée davantage de coûts financiers et ralentit le développement économique. L’ONU est donc heureuse que les pays aient identifiés cela et qu’ils agissent collectivement. L’Union africaine a décidé d’organiser un sommet sur la sécurité maritime à Lomé, au Togo, en avril ou mai de cette année. L’Afrique doit affronter de manière collective et décisive la piraterie, que ce soit au large de la Somalie, dans le golfe d’Aden, que ce soit sur la côte est ou sur la côte ouest de l’Afrique, dans le golfe de Guinée.

Centre d’actualités de l’ONU : Quelle est votre réaction à l’information que l’Afrique de l’Ouest en a fini avec l’épidémie d’Ebola?

Mohamed Ibn Chambas : Tout d’abord, nous sommes très heureux que l’Afrique de l’Ouest ait été déclarée exempte d’Ebola. Nous saluons les efforts des acteurs nationaux qui ont pris des décisions très difficiles, des décisions qui parfois allaient à l’encontre de certaines pratiques traditionnelles et coutumières anciennes. Ils ont été audacieux et courageux. Nous saluons aussi la forte réaction de la communauté internationale menée par l’ONU. C’est un combat dont l’ONU a pris la tête. Elle a travaillé avec d’autres partenaires qui ont répondu très massivement pour permettre le déploiement d’une mission spéciale et la création d’autres plates-formes qui ont permis non seulement d’arrêter la propagation du virus Ebola mais aussi de l’éliminer de la région. Nous devons rester vigilants. Les pays qui ont été touchés sont des pays très fragiles. Ils allaient bien sur le plan économique, sortant d’une situation post-conflit. Cela les a ramenés au moins dix ans en arrière, sinon plus, dans certains cas. Ils ont besoin de l’appui continu de la communauté internationale pour renforcer leur système de santé, mais aussi pour résoudre les problèmes de développement afin qu’ils puissent rattraper le terrain perdu en matière de développement économique.

Centre d’actualités de l’ONU