Vingt-quatre heures à  la prison civile de Niamey

Niamey, mercredi 23 août 2017. Un jour ordinaire. La ville se réveille sous une fine  pluie, qui avait commencé avant le premier chant du coq. Petit à petit, la fine et douce pluie, fait place à une  averse interminable, qui s’abattait sur les têtes des piétons et les toits des maisons, fouettait violemment les cyclomotoristes et les vitres des véhicules, les contraignant à rouler à pas de caméléon, charriait des vagues entières qui envahirent les concessions, les rues , ruelles et chaussées, pour vomir le trop plein dans des égouts déjà trop pleins. Le tonnerre gronde et des éclairs, étincelants comme des épées arabes jaillissaient du ciel, fendaient le néant pour s’éclipser à la vitesse de la lumière. La nature était comme déchaînée. Profitant d’une petite accalmie, je quitte ce hangar de fortune où j’avais trouvé refuge, démarre, slalome et m’engage, direction la maison d’arrêt de Niamey, communément appelée prison civile de civile de Niamey.

Située en plein cœur de Niamey, au quartier  « Maisons économiques », la maison d’arrêt de Niamey se distingue à vue d’œil de toutes les autres maisons du quartier. Une grande bâtisse construite en pierre et qui nous renvoie dans le Niger des années 50. L’époque coloniale, les travaux forcés. Normal, elle a été construite en 1947, c’est à dire avant même l’avènement du Niger en tant que République. Allez-savoir comment et par qui ? Bref…Retenons seulement que ses premiers locataires se recrutaient parmi les hors la loi, entendez : les insoumis qui refusaient obstinément d’obéir aux dires et volontés édictés par le Gouverneur blanc, ceux qui refusaient ou ne pouvaient s’acquitter de leur impôt, les déserteurs et les fainéants qui fuyaient les travaux forcés… Le pauvre diable qui se faisait capturer était ligoté, fouetté publiquement et jeté derrière les murs de cette bâtisse. Mais nous sommes loin de cette époque.

Aujourd’hui, la maison d’arrêt de Niamey a un tout autre visage. Aux alentours, des concessions, des commerces  et des gargotes, à la devanture, des éléments de la garde nationale qui veillent jour et nuit, et qui, à longueur de journée, passent au peigne fin les centaines de visiteurs, hommes, femmes et enfants. Une fouille minutieuse qui s’est accentuée depuis l’évasion spectaculaire, dans un passé récent, d’un célèbre locataire des lieux, un certain Chébani connu pour être un terroriste et un trafiquant notoire. Tout le monde passe à la loupe, y compris les humanitaires, comme les membres du comité international de la croix rouge (CICR), ou des organisations de défense des droits l’homme. Les visiteurs qui réussissent cette première étape arrivent au poste de garde munis simplement de leurs pièces d’identité et permis de communiquer. Là, ils déclinent les nom et prénom du détenu à visiter. Ils sont ensuite conduits sous un hangar où les retrouvent les détenus appelés à haute et intelligible voix par des gardes, appuyés par des membres de l’équipe de Sarkin Kasso, alias Sarki, autrement le patron, le chef des tous les prisonniers. Les causeries durent juste quelques minutes. Elles commencent et finissent par des coups de sifflet pour chaque vague de visite.

En compagnie du surveillant chef de l’établissement, le MDL/C Moussa Dandakoye et de Sarki, de son vrai nom Ali Moussa, eux-mêmes flanqués pour la circonstance de deux  adjoints de Sarki, je franchis pour la première fois les portes de la maison d’arrêt de Niamey. Une lourde porte métallique qui donne accès à un vestibule –c’est là que les locataires sont soumis à leur tour à une fouille minutieuse avant d’aller au parloir-, puis un long couloir qui débouche sur le cœur de l’établissement. Un vrai monde dans un monde. Là où je m’attendais à être accueilli par des « marginaux », des « loups en cages », des  enragés  prêts à faire sa peau à tout aventurier, j’ai trouvé des  gens « normaux », et la plupart étaient restés indifférents à cette visite « impromptue ». Ce qui m’a davantage rassuré, c’est la familiarité, pour ne pas dire cette compliciité entre mes «  gardes » et les détenus, qui allaient jusqu’à échanger des tapes amicales avec certains détenus. Malgré cette atmosphère détendue je restais sur mes gardes, sans doute à cause de cette réserve, cette méfiance, cette nonchalance, cette indolence, qui ont toujours caractérisé mon commerce avec mes semblables. Aussi, je m’avançais à la manière de la danse du crabe : à chaque pas, je me retournais pour m’assurer qu’un « drogué », un « forcené », un « déréglé », un « fou furieux », un « révolté » ou un « désespéré » ne fonçait pas sur nous. Les on-dit, la rumeur, ne prétend-elle pas que cet établissement est un essaim d’individus de ce genre ? Ah, la rumeur, quand tu nous tiens. La rumeur, cette folle du logis, pour parler comme un philosophe. Petit à petit, le doute, l’incertitude et la méfiance se dissipent, laissant la place à l’optimisme. Je n’évitais plus les regards des détenus, je les fixais droit dans les yeux, y compris ceux dont le regard était celui de l’oiseau de proie : insoutenable. « Lui, on l’appelle I.M. Il est ici depuis plus de cinq ans. Viol en réunion, coups et blessures et homicide. Il n’a jamais reconnu les faits. Il n’ouvre la bouche que pour bailler, manger et boire », me confie Sarki. Nous marchions dans des petits couloirs serpentés entre les différents quartiers de l’établissement, des couloirs qui grouillent de monde, on se marchait dessus, plus qu’on ne marchait vraiment.

                                                                      L’Apartheid

L’établissement est très bien compartimenté, avec différents quartiers. Chaque quartier à un chef de cour ; chaque cour compte 2 à trois cellules ou plus et chaque cellule à un chef de chambre. Chaque quartier à un nom attribué en fonction de ses locataires : Pretoria 1 ; Pretoria 2 …De tous ces quartiers, il y a deux, que tout oppose à vue d’oeil, à savoir celui communément appelé PJ, qui abrite les gangs les plus redoutables, qui sont là pour avoir commis les crimes les plus abominables, les plus inimaginables, les plus cruels ; et celui des fonctionnaires. Ces derniers sont de vrais privilégiés, un îlot de paradis dans un océan « d’enfer ». Leurs chambres sont d’un  confort à faire tomber à la renverse, pour une maison d’arrêt. Pendant que l’écrasante majorité des détenus partagent des matelas ou des nattes de fortune, pendant que d’autres dorment à même le sol, les « fonctionnaires » dorment sur des matelas bien mousseux, se rafraichissent et rafraichissent leurs chambres avec des humidificateurs et ventis rechargeables et des désodorisants, se distraient en regardant la télé sur écran plat. Ils font leurs toilettes dans des douches bien carrelées et très bien entretenues, se font faire leurs chambres et laver leurs linges et vaisselles par des détenus moins nantis, moyennant rétribution.

Pour les repas, c’est pareil. Ah les repas, c’est là où on distingue les vrais détenus des autres. Certains, pour ne pas dire les mêmes privilégiés n’ont jamais, de leur arrivée à leur départ, mangé ou bu, ni même regardé le menu ou l’eau de l’établissement, malgré la multitude des robinets qui coulent à flot : ils boivent de l’eau minérale et des jus divers. Le petit déjeuner, le déjeuner et le dîner leur viennent du dehors. Des parents, amis et connaissances. Ils se donnent même le luxe de s’offrir le goûter. C’est encore eux qui reçoivent le plus grand nombre de visites. Après eux, viennent ceux au revenu moyen qui, eux aussi « mangent du dehors », mais un menu moins « snob ». Viennent encore, ceux qui ont un peu d’argent en poche et qui, faute de pouvoir  faire amener régulièrement à manger et à boire depuis leurs domiciles,  se les font acheter auprès des gargotières ou du boucher au dehors. Sinon, ils peuvent toujours commander leur petit déjeuner, déjeuner et dîner sur place. Oui, vous avez bien lu ; sur place, car comme dans toute ville ou village qui se respecte, la maison d’arrêt de Niamey a aussi ses commerçants et leurs « boutiques », où on peut acheter du riz, des pates alimentaires, du couscous, des boîtes de conserve, de la pomme de terre, des fruits et légumes, du sucre, du café et du thé… Il y a également des « restaurateurs », communément appelés « Chaiman », où on peut commander son café au lait, son plat d’omelettes, son « Niébé »…Viennent à la fin, ceux là qui n’ont personne pour leur amener à manger du dehors, qui sont sans argent et qui, par conséquent sont obligés de se contenter du menu local. Ceux là qui sont souvent obligés de travailler pour les autres détenus pour avoir un peu d’argent en poche, et s’offrir un bon plat de temps en temps, lorsqu’ils ne mangent pas les restes des mieux lotis, pour s’offrir un bon café chaud ou une « clope ».

Quelques améliorations

Pendant que nous poursuivions notre visite, et juste au moment où j’étais en train d’admirer quelque chose qui ressemble de loin à une bibliothèque, voilà que la Nigelec, encore elle, trouve le moyen de couper le courant. Pas pour longtemps par bonheur, car quelques secondes à peine, j’entendis le vrombissement d’un moteur, suivi de la lumière qui rejaillit. Face à mon étonnement, le surveillant chef, avec une sérénité et un calme olympien me dit : « Oui, c’est bien le bruit d’un groupe électrogène. Il est très performant,  et c’est le PAJED (programme d’appui à la justice et à l’état de droit qui l’a mis à la disposition de la maison d’arrêt de Niamey. Comme vous l’avez constaté, il y a une surpopulation carcérale, il y a des détenus qui sont dans des cellules où il fait très chaud (PJ), et beaucoup de détenus ont eu des malaises et succombé à cause de la chaleur. Depuis que nous avons acquis ce groupe, ce problème est résolu », m’a-t-il confié. « C’est bien une bibliothèque que je vois là ? », ais-je demandé. « Oui, c’est bien une bibliothèque, entrons, tu vas voir de près », a-t-il répondu. A l’intérieur, c’est en effet une vraie bibliothèque, gérée par un bibliothécaire professionnel et qui a préféré gardé l’anonymat. « Nous avons l’essentiel des livres que vous retrouvez dans les bibliothèques de la ville. Certains détenus empruntent des livres et ouvrages qu’ils lisent dans leurs cellules, d’autres viennent consulter sur place. Nous n’avons rien à envier aux bibliothèques du dehors», dit-il, non sans fierté.

Pendant que j’étais en train de feuilleter les pages du premier livre à ma portée, un bruit assourdissant, comme quelqu’un qui est en train de racler sa gorge, puis une voix qui s’élève. Je referme le livre et regarde le surveillant chef, qui, sans me laisser le temps de prononcer un mot me dit : « C’est le muezzin. Nous avons une mosquée ici, juste à côté. Nous sommes dans une maison d’arrêt, c’est vrai, mais nous respectons le droit du culte à tout détenu, vu que le Niger est un pays laïc, un pays de droit », a indiqué le MDL Moussa Dandakoye, qui décidément a une réelle faculté d’anticipation. Je me pointe dehors et je vois des fidèles qui, tantôt faisaient l’ablution, tantôt se déchaussaient pour rentrer dans la mosquée. « D’accord, mais lorsqu’un détenu est malade, ou lorsqu’une bagarre éclate entre eux, lorsqu’il y a un problème quelconque à l’intérieur de la prison, que faites-vous ? », ais-je encore demandé à Moussa Dandakoye. Mais, cette fois, c’est Ali Moussa, alias Sarki, qui jusque-là avait gardé le silence, qui s’était senti en devoir de réagir. « Il ne faut pas voir le nombre important des détenus, pour penser que vous avez affaire à une jungle. Chacun connaît chacun ici et tout est organisé. Dès qu’il y a un problème, c’est au chef de cellule d’informer le chef de cour, qui rend compte au chef de quartier, qui rend compte à mes éléments et moi je rends compte au surveillant chef qui, à son tour rend compte au régisseur. Et je peux vous dire que les bagarres sont de plus en plus rares. La cause essentielle des bagarres, c’était la drogue qui se vendait comme des petits pains avant. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Les contrôles sont stricts et celui qui se fait prendre avec le moindre comprimé de tramadole sur lui, l’apprend à ses dépends. Nous sommes au courant du moindre bruit suspect, des moindres faits et gestes des détenus, de jour comme de nuit », a indiqué Ali Moussa, promenant un regard hautin et dominateur sur la cour. « Pour les malades, nous avons une infirmerie bien équipée et une ambulance pour les évacuations », compléta le MDL/C Moussa Dandakoye.

Gorel Harouna

 

Des prisonniers se déchainent contre la lenteur judiciaire

Discrètement, je consulte ma montre, je voulais demander l’heure à mes compagnons lorsque mon attention a été attirée par quelques détenus qui nous suivaient au pas depuis des minutes. Sentant la visite à sa fin, ils se rapprochaient de plus en plus de nous. Je m’étais arrêté, les ai regardés et lu dans leurs yeux qu’ils avaient des choses importantes à dire, des choses qu’ils ne pouvaient contenir. Je regarde Moussa Dandakoye, qui se contenta de hausser  les épaules, histoire de dire que je suis libre de les écouter ou pas. Je me retourne vers les vis-à-vis, et, en souriant je lance un : « Bonjour comment ca va, chez vous ? ». « Nous voulons vous parler, nous avons des choses à dire », disent-ils, presqu’en chœur et sans même daigner répondre ni à mon salut, encore moins à mon sourire. Le premier à m’apostropher se nomme Yacouba A, 30 ans. Le visage boursoufflé, la mine serrée. Il affirme être là depuis  5 ans, suite à un meurtre commis à Katako. A la question de savoir s’il a fait l’objet d’une condamnation, il répond : « Notre dossier est actuellement à la cour d’appel et  on nous a fait comprendre que nous allons être jugés aux assises. Depuis, nous sommes là ; Si au moins nous avons été jugés et condamnés, il n’y pas de problème et on peut purger notre peine sans problème », dit-il. « Je m’appelle Falké S, alias l’ancien, j’ai 48 ans, marié, deux femmes et six enfants. Je suis ici depuis plus de six ans. On m’a amené ici pour vol en réunion. En vérité, je ne suis pas un voleur, j’ai été trompé par un ami qui, lui est un vrai voleur, c’est lui qui m’a mis dans ce pétrin, parce que j’ai été pris la main dans le sac avec lui. Nous avons été présentés devant un juge une fois, le jugement a été renvoyé pour six mois. Mais depuis plus rien, personne ne nous a appelés. Nous mangeons à notre faim, nous sommes bien traités, mais le seul problème c’est la liberté qui nous manque, c’est pourquoi nous lançons un appel aux autorités compétentes. Il faut qu’ils pensent à nous. Nous sommes nombreux à croupir ici, sans avoir été jugés, ce n’est pas normal », dit-il. Salou I,  lui, a 32 ans et logisticien dans une société basée à Cotonou, dénommée SLTM. Il est là depuis 8 mois. « Je suis ici pour escroquerie. Il s’agit de gens à qui j’ai vendu un terrain. Six mois après, ils m’ont appelé pour me dire que le terrain en question était litigieux. Je suis rentré à Niamey et je leur ai même remis de l’argent liquide pour aller faire l’identification, ce qu’ils n’ont jamais. Ils ont attendu que je sois à nouveau à Niamey, pour mes congés, pour présenter une convocation de la police judiciaire. Je me suis rendu à la PJ pour voir leur déclaration. De la PJ, nous nous sommes rendus et c’est de là-bas qu’on m’a fait un mandat de six mois pour venir ci. Ailleurs, on juge les gens d’abord avant de les amener en prison, ce qui n’est pas le cas au Niger. Au dehors, les gens pensent que tu es un vrai délinquant, alors que ce n’est pas le cas. En dehors de ça, il n y a aucun problème pour les conditions de détention. Nous sommes bien traités. En cas de maladie ou autre problème, les chefs de cour et Sarki sont là pour faire remonter l’information et la prise en charge est immédiate. Le seul problème, c’est l’absence de jugement et la famille qui me manque », se plaint Salou. Mounkaila S, quant à lui a 33 ans. « Je suis ici depuis 7 ans, suite à un viol en réunion commis Karadjé. Nous n’avons jamais été jugés, encore moins condamnés. Rien que la semaine dernière, nous étions à la justice, mais nous n’avons pas pu voir le juge. Tout ce qui nous fait mal, c’est le manque de jugement. Nous attendons ici sans savoir exactement quand nous serons jugés », affirme-t-il. « Je m’appelle Amadou A. S, et je suis un divorcé. Je suis ici depuis 4 ans et 7 mois On m’a amené ici pour vol et détention illégale d’arme à feu. J’ai tendu un guet apens à un gendarme en pleine brousse et j’ai subtilisé son arme à feu. Ils m’ont pris et conduit ici. Depuis, je suis là, sans jugement. Si je suis jugé, quelque soit la peine, ce n’est pas un problème. Je dors, je me réveille, je mange, je bois, c’est tout. A ce rythme, il y a vraiment de quoi péter les plombs », s’inquiète Alfa. « Je m’appelle Boubacar D, j’ai 34 ans et je suis ici depuis 18 mois pour tentative de vol d’une moto au quartier nouveau marché. J’attends d’être jugé, malgré que le propriétaire de la moto a retiré sa plainte. C’est ce que je déplore. Nous sommes là, entassés, des centaines de personnes sans jugement, ce qui n’est pas normal », affirme Boubacar. « Moi je m’appelle Amadou A, 51 ans. Je suis ici depuis plus de 5 ans, pour viol en réunion. Il y a eu une confrontation entre la fille qui a été violée et nous. La fille a déclaré ne pas nous connaître. Malgré tout, on nous a conduits ici et nous attendons notre jugement », déclare Amadou. Abdoulaye B, est lui âgé de 42 ans, divorcé. Ancien militaire, il est agent de la Nigelec. Il est là depuis novembre 2015 pour un viol commis en 2015, mais il nie les faits et en veut surtout  à son avocat. « Je n’ai jamais commis ce viol. C’est mon avocat qui m’a conseillé de reconnaître les faits et qu’il va me défendre sur cette base. Ce que j’ai fait. Depuis qu’il a pris mon argent, il disparu dans la nature. Même les parents de la fille ont retiré leur plainte ; Malgré tout, je continue à être gardé ici sans jugement », dit-il dans une colère à peine contenue.

Après le quartier hommes majeurs, cap sur le quartier femmes, où nous avons trouvé des détenues tantôt assises dans la cour ou sous des hangars. Tantôt en train de dormir,  à laver le linge, à faire la cuisine, ou simplement à deviser. Là aussi, nous avons recueilli quelques témoignages. Couverte d’un Hidjab, une jeune dame, teint clair, la taille moyenne, s’avance vers moi : « Je m’appelle Rachida A, j’ai 26 ans. Je suis ici pour complicité de meurtre. L’affaire remonte dans la nuit du 31 décembre 2016, aux alentours de l’hôtel Patriote sur la route de Saguia (Haro Banda). J’étais avec mon copain dans sa voiture derrière le mur de l’hôtel, lorsqu’ un autre copain à moi, jaloux est venu nous trouver avec un de ses amis. Ils ont tué mon copain à coups de couteau. A la justice, on nous a délivré un mandat dépôt pour aller à la prison de haute sécurité de Koutoukalé. Mon copain et son ami sont là-bas. On m’a amenée ici parce qu’il n’y a pas de détenues femmes à la prison de Koutoukalé. Depuis 1 an et 4 mois, je suis ici sans jugement. Ici, j’ai trouvé des détenues qui ont passé 4 à  5 ans sans jugement. En dehors de ca, nous sommes très bien traitées ici. Il y a des femmes qui arrivent dans cette maison très faméliques, mais au bout de quelques temps, elles grossissent, rougissent et rajeunissent. Nous ne manquons de rien, sauf le jugement et la liberté », indique la jeune dame. Roukhaiya A, est nigériane. Elle a 30 ans et coiffeuse : « Je suis ici pour trafic de drogue. Je revenais de Cotonou où je suis allée acheter des produits cosmétiques. Au retour, dans le car, lors d’une fouille, on a retrouvé de la drogue dans mes bagages. Je suis sûre que c’était le monsieur qui était assis à côté de moi qui transportait la drogue, mais comme la marchandise était dans mes bagages on m’a arrêtée. On m’a amenée à la justice où j’ai été jugée et condamnée à 3 ans ; J’ai remis de l’argent à un compatriote pour me prendre un avocat, mais il a fui avec mon argent. Donc, depuis, je suis ici et le 11 septembre prochain j’aurai exactement 1 an 6 mois dans cette prison. Je n’ai pas de famille ici, mais je n’ai aucun problème, en dehors de la liberté qui me manque cruellement », dit-elle.

Le quartier des mineurs hommes, dernière étape de cette visite est située derrière les murs du quartier hommes majeurs. A l’intérieur, nous retrouvâmes des jeunes à peine sortis de l’adolescence. La plupart dormaient dans leurs cellules à même du sol ou sur des nattes. D’autres étaient assis et concentrés sur un jeu de dames sous un hangar. D’autres encore vaquaient à des activités diverses. Mon premier interlocuteur s’appelle Mohamed M, il a 14 ans, de nationalité nigériane. Il est dans ces lieux depuis 2 ans et 3 mois. « Je suis ici pour complicité avec des éléments de Boko Haram. J’ai été arrêté en même temps que d’autres jeunes au marché de Tantatassey à Diffa. Mes compagnons sont actuellement en train de dormir dans leurs cellules. J’ai un seul souhait, qu’on me présente devant un juge », déclare le jeune Mohamed. Ousseini N, est âgé de 18 ans, il est Sarki du quartier des mineurs hommes. Il n’a pas encore  1 an dans cette maison. « Je suis ici pour coups et blessures sur une femme. Les faits se sont déroulés au quartier Aéroport de Niamey. J’ai été présenté à un juge qui m’a jugé et condamné à 1 an ferme mon ami et moi. Moi, j’ai eu la chance d’avoir été jugé, mais il y a beaucoup d’autres, dans ce quartier qui  ne l’ont pas encore été. Ils sont là, ils dorment, se réveillent, sans savoir exactement combien de temps ils vont rester ici  », plaide le jeune Sarki.

Témoignages recueillis  par Gorel Harouna

 

Interview Lieutenant Abdourahmane Foutah, Officier de la garde nationale, Régisseur de la maison d’arrêt de Niamey

« Le problème majeur de la maison d’arrêt de Niamey qui à été construite avant les indépendances, se résume à  la vétusté des locaux et à la surpopulation carcérale »

Le lieutenant Abdourahmane Foutah est officier de la garde nationale. Il est présentement le régisseur de la maison d’arrêt de Niamey et commandant d’escadron GNN de cette même maison d’arrêt. Avant celle de Niamey, le Lieutenant Abdourahamane Foutah a servi comme régisseur au Centre de réinsertion professionnelle des jeunes (CRP), de Daikaina (région de Tillabéri), pendant 8 ans et 7 mois. Il est régisseur de la maison d’arrêt de Niamey depuis le mois de juillet 2017. Votre journal l’a rencontré à son bureau, situé dans l’enceinte de cet établissement, dans le cadre d’un dossier sur les conditions de détention dans cette prison, particulièrement sur le volet humanisation des conditions de détention dans les maisons d’arrêt du Niger. Entretien… 

MUTATIONS : Pouvez-vous nous présenter la maison d’arrêt de Niamey, son historique ?

Lieutenant Abdourahmane Foutah : La maison d’arrêt de Niamey à été créée avant les indépendances, plus précisément en 1947.  C’est un établissement pénitentiaire dune capacité d’accueil de 350 places. Elle était gérée  à sa création et durant toute la période coloniale  par l’administration coloniale. Et avec l’avènement de l’indépendance de notre pays, elle est passé sous tutelle du ministère de l’Intérieur et était gérée par la garde républicaine, appelée aujourd’hui garde nationale. Elle est passée, juste après la conférence nationale souveraine du Niger, sous la tutelle du ministère de la Justice, tout en maintenant le corps de la garde nationale pour sa gestion quotidienne. Cette maison d’arrêt comprend à ce jour trois quartiers dont : 1 quartier homme  majeur ; 1 quartier femme ; 1 quartier mineur garçon.

On parle de plus en plus d’un projet d’humanisation des maisons d’arrêts au Niger, de quoi s’agit-il exactement, et qu’en est-il de celle de Niamey dont vous avez la responsabilité

Il faut  reconnaitre que  ces dernières années, et je le dis sans risque de me tromper- que l’Etat du Niger,  à travers le ministère de la Justice et  en relation avec certains partenaires  est en train de fournir tous les efforts pour  changer l’image des maisons d’arrêts de notre pays. Actuellement plusieurs prisons ont été construite et d’autres réhabilitées. A cela, il faut ajouter la construction de plusieurs ateliers de réinsertions des détenus. Il suffit de jeter un coup d’œil dans le rétroviseur pour confirmer ce changement. Et comme vous parlez d’humanisation, je dirais que tout cela participe d’une volonté réelle, matérielle et manifeste de créer les conditions de détentions conformes aux droits de l’homme dans notre pays. Ce vaste et ambitieux projet est adossé sur plusieurs axes, notamment : la construction de nouvelles prisons pour résoudre le problème de surpeuplement ; la délivrance d’une une assistante morale, matérielle, ainsi que des facilités de réinsertion sociale après leur libération dans le respect de la personne humaine (droit au logement, santé …..) ; la sauvegarde des droit au maintien des liens familiaux, à la sécurité, au culte,  à l’éducation, au travail, et à un aménagement de peine en vue de préparer la sortie de prison et la réinsertion.

La gestion d’une administration pénitentiaire requiert des qualités et des compétences. C’est pourquoi de plus en plus de gouvernements de divers pays font de la formation des responsables pénitentiaires, un point d’honneur. que fait l’état du Niger pour outiller nos chefs d’établissement.

Merci pour cette question et je dois juste vous dire que la première promotion  des chefs d’établissements  pénitentiaires (Gardes Nationaux), a été formée  en Algérie en 1984 pour une durée d’un an. Plusieurs autres formations ont suivi par la suite. Les exemples de ces formations sont légion, mais je vais juste citer à titre d’exemple le vaste et très sérieux programme de renforcement de capacité avec « Pénal Reform international » et autres formations des régisseurs, des surveillants chefs et surveillants, des greffiers gardes nationaux organisées par le ministère de la Justice. Pour ce qui est des nouvelles recrues, après  leur formation de base, ils suivent une formation professionnelle, basée notamment sur un manuel de formation en droits de l’homme à l’usage des forces nationales d’intervention et de sécurité, produit par la Faculté des sciences économiques et juridiques (FSEJ), en partenariat avec l’Institut danois des droits de l’homme (IDDH). Comme je venais de vous l’expliquer, les exemples des formations sont nombreux, avec aujourd’hui, grâce à l’arrivée de M. Marou Amadou à la tête du ministère de la Justice, des formations des chefs d’établissements pénitentiaires, notamment à l’International Correctional management Training Center (ICMTC), Etat du Colorado, aux Etats Unis d’Amérique et au Maroc. Plusieurs chefs d’établissements ont bénéficié de ces formations, dont moi-même qui vous parle. Ces formations, il faut le préciser, sont basées sur des modèles très sensibles comme : la sphère de classification des détenus ; l’industrie carcérale ; la sécurité dynamique ; la gestion des services correctionnels. Bref, je peux citer des exemples de ce genre à longueur de journée. Ce qu’il faut retenir, ce qu’elles ont permis aux chefs d’établissements pénitentiaires que nous sommes d’être au même niveau que ceux de ces pays auxquels vous faites allusion. Et je le dis sans complexe, sans complaisance ni démagogie.

 

Quelles sont les difficultés que vous rencontrez dans la gestion de la prison civile de Niamey et quelles sont les solutions envisagées à court, moyen et long terme ?

J’ai pris fonction le 27 juillet 2017, c’est à dire  il y a moins d’un mois. Il serait donc prématuré de vous parler des difficultés que je rencontre. Cependant et comme c’est le cas dans toutes les autres prisons, il faut noter que le problème majeur de la maison d’arrêt de Niamey qui, je le répète, à été construite avant les indépendances, se résume à  la vétusté des locaux et à la surpopulation carcérale. A cela il faut ajouter, et ce, en dépit des efforts louables fournis par l’Etat et les partenaires, une insuffisance  des programmes d’apprentissage qui doivent permettre au détenu de s’intégrer dans la société après sa peine. Et pour finir par rapport aux solutions à long terme,  il s’agit, à mon avis, de créer des programmes  de formations, construire une nouvelle prison (bien que c’est déjà en cour) qui est conforme aux normes internationales pour désengorger celle là.

Propos recueillis par Gorel Harouna